Enseignement
Une rentrée de fin d'année

En Isère, la réouverture des établissements d'enseignement agricole début juin nécessite une réorganisation totale de l'accueil des apprenants. Mais c'est aussi un test pour la rentrée de septembre.
Une rentrée de fin d'année

Au pied levé, les équipes pédagogiques ont organisé l'enseignement à distance.

Aujourd'hui, elles relancent le présentiel suivant de nouvelles modalités auxquelles nul n'était préparé. Avec foi et créativité. C'est sans doute un des attributs de l'enseignement agricole, cette capacité d'adaptation, à enseigner autrement.
Fermés depuis le 13 mars, les établissements, Legta, LPA, LEAP, MFR (1) se sont organisés pour une reprise progressive début juin.

Depuis la mi-mai, les équipes d'encadrement ont préparé leur plan de reprise d'activité en lien avec le CHS (2).

Capacité d'accueil

« Nous rouvrons le lycée, mais ce n'est pas comme avant. Nous ne pouvons pas accueillir tout le monde par manque de place dans les salles, dans l'internat et en demi-pension », résume Olivier Blachère, le proviseur du lycée agricole de La Côte-Saint-André-La Tour-du-Pin.

 

Liberté, égalité, fraternité, mais pas baby-foot dans les établissements d'enseignement agricole.


Quinze jours avant la rentrée, les équipes ont contacté par mail ou par téléphone, ou bien fait passer un sondage à l'ensemble des familles afin de savoir si les jeunes souhaitaient ou pouvaient revenir.
Aux lycées de La Côte-Saint-André et Saint-Ismier, la capacité d'accueil de l'internat a beaucoup joué. Chaque établissement compte une cinquantaine de chambres de 3 à 4 lits. A raison d'un jeune par chambre, seul un tiers pourra être présent.

Pour faire revenir le maximum d'internes, les MFR organisent quant à elles l'accueil des élèves en demi-semaine. L'occupant de la chambrée change après le mercredi de vide-sanitaire.
« Notre internat ne sera pas rouvert en fin d'année en raison des contraintes sanitaires trop importantes », explique pour sa part Fabrice Hua, chef d'établissement du LEAP Vallon-Bonneveaux.

Il ajoute : « Le retour des élèves dépend aussi du transport scolaire en milieu rural. » Beaucoup d'ex-internes arrivant de Grenoble, il faudra ajuster les emplois du temps, en fonction du temps de transports, mais aussi du temps dédié au nettoyage.

Système D

La capacité des salles de cours dicte aussi le nombre d'élèves pouvant être présents. La surface règlementaire étant de 4m2 par personne, les groupes ne dépasseront pas 15 élèves par classe.

Les salles ont été installées avec un marquage au sol pour le sens de circulation, une chaise par table, un distributeur de gel à l'entrée. « En mettant des chaises contre le mur, on gagne en place car la règle n'est plus que de 2m2 », observe Olivier Blachère.
Masques, gel, gants, rubalise, produits nettoyants, en général, les établissements ont réussi à reconstituer leurs stocks.

 

Système D dans les établissements qui cherchent à limiter le montant de la facture Covid-19.

 

Dans la pratique, le système D prévaut. « Nous avons dû trouver un système pour fixer le gel sur des distributeurs », détaille ainsi Martine Labaune, proviseure du lycée horticole de Saint-Ismier.

Planches de bois, clous, adhésif double-face, attaches-rapides : à raison d'une trentaine de distributeurs pour l'établissement, il convenait de trouver une solution maison bon marché.

Au lycée, nettoyé de fond en comble, toutes les portes restent désormais ouvertes et les élèves ont accès aux salles de cours par l'extérieur.

Des publics prioritaires

Les établissements étaient surtout dans l'attente de savoir quels élèves pourraient partir en stage à compter du mois de juin afin de pouvoir accueillir les autres en présentiel.
En général, les apprenants restent dans leurs classes et ce sont les professeurs qui se déplacent. Le système D largement répandu consiste à équiper chaque enseignant d'un rouleau de film cellophane pour recouvrir le clavier du matériel informatique.
« Nous souhaitons faire revenir les classes de seconde et de première pro au moins une semaine afin de les remettre dans le bain, leur apprendre les gestes barrière, à l'aide des fiches MSA, avant qu'ils repartent en stage », explique Martine Labaune.

