Interview
« Nous avons réinventé la chambre d’agriculture »

Isabelle Doucet
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Au terme de son deuxième mandat, Jean-Claude Darlet va céder en 2025 son siège de président de la Chambre d’agriculture de l’Isère qu’il a occupé pendant douze ans. Il revient sur cette période de transition du monde agricole.

« Nous avons réinventé la chambre d’agriculture »
Jean-Claude Darlet, président de la Chambre d'agriculture de l'Isère.

L’agriculture et l’alimentation prennent une importance particulière dans la société, sans être épargnées par les critiques. Quel regard portez-vous sur l’évolution de ce contexte ?
Nous faisons face à une société insatisfaite, qui veut du bio, du local et qui reproche à la Chambre d’agriculture de l'Isère de faire trop peu. Mais cela n’est pas spécifique à l’agriculture et relève d’un contexte général où le citoyen demande beaucoup de choses, mais n’honore pas ses demandes. Il faut ajouter à cela la problématique de l’agribashing, très forte à la sortie du covid, alors que durant la pandémie, les agriculteurs ont bénéficié de la reconnaissance des consommateurs.

Comment la chambre d’agriculture a accompagné la profession agricole ?
C’est une période complexe où la chambre d’agriculture a continué à développer les circuits courts et procédé à de nombreuses adaptations. Nous accompagnons les évolutions et les demandes du monde agricole telles qu’elles se sont exprimées en début d’année qui concernent l’irrigation, la structuration des filières, notamment avec Plein Les Yeux ou le saint-marcellin-saint-félicien. Aujourd’hui, nos efforts portent sur la viande et le travail avec l’abattoir, sans oublier la filière noix, où nous sommes engagés dans une restructuration au niveau national. Nous avons aussi fait face à tous les aléas climatiques qui n’ont cessé depuis 2019 : gel, grêle, sec etc. et pour lesquels nous avons réussi à négocier des aides. Au niveau de la PAC, il a aussi fallu rééquilibrer entre plan animal et grandes cultures, mais aussi se confronter à la suradministration. Les problématiques foncières, le développement de la méthanisation, sont des dossiers lourds qui font l’objet d’une pression administrative énorme, de même que le travail conséquent de conventionnement avec les collectivités. Enfin, nous menons une politique à l’installation avec des aides régionales qui n’a jamais été aussi forte alors que la période est compliquée.

Quels sont le rôle et les qualités d’un président de chambre ?
Il doit rassembler, écouter, orienter, parfois trancher. Bien qu’issu du mouvement syndical et même si cela peut être compliqué, il est le président de tous les agriculteurs et agricultrices, ce qui est la base de son rôle. Il doit faire fonctionner tout un réseau : chambre d’agriculture, élus, préfet, collectivités. Il est aussi le relais dans la structuration des chambres d’agriculture, du local au national et avec l’Administration.

Si c’était à refaire, que souhaiteriez-vous mieux réussir ?
J’aurais aimé inscrire davantage d’agriculteurs dans la démarche. Je vais finir mon cinquième mandat à la chambre d’agriculture et on observe toujours un essoufflement en fin de mandat. J’aurais souhaité trouver des méthodes pour que les gens s’impliquent plus. Le travail en équipe est intéressant, mais cela reste trop limité et tout repose sur moins de dix professionnels. Là réside tout l’enjeu de demain.

La chambre a réinvesti les dossiers techniques. Comment cela a-t-il été reçu par les agriculteurs ?
Nous avons réinventé la chambre d’agriculture et les agriculteurs nous sont reconnaissants de l’avoir fait. Nous avons recréé le lien avec le monde de l’élevage et celui de la transformation agricole. Nous avons une présence sur le terrain qui est plus importante car nous nous en étions éloignés en laissant un peu faire les autres organisations professionnelles agricoles. Nous avons repris l’identification animale, nous nous sommes positionnés dès le départ sur la gestion quantitative de l’eau, nous avons développé les groupements d’intérêts publics vis-à-vis de la compensation foncière, nous travaillons avec les collectivités, comme la Capi, sur la gestion des haies. Sur beaucoup de dossiers, le bilan est au rendez-vous. Reste le sujet de la séparation du conseil et de la vente et des lois qui se contredisent. Le suivi phyto a été remis en cause mais nous avons su nous adapter.

Il y a eu beaucoup de mouvements de personnes au sein de la chambre, n’est-ce pas un frein au conseil technique ?
C’est le même turn-over que celui observé dans les autres entreprises avec un taux de renouvellement autour de 10 %. Les mécontents ne sont pas si nombreux que cela. L’ouverture du marché du travail fait que des personnes sont parties, par exemple chez Arvalis où l’aspect recherche est plus développé. D’autres ont trouvé des opportunités plus proches de chez elles en raison du déménagement de la chambre d’agriculture. Le risque est de former des gens qui s’en vont développer leurs compétences ailleurs. Avant, les salariés quittaient la chambre pour d’autres OPA. Aujourd’hui, on observe un mouvement inverse, signe que l’affaire est intéressante.

Vous vous êtes positionné sur le secteur de la forêt. Quelles sont les ambitions de la chambre dans ce domaine ?
Nous avons passé un cap en développant ce service en Isère. Nous arrivons à un niveau conséquent et suffisant et nous œuvrons à la structuration régionale. L’agent que nous avons formé est d’ailleurs devenu le responsable régional. Nos agents sont reconnus sur le terrain et nous avons besoin de leur présence pour la gestion de l’information des surfaces sylvicoles du département. Mais nous sommes toujours à la recherche d’un représentant professionnel.

Après les élections européennes et avec le scrutin législatif, le paysage politique français pourrait connaître des changements. Quel est votre sentiment ?
C’est un fiasco qui fait peur. J’ai toujours été un modéré. Si demain des extrêmes se bagarrent, ce sera totalement absurde au niveau européen. C’est le mécontentement qui nourrit cette orientation vers les extrêmes. Ce qui se joue dans le monde rural et chez les jeunes est impressionnant. Ce qui est inquiétant, c’est que les gens ignorent l’histoire, alors que dans notre pays tout le monde à accès à l’éducation. On fête actuellement les 80 ans d’Oradour-sur-Glane, du Débarquement, de Malleval… Les gens se souviennent-ils ? Par ailleurs, je trouve regrettable d’avoir travaillé sur la loi d’orientation agricole, qui est allée jusqu’à l’Assemblée, et que tout soit arrêté.

Vous avez signé plusieurs conventions avec les intercommunalités. Comment les compétences sont-elles partagées ?
Nous risquions que les intercommunalités gèrent elles-mêmes, de façon autonome, leur politique agricole. Nous travaillons ensemble, avec une grande confiance, à l’image du PAIT avec la Métro ou le Grésivaudan. Même dans des territoires sans convention, comme la Capi, nous arrivons à mettre en place un PAEN. Nous avons constitué des binômes technique et professionnel dans chaque territoire et ces relais fonctionnent très bien. Ce sont aussi des moyens pour la chambre d’agriculture.

Quels sont vos projets pour l’après-présidence ?
Mes autres mandats politiques vont me prendre du temps. J’ai aussi une exploitation à transmettre. Et je vais donner un coup de main à la filière noix en tant que coprésident de l’association nationale des producteurs. Et puis, je ne veux pas faire de l’ombre au futur président de la Chambre d’agriculture de l’Isère, mais venir éventuellement en appui dans la transmission de certains dossiers.

Propos recueillis par Isabelle Doucet