Témoignage
Selon Aurélien Clavel, responsable JA : « La richesse humaine est la force de l’agriculture »

Isabelle Brenguier
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Président du CCJA du canton de Virieu-Le Grand-Lemps, président de JA Isère, membre de chambre d’agriculture de l’Isère, administrateur de JA national et enfin vice-président de la centrale, tel est le parcours syndical d’Aurélien Clavel, jeune agriculteur installé à Biol dans les Terres froides. Après 15 années de bons et loyaux services auprès des Jeunes Agriculteurs, alors qu’il a 36 ans, Aurélien Clavel vient de passer la main. Il revient sur son engagement et évoque tout l’intérêt des rencontres qui ont jalonné son parcours.

Selon Aurélien Clavel, responsable JA : « La richesse humaine est la force de l’agriculture »
Aurélien Clavel, à l’occasion de la dernière assemblée générale des JA, en mars 2020.

Votre engagement JA a commencé au niveau local, puis s’est poursuivi dans les instances départementales et même nationales. Quels en ont été les moteurs ? 

Ayant toujours été attaché au groupe et au collectif, c’est la convivialité qui m’a donné envie d’intégrer le réseau JA. Je n’étais d’ailleurs même pas encore installé quand je me suis rapproché du CCJA, en marchant peut-être dans les pas de mon père, lui-même passé par les JA quand il était plus jeune. Après, j’ai souhaité m’impliquer davantage parce que je n’aime pas subir les choses, parce que j’aime être acteur de ce qui se passe. Quand je me suis installé en 2007, la mauvaise conjoncture agricole m’a motivé pour m’engager pour faire changer les choses. En m’investissant au niveau départemental, j’ai découvert le milieu des organismes professionnels agricoles (OPA), j’ai acquis de l’expérience, qui m’a beaucoup servi pour mon engagement national. En passant par les différents niveaux, je me suis laissé prendre au jeu, animé par cette envie d’améliorer la situation des agriculteurs.  


Qu’est ce que cet engagement vous a apporté ?

Beaucoup de choses ! D’abord, à m’organiser, car en étant souvent absent de l’exploitation, il faut énormément anticiper. 
Mais il m’a surtout été très bénéfique sur le plan humain, grâce à de nombreuses rencontres réalisées dans toute la France, au sein du milieu agricole, du monde politique et de la société civile. Ces échanges m’ont permis de prendre du recul par rapport à l’exploitation, et m’ont aidé dans certaines décisions. S’ils ont été sources de réconfort, ils m’ont aussi apporté des connaissances, une large ouverture d’esprit et une grande richesse culturelle. Ils m’ont également aidé à comprendre les maux de l’agriculture et les pistes de solutions qu’on pouvait entreprendre. 
Je garde de ces années beaucoup de bons souvenirs, car, comme je l’ai dit, la convivialité, le partage font partie des valeurs de JA qui est presque une grande famille. Mais j’en garde aussi de très douloureux. Les décès de Yann Blais et de Serge Desvignes m’ont beaucoup touché. 


Quelles sont les plus grandes difficultés auxquelles vous avez été confronté ? 


La principale est le manque de temps. Quand on s’engage, on aimerait y mettre toute son énergie, toujours faire plus. J’ai pu m’investir grâce au soutien de ma famille et de mes associés, mon père et mon frère, Serge et Steven, qui ont supporté mes absences et fait le travail. Cet équilibre entre la vie de l’exploitation, de la famille et les responsabilités professionnelles est délicat à trouver et fragile à conserver. Il faut être vigilant. Si l’on veut qu’il tienne, il faut toujours se remettre en cause. Mais malgré mes absences, j’ai toujours voulu rester investi dans l’exploitation. C’est important pour ne pas être déconnecté. Du coup, même en déléguant, j’ai gardé la gestion de la partie laitière. 
 
Votre engagement s’exprime-t-il de la même façon aujourd’hui que lorsque vous avez intégré les Jeunes agriculteurs ?


