En Isère, les centrales villageoises fleurissent pour accélérer la transition énergétique de leur territoire.
Depuis 2019, Pierre Jouvenal, pâtissier-chocolatier retraité de la Maison Jouvenal, à La Côte-Saint-André, a pour projet de monter une centrale villageoise dans la Bièvre, mais la pandémie a marqué un coup d’arrêt dans ce projet. « Maintenant, c’est derrière nous, nous avons pu avancer le projet et nous allons bientôt pouvoir le soumettre à l’association nationale des centrales villageoises », explique-t-il.
D’ici trois à six mois, une douzième centrale villageoise devrait ainsi voir le jour dans le département, s’inscrivant dans la droite ligne des systèmes pensés par les parcs naturels régionaux (PNR) d’Auvergne-Rhône-Alpes.
Une prise de conscience collective
Au début des années 2010, la réflexion de s’organiser en groupe de citoyens apparaît dans l’ancienne région Rhône-Alpes. En effet, les territoires sont régulièrement démarchés par des opérateurs pour mener à bien d’importants projets photovoltaïques au sol. A Villard-de-Lans, notamment, un projet de ce genre aurait nécessité du déboisement s’il avait été mené à bien.
« C’est à partir de là que le Parc naturel régional du Vercors s’est demandé comment faire pour que d’autres types de projets se développent, tout en sortant d’une certaine logique industrielle », explique Emmanuel Jeanjean, chargé de mission énergie et mobilité au PNR du Vercors. En lien avec l’entité Auvergne-Rhône-Alpes Energie Environnement, les PNR du Vercors, des Baronnies provençales, du Pilat, des Monts d’Ardèche et des Bauges mettent en place des tests à l’échelle de leur territoire. « Sauf dans le Vercors, où par la suite, plusieurs centrales villageoises apparaissent », précise Emmanuel Jeanjean. La première, celle de Gervanne Raye, a été créée en 2015 et a donné une certaine impulsion au territoire. Aujourd’hui, sept centrales villageoises se trouvent dans le PNR du Vercors et, en Isère, onze.
Elles constituent des sociétés locales à gouvernance citoyenne qui portent des projets, soit de panneaux photovoltaïques, soient de chaleur bois, en faveur de la transition énergétique. Tant les citoyens que les collectivités et les entreprises locales peuvent contribuer aux projets menés, tout en s’inscrivant dans la logique de leur territoire.
Faire des citoyens, des acteurs…
La centrale Portes du Vercors fait partie des premières centrales villageoises de France. Fondée en 2016, elle regroupe 38 communes du Pays de Saint-Marcellin et du Royans, et réunit 170 actionnaires pour 19 toitures posées. Wattisère, centrale plus récente qui va de Tullins à Cognin-les-Gorges et de Chasselay à Montaud, a été fondée en 2020 dans une vingtaine de communes. 80 associés se sont d’ores et déjà engagés dans l’aventure.
« De notre côté, nous avons souhaité créer un système existant à l’échelle de la métropole grenobloise, explique Fabienne Mahrez, co-fondatrice d’Energ’Y Citoyennes, structure créée en 2016. Pour nous, la transition énergétique ne peut pas se faire qu’avec des citoyens seuls, ou qu’avec des communes, elle doit se faire à l’échelle du territoire avec tous les acteurs ».
Aujourd’hui, Energ’Y Citoyennes rassemble 428 associés, dont 28 collectivités territoriales. Cette organisation leur a permis, jusqu’à présent, de mettre en place quatre réseaux de chaleur et 22 toitures photovoltaïques, la 23ème étant en cours à Domène. 1 000 m2 de panneaux photovoltaïques sont en cours d’installation, ce qui permettra une production électrique de 220 kWc.
… Qui mettent en valeur leur territoire…
Les centrales villageoises n’ont pas vocation à utiliser du foncier agricole. Depuis les premières phases de test, qui ont eu lieu dans le PNR du Vercors, les projets portés par les différentes centrales créées concernent du photovoltaïque en toiture. « Nous évitons les projets au sol afin de protéger le foncier agricole ainsi que les espaces naturels, qui devraient en plus être clôturés pour délimiter une zone de protection autour des panneaux, ce qui empêcherait la faune de se déplacer correctement », explique Emmanuel Jeanjean.
