Loup
Massacre dans une bergerie de Saint-Just-de-Claix

Marianne Boilève
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Dans la nuit du 1er au 2 décembre, deux loups sont entrés dans une bergerie de Saint-Just-de-Claix et ont provoqué un carnage. Chez les éleveurs, la colère le dispute au découragement.

 Massacre dans une bergerie de Saint-Just-de-Claix
Dans la bergerie d'Alexis Dubouchez, à Saint-Just-de-Claix, les loups ont tué quatre brebis et mutilé dix-huit autres. Il a fallu en euthanasier quatorze. Crédit photo : Alexis Dubouchez

Écœurement et colère. Tels sont les deux sentiments qui envahissent tour à tour Raymond Dubouchez. Mercredi 2 décembre, au petit matin, le paysan est venu s’occuper des brebis de son fils Alexis. Les bêtes dorment en bergerie, à 300 mètres à vol d’oiseau du centre de Saint-Just-de-Claix. En approchant du tunnel d’élevage, Raymond Dubouchez s’étonne de ne pas entendre le moindre bruit. Un calme inhabituel pour ce petit troupeau de 85 mères… A l’intérieur de la bergerie, l’éleveur découvre un carnage. Des brebis à terre, mortes, égorgées, à moitié dévorées ; des agnelles éventrées, certaines aux trois quarts consommées, d’autres le cuisseau déchiqueté. Dans un coin, six brebis s’entassent, serrées les unes contre les autres. L’une d’entre elle a l’arrière comme scalpé. Au fond, une autre se tient debout, immobile, la peau déchirée, sanguinolente, mais vivante. Tétanisée par la peur. Comme toutes ses congénères. 

La relève décimée

Dans la nuit, deux loups sont venus attaquer le troupeau. Il leur a suffi de sauter la barrière d’élevage pour se servir. Les deux prédateurs – un gros et un plus jeune d’après les traces relevées par les agents de l’OFB – ont tué quatre brebis et mutilé dix-huit autres. Il a fallu en euthanasier quatorze. Dont des agnelles de l’année, certaines pleines. « La relève, l’avenir du troupeau, s’indigne Raymond Dubouchez. Ce serait de vieilles mères, encore… Mais là ce sont des agnelles de l’année. Du sang neuf. On perd une année de production. » Sans compter les contrecoups de