C'est également le cas à La Côte-Saint-André. Le principe adopté est celui de la classe coupée en deux, qui suit deux enseignements différents, mais qui à la fin de la semaine aura bénéficié des mêmes cours.

Remise à niveau

Le lycée professionnel de La Martelière à Voiron donne la priorité aux classes de 3e et aux apprentis en CAP, qui peuvent être plus décrocheurs. « Les 3e ont besoin d'avoir les bases pour entrer en seconde », insiste Michel Guin, le proviseur.

Au LEAP Vallon-Bonneveaux, les élèves qui ont rencontré des difficultés sont prioritaires. Et les MFR, organisent leur accueil « sur mesure » notamment dans le cadre des formations par apprentissage. Car les établissements s'adaptent tous pour assurer la continuité éducative en lien avec les entreprises qui emploient les apprenants.
« Cette période - peut-être jusqu'en juillet - sera propice à une remise à niveau pour réenclencher la prochaine rentrée scolaire, observe Alain Merlin, le directeur des MFR. La perte de savoir est estimée entre 12 et 15% ».

Un Bac particulier

De plus, il est admis qu'en fonction des niveaux, notamment en CAP, un certain nombre d'élèves, 10% environ, a décroché. Les enseignants dressent deux catégories : ceux qui de toute façon avaient décroché avant le confinement et ceux qui, pour des raisons matérielles ou personnelles, ont fait une vraie pause.
Quant au Bac 2020, il ne ressemblera à aucun autre.

Même si les lycéens pensent que les dés sont joués, les équipes pédagogiques tiennent à les revoir avant qu'ils ne quittent l'établissement et pour leur remettre leur livret scolaire.

Le diplôme sera principalement accordé sur la base des notes déjà acquises, du contrôle continu et de leur rapport de stage.

Stages sous conditions

Si tous les stages n'ont pas été arrêtés, le mois de juin marque le grand retour en entreprise des jeunes en formation professionnelle et des alternants.
« Certains apprentis ont été mis au chômage partiel, d'autres ont continué à travailler », constate Michel Guin.

Par exemple, les CAP petite enfance ou service à la personne ont été très sollicités. Si les jeunes de 3e et tous les CAP souhaitent faire des stages, en revanche, seuls ceux qui ont plus de 16 ans pourront repartir à compter du mois de juin. « Ce n'est pas simple », explique le responsable de Vallon-Bonneveaux.
Certains secteurs ont été plus touchés que d'autres. C'est le cas de la restauration ou du petit commerce. « En revanche, l'agroalimentaire, qui est une filière un peu boudée, est un secteur qui peut recruter. On s'aperçoit que ces magasins n'ont pas fermé pendant la crise », insiste Michel Guin.
Dans les lycées agricoles, les CAP, les secondes et premières pros ainsi que les BTS 1ère année sont concernés. « Mais à condition que les entreprises, les parents soient d'accords et que les mesures sanitaires prescrites soient en place », rappelle Olivier Blachère.

Et il y a certains milieux où ça coince comme dans les métiers du paysage où un patron ne pourra par exemple pas prendre un stagiaire dans son véhicule.

Répétition générale

Mais les responsables d'établissements voient plus loin. « Nous pensons tous à la rentrée de septembre. Cette rentrée un peu curieuse, en mai-juin, nous permet de tester tous les protocoles », indique Alain Merlin.
« Nous préparons plusieurs scenarios pour septembre. Nous n'avons pas de visibilité, mais nous savons que l'année scolaire 2020-2021 sera compliquée », estime pour sa part Martine Labaune.

 

Martine Labaune, proviseure Lycée agricole de Saint-Ismier, présente les dispositifs mis en place pour l'accueil des élèves.

 

Demeure une autre interrogation : les effectifs seront-ils complets ? Car les établissements n'ont pas pu organiser leurs journées portes ouvertes, « qui sont un élément fort du recrutement en enseignement agricole », explique le proviseur de La Côte-Saint-André. En quête de visibilité les établissements ont dû faire preuve d'imagination sur les réseaux sociaux, en organisant des visites virtuelles.

