Création-Reprise
Installation agricole : une affaire communale

En Belledonne, la ferme de Loutas a été rachetée par la commune pour permettre l'installation de jeunes exploitants. Un geste fort pour préserver le tissu agricole local. Dans un même élan, Laval a installé une maraîchère sur une parcelle communale.

Installation agricole : une affaire communale
La commune de Saint-Martin-d'Uriage souhaitait conserver la vocation agricole de la ferme de Loutas.

Soucieuses de conserver ou de développer leur tissu agricole, les collectivités mettent parfois la main à la poche pour préserver bâti ou foncier et favoriser une installation. Petits projets ou grands budgets, les nouveaux agriculteurs installés sont unanimes : sans ces dispositifs, ils n’auraient jamais pu monter leur activité.  
C’est le cas de la Ferme de Loutas, à Saint-Martin-d’Uriage, et du Champ libre à Laval où les producteurs ont bénéficié d’infrastructures municipales pour développer leurs activités.  

Pression foncière

« Lorsque nous avons vu l’annonce de la ferme de Loutas sur le RDI, nous avons pensé que ce serait impeccable pour nous quatre », assure Eva Le Bloch, une des quatre associés qui a repris l’exploitation avec Benoît Shaw, son compagnon, et un autre couple, Lisa Gardeur et Sylvain Wangermel.
Ils ont investi la ferme en début d’année, les premiers en production maraîchère et les seconds, arrivés au printemps, en élevage ovin et caprin.  
Pour la commune, désireuse de conserver la vocation agricole de cet ensemble, il s’agit d’un projet phare de la précédente mandature.
« Dans cette partie de Belledonne, le gros problème, pour tout le monde, c’est le foncier », déclare Paul Dauphin qui était premier adjoint à Saint-Martin-d'Uriage. « Si la commune ne s'en était pas occupée, cette ferme aurait été démantelée et serait partie en logement. » 

Cahier des charges

Depuis les années 2000, Dominique et Jean-Claude Boufflers, les exploitants cédants, étaient propriétaires du corps de ferme, tandis que la mairie avait déjà racheté les 15 hectares de terres et deux granges. Mais, à l'âge de la retraite, les agriculteurs ont souhaité vendre leur ferme.
Les négociations avec la mairie ont démarré en 2018. « Il fallait trouver un compromis. La commune souhaitait garder la ferme. Elle est très bien située, en dessous du hameau de Pinet, au milieu de ses terres, exposée plein sud, elle bénéficie d'une vue magnifique. » Les démarches associent la Safer et le Domaine.
Le montant de la transaction, voté en conseil municipal, est conséquent : 610 000 euros pour le tènement et quelques ares. Aussi, à la recherche de repreneurs, la commune fixe un cahier des charges précis : installation en agriculture biologique, activité d’élevage et de maraîchage, poursuite des animations sur la ferme, notamment les marchés fermiers, mais aussi l’accueil avec les chambres d’hôtes.
La commission d’évaluation des candidatures était composée des élus, de la Safer, de la chambre d’agriculture, de l’Adabel, de la communauté de commune du Grésivaudan et de l‘association des agriculteurs de Saint-Martin-d’Uriage (Adasmu).

Intégration  

Le dossier déposé par les deux couples est sélectionné parmi une demi-douzaine de candidatures. « On ne voulait pas trop y croire. Il y avait eu beaucoup de visites. Mais le cahier des charges correspondait bien avec notre projet », explique Eva Le Bloch.
Deux maisons, deux familles, l’expérience des deux couples, l’un en élevage, l’autre en maraîchage, des productions complémentaires, sont les éléments qui ont fait pencher la balance en faveur de ce dossier « pro et réaliste ».
« Nous avons eu de la chance,
reconnaît la maraîchère, mais nous nous en sommes donné les moyens. »
Le montage – encore marginal en agriculture – convient bien aux repreneurs qui apprécient leur situation de locataires. « Nous ne dégageons pas de gros revenus et lorsqu’on achète, il faut faire un prêt qui engage sur le long terme ».

Sitôt transmise, la ferme a repris vie. Les marchés ne se sont d’ailleurs jamais arrêtés, un dimanche par mois d’avril à décembre. « Les gens étaient très contents que des jeunes s’installent  », poursuit Eva Le Bloch.
Les ventes ont commencé au mois de mai avec quelques fromages frais, des tommes, puis les légumes sont arrivés. Les facteurs d’intégration ont été nombreux : la vente directe, mais surtout le réseau communal et l’Adasmu dont les agriculteurs ont donné un coup de main. 

Maraîchage et élevage

« Nous avions prévu 5 000 m2 de surface maraîchère. Nous en sommes déjà à 7 000 m2 et il y aura bientôt un hectare », reprend la productrice.
En six mois, les maraîchers ont préparé les sols, monté 400 m2 de serres et lancé les productions.
« Tout pousse ! Mais avec un mois de décalage par rapport au sud », constate la productrice, originaire des Bouches-du-Rhône où elle était ouvrière agricole ainsi que son compagnon.
La production est diversifiée afin d’être étalée sur la plus longue période possible. Un atelier de poules pondeuses complète ces productions. 

Lisa Gardeur et Sylvain Wangermel sont arrivés avec leurs troupeaux au printemps : 80 brebis laitières de race basco-béarnaise et une trentaine de chèvres des Savoie, une race à faible effectif qui a été reconnue en juillet dernier.
Quatre vaches laitières complètent le cheptel. Le couple était auparavant éleveur en Ardèche.
C’est dans leur première exploitation qu’ils ont fait la connaissance d’Eva Le Bloch et Benoît Shaw et qu’a muri le projet d’association.
Les éleveurs montent leurs animaux en estive tous les étés en Haute-Savoie. Ils ont redonné vie à la fruitière de l’alpage de Vormy en répondant là aussi à un appel à projet communal. Une vraie philosophie de vie. 