Mais en installant des panneaux en toiture, il s’agit aussi d’optimiser la production électrique tout en limitant l’impact paysager, comme en ce qui concerne l’architecture dans les villages patrimoniaux. Les panneaux full black sont alors souvent privilégiés : totalement noirs, ils se fondent plus facilement dans le paysage et ne déstructurent pas les bâtiments. L’église de Rencurel, par exemple, en a été dotée.
Seulement, parfois, trouver un emplacement pour montrer un projet photovoltaïque s’avère compliqué. C’est le cas à La Côte-Saint-André, où Bièvre Energie Citoyenne a dû renoncer à un projet de panneaux sur une toiture, ce projet étant considéré comme une atteinte au patrimoine historique en raison de la présence du château Louis XI.
… Et produisent une énergie plus verte
Il reste néanmoins très difficile de trouver des panneaux photovoltaïques construits majoritairement en Europe, car en délocalisant les entreprises, le savoir-faire a quitté le territoire. Qui plus est, leur provenance reste parfois assez opaque. « Nous espérons que les politiques européens fassent quelque chose pour ça, explique Jacques Regnier, président de l’Association des centrales villageoises de France et fondateur de la centrale Portes du Vercors, car des panneaux photovoltaïques totalement européens seraient plus propres. Le problème qu’il y a en Chine, d’où ces panneaux proviennent, est que les centrales qui fabriquent leurs composants tournent au charbon ».
Cela explique que les installations des centrales villageoises puissent coûter plus cher qu’en passant par des opérateurs, car « nous en installons qui soient de qualité, avec des normes plus sévères, précise Jacques Regnier, d’autant plus que nous réalisons de la maintenance chaque année ».
Et il y a là un intérêt pour les propriétaires de toiture, qu’ils soient particuliers ou publics. En effet, les centrales villageoises louent leurs toits pour la durée du contrat avec EDF, donc pendant vingt ans. Une fois le contrat terminé, elles s’engagent à remettre en bon état de marche les installations photovoltaïques et les bailleurs deviennent propriétaires de ces panneaux. Ils « se retrouvent avec des panneaux dont la durée de vie est d’environ 35 ans, ce qui leur laisse une quinzaine d’années d’utilisation après la fin de notre contrat », ajoute Luc Delva, président de Wattisère.
Une manière pour les centrales de pousser le grand public au recyclage et aux économies d’énergie. Car « la sobriété énergétique est encore plus importante que la production d’énergie, rien ne tient la route si on ne diminue pas cette consommation, c’est la première étape de la transition énergétique », affirme Luc Delva.
Morgane Poulet
Portes du Vercors
Une centrale en devenir
« Tout part d’une démarche personnelle, je voulais installer des panneaux sur mes toits mais les entreprises existantes ne me convenaient pas », explique Pierre Jouvenal, à l’initiative du projet de centrale villageoise Bièvre Energie Citoyenne. Et s’il a été mis en arrêt en raison du Covid, il a depuis accéléré.
Pour l’instant, quatre réunions d’information ont été organisées pour l’affiner, porté par une trentaine de bénévoles. Cela est nécessaire pour obtenir l’agrément de centrale villageoise et pour obtenir un accord avec EDF, qui rachète l’électricité produite par les panneaux photovoltaïques. 60 communes de Bièvre Isère Communauté feront partie du rayon d’action de la centrale émergente, les cinq autres de la communauté de communes entrant déjà dans le périmètre d’une autre centrale.
Afin que les panneaux photovoltaïques soient rentables, il faut qu’ils soient installés sur 400 m2 de toiture. « Nous avons donc quatre projets qui pourraient fonctionner, explique Pierre Jouvenal, mais nous avons réuni une somme pour une seule toiture pour commencer ».
D’ici trois à six mois, Bièvre Isère Communauté devrait pouvoir voir le jour.
MP
Energ'Y Citoyennes
Production énergétique des centrales villageoises
La production énergétique des centrales villageoises est vendue à EDF, qui la distribue ensuite sur le réseau public. Et les panneaux photovoltaïques peuvent être installés sur les toits de particuliers comme de collectivités.
Actuellement, les centrales villageoises sont 40 en France. 63 territoires et 6200 actionnaires sont engagés, pour 440 installations de panneaux photovoltaïques. Et en juillet 2022, plus de 1 250 000 kWh ont été produits par toutes ces centrales, ce qui correspond à la production nécessaire à 2 000 foyers.