J’ai beaucoup évolué dans ma façon d’agir. Au début, lorsqu’on est plus jeune, on a plus envie d’aller manifester, on a plus de colère envers ceux qui ont des positions néfastes envers l’agriculture. Mais quand le temps passe, on s’aperçoit qu’il est préférable de mettre cette énergie à profit de façon posée et organisée. On se rend compte que l’impact est plus fort.


Comment voyez-vous l’agriculture ? Quelle est sa place au sein de la société ? Quelle est celle du syndicalisme ?


Je suis persuadé que l’agriculture est à un tournant. Je sais que cela a déjà été dit dans le passé, mais on observe aujourd’hui de nombreux signaux qui montrent que la place de l’agriculture dans la société n’est plus aussi évidente qu’avant. Je pense pourtant qu’elle est au cœur des enjeux de demain (que sont l’alimentation, l’énergie, l’environnement, les loisirs) et qu’elle a un rôle primordial à jouer. Il faut faire évoluer l’agriculture et rapprocher l’acte de production de l’acte de consommation. Il y a un fossé qui s’est créé. Il faut rétablir ce lien. Jamais les productions agricoles n’ont été aussi sûres. Pourtant, jamais les citoyens n’ont eu autant de craintes. 
C’est vrai que l’agriculture a déjà beaucoup évolué mais pas aussi vite que la société qui est de plus en plus regardante, de plus en plus exigeante. Les agriculteurs doivent reprendre en main leurs outils et en recréer d’autres.
Dans cette évolution, le syndicalisme doit être présent. Il doit être fort, mais en tant qu’agriculteurs, nous devons aussi agir et nous organiser pour que l’agriculture évolue dans le sens que nous souhaitons. Le syndicalisme est là pour donner des orientations, mais il ne peut pas agir seul. Il a cependant toute sa place, parce qu’il a une vision transversale de la situation, parce qu’il est présent dans tout le territoire et toutes les productions.


Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ? Quels sont vos projets ?

Aujourd’hui, je souhaite faire une pause. Les dernières années ont été très intenses. Elles m’ont demandé beaucoup d’investissement et ont généré de nombreuses absences pour l’exploitation et ma famille. J’ai donc envie de m’investir au sein de la ferme, qui aborde une nouvelle étape avec le départ à la retraite de mon père et de me consacrer à ma famille. Car, si ces quinze années ont été marquées par mon engagement dans le syndicalisme agricole, elles ont aussi été importantes pour moi sur le plan personnel. Durant cette période, je me suis marié. J’ai construit ma maison. J’ai eu deux petites filles. J’ai envie de me dégager du temps. 

Propos recueillis par Isabelle Brenguier

Le Gaec des terres froides : une exploitation qui évolue avec son temps

Le Gaec des terres froides, à Biol, a été créé lorsqu’en 2007, Aurélien Clavel a rejoint son père, Serge Clavel, au sein de la ferme qu’il exploitait. A cette époque, ils l’ont agrandi faisant passer le quota laitier, réalisé avec un troupeau de vaches montbéliardes et prim’holsteins, de 200 000 à 390 000 litres et les terres de 80 à 110 hectares. Durant la même période, ils ont mis en place des cultures fourragères qui ont apporté un peu plus de valeur ajoutée à l’exploitation.
La ferme familiale a pris un nouveau virage en 2017 lors de l’installation de Steven Clavel. A ce moment, les trois associés font le choix de développer de nouveaux ateliers. Ils plantent cinq hectares de noyers, la même surface de noisettes et, les deux frères, brasseurs à leurs heures, se lancent dans une production de bière qui connaît un joli succès.
A la fin de l’année, la ferme va vivre une nouvelle étape avec le départ à la retraite de Serge. Amorcée grâce à l’embauche d’un salarié à mi-temps, la transition est bien préparée. Elle correspond au souhait de retour à temps plein d’Aurélien, pris jusqu’à maintenant par ses engagements syndicaux, à l’arrivée en production des arbres fruitiers, ainsi qu’aux développements de la bière et du point de vente directe créé pour vendre sur place ces productions.

IB