Un bond numérique

A l'heure de la reprise, le retour d'expérience de cet exercice imposé est très riche pour les responsables d'établissements et leurs équipes pédagogiques et techniques.
« C'est la créativité des équipes : les gens ont construit des outils parfois extraordinaires », retient avant tout Alain Merlin.

Tous soulignent l'attractivité de la visioconférence.

« Dans une MFR, nous sommes passés de 30% à 80% de participation lors d'une réunion de parents, rapporte Alain Merlin. En une heure de visioconférence, on va à l'essentiel, même si cela demande plus de préparation. »

« Nous n'avons jamais eu autant de monde au dernier conseil d'administration par Zoom », renchérit Martine Labaune. Ce qui nous fait imaginer l'aménagement d'une salle de réunion où l'on peut être à la fois en présentiel et à distance. »

Autre constat commun : les équipes ressortent encore plus soudées de cette crise. L'indispensable concertation pédagogique a recréé des liens, allant jusqu'à une certaine forme de solidarité.

L'importance du présentiel

« Nous avons réussi alors que personne n'était prêt », déclare Martine Labaune. « Nous avons beaucoup évolué et nous avons fait un bond dans le numérique. Mais nous nous sommes aussi rendu compte que cela ne fait pas tout et que nous avons besoin de présentiel. »

« On se rend compte qu'il est possible de mixer le présentiel tout en ayant un enseignement et un soutien à distance », note Michel Guin.
« C'est aussi une expérience humaine », estime Olivier Blachère.

« Nous allons travailler sur un référentiel qualité à partir de 2021, s'engage Alain Merlin. Car la crise a favorisé la réflexion sur ce thème. »

« J'espère que cette vague de travail collectif va perdurer dans le temps », reprend-il, à l'heure où élèves et enseignants s'apprêtent à retrouver le chemin de l'école, « tiraillés entre l'envie de reprendre et la crainte ».

Isabelle Doucet

(1) Lycée d'enseignement général et technologique agricole, Lycée professionnel agricole, Lycée d'enseignement agricole privé, Maison familiale et rurale.
(2) La commission hygiène et sécurité est obligatoire dans les lycées ayant des sections techniques ou professionnelles.

 

Exploitations / Les exploitations agricoles pédagogiques n'ont jamais cessé de fonctionner. A Saint-Ismier comme à La Côte-Saint-André ou La Tour-du-Pin.

Des ventes au beau fixe

« Nous avons eu des craintes quant à la commercialisation des agneaux de la ferme pédagogique, mais nous avons communiqué sur les réseaux sociaux et finalement, les gens du coin se sont mobilisés pour acheter en vente directe. C'est très bien parti et nous avons récupéré de nouveaux clients, se réjouit Olivier Blachère, le proviseur du Legta de La Côte-Saint-André. Nous avons livré le lait à l'Etoile du Vercors et cela s'est aussi très bien passé. Enfin, à La Tour-du-Pin, nous avons beaucoup tremblé avec la fermeture de la serre. Nous l'avons transformée en drive en trois semaines et il s'est passé une chose incroyable sur les réseaux sociaux où, nous sommes passés de 300 à 23 000 vues ! Nous avons été assaillis et n'avions pas assez de bras. »
(encadré)
A La Tour-du-Pin la vente des plantes en drive a connu un beau succès.

Même constat à l'École du paysage de Saint-Ismier où l'activité n'a pas cessé tant à la pépinière qu'à la production de plants ou en maraîchage.
« Au début, nous avons dû jeter les fleurs annuelles, regrette Martine Labaune, la proviseure. Nous avons aussi perdu des chantiers de paysage. »
Le départ des apprenants a mis le personnel sous tension. Ce sont les volontaires qui ont assuré les travaux de l'exploitation. Au bout de deux semaines, la vente a pu rouvrir, d'abord sous forme de drive.
« Nous avons eu la chance d'avoir un reportage de France3, qui a fait connaître l'établissement, explique la responsable. Ce qui a attiré beaucoup de monde. »
Après le coup d'arrêt, les ventes sont reparties de plus belle.
L'engouement pour le bio et le local est un des effets positifs du Covid-19. Et les paniers de légumes ont rencontré un beau succès.
Les deux établissements estiment « avoir sauvé les meubles ».
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