A la ferme de Loutas, ils ont aussi eu leur part de travaux. Les animaux sont en pâturage tournant dynamique et hébergés dans un tunnel de 300 m2 dont le montage vient juste de s’achever.
Reste à restaurer la grange pour abriter le stockage du foin pour l’instant bâché à l’extérieur.
La ferme dispose d’un laboratoire pour la transformation fromagère et d’une cave d’affinage. Les tommes trois laits et les raclettes réalisées par Lisa Gardeur sont très prisées. 

Complément de revenu

« Il y a plein de choses à faire, c’est un bel espace où on peut imaginer plein d’animations, des concerts, des bals », assure Eva Le Bloch.
Les associés n’ont pas attendu pour accueillir du monde à la ferme dès l’été dernier. Il faut dire que les bâtiments, au-delà des logements pour les deux familles, proposent un grand gîte, un studio et des chambres d’hôtes. Les nouveaux installés se sont engagés dans des travaux de rénovation pour proposer des locations durant l’été.
’ensemble comprend aussi une vaste cuisine multiservice, un four à pain et une grande terrasse aménagée au-dessus de l’ancienne piscine transformée en réserve pour l’irrigation. « C’est un complément de revenu et cela fait vivre le lieu », indique Eva Le Bloch. « Dans l’idéal, les gîtes pourraient permettre de payer le loyer mensuel de 2 600 euros à la commune, un juste prix », estime l’agricultrice.
Pour ce demi-exercice, les résultats de la ferme correspondent au prévisionnel des exploitants. Toutes les productions sont vendues en direct (marchés, à la ferme, Amap, traiteur). Mais il y a encore un cap à franchir entre le potentiel de l’exploitation et les revenus.

La transmission de la ferme de Loutas reste un projet exceptionnel par son ampleur. « Il faut que les communes aient les moyens de mettre de telles sommes. Un agriculteur ne peut pas se payer ça. Il n’est pas possible de sortir de tels revenus. Il faut forcément que la commune y aille », conclut Paul Dauphin. 

Isabelle Doucet

Maraîchage / Champ libre à Laval
Les serres du Champ Libre, à Laval.

Léa Perrotin vient de s 'installer en maraîchage à Laval sur une parcelle communale.

« Ce sont deux envies qui se sont rencontrées, raconte Léa Perrotin, maraîchère à Laval. Quand j’ai contacté la mairie en 2018, elle était propriétaire de cette prairie de fauche utilisée par un agriculteur bio de la commune, Jérôme Rajat. Il a renoncé à cette parcelle plate et ensoleillée car il a vu l’aspect bénéfique de cette installation en maraîchage. »
En reconversion professionnelle après avoir été employée dans la restauration, Léa Perrotin a passé un BPREA au lycée horticole de Saint-Ismier, travaillé chez de nombreux producteurs, avant de démarcher plusieurs communes pour créer son activité.
« Je voulais m’installer en montagne en restant proche de Grenoble. J’ai visé certaines communes à moins de 700 mètres d’altitude car c’est mieux pour les légumes. » Et le projet de la commune de Laval a muri au même rythme que celui de la maraîchère. « Un alignement de planètes », déclare-t-elle.
« Je suis arrivée dans un environnement idéal », poursuit Léa Perrotin dont l’installation répond à un besoin de productions maraichères local sur le marché de Laval du mardi soir, en complément des autres productions fermières. « Sans le marché, cela aurait été compliqué. Je vends 90% de ma production », explique la productrice qui fait aussi de la vente à la ferme de juin à novembre. 

Un soutien local

Elle a investi 28 000 euros dans son installation, financée par un emprunt contracté auprès de sa mère. Le montage des serres de 500m2 et celui de la cabane en bois ont été validés par les Bâtiments de France en raison d’un bâtiment historique dans le périmètre.
La maraîchère a également participé aux frais engagés pour viabiliser la parcelle. « Mais je n’ai pas demandé de DJA. Je n’en veux pas pour l’instant. Je veux m’installer à mon rythme. »

Elle décrit une installation dans les meilleures conditions. « A partir du moment où la collectivité soutient le projet, sur ses propres installations,  y a une forme d’appropriation par les habitants. De plus, j’ai bénéficié de la communication de la commune, sans laquelle je n’aurais peut-être pas rencontré les agriculteurs aussi tôt dans mon projet. »
Rien que l’appel lancé au bar et à l’épicerie a permis de rassembler une trentaine de personnes pour le montage des serres.
« Le premier travail a été celui du sol. Le labour avec l’épandage du fumier ont été fait par Jérôme Rajat, qui m’a beaucoup aidée. J’ai aussi bénéficié du soutien des agriculteurs locaux. »
Léa Perrotin utilise 3 500 m2 de cette parcelle de 8 000 m2 qu’elle loue 100 euros à la commune. Les surfaces non utilisées sont toujours fauchées et, entre les deux coupes, la maraîchère a organisé des soirées théâtrales en plein air aux beaux jours. « Je suis seule sur mon exploitation et je veux en faire un lieu de vie, mettre un peu de culture en extérieur. Ca a fait plaisir à tout le monde. C’est à renouveler ! »
Le modèle fait école, intéresse les communes alentour. « Le Covid a fait bouger les choses et les politiques alimentaires », constate la maraîchère. « C’est un exemple d’installation à moindre frais. Il y a beaucoup de porteurs de projets en maraîchage. Si on veut accéder au foncier, il faut frapper aux portes de collectivités. »
Son modèle est conforme à son prévisionnel et elle espère sortir un petit revenu d’ci 2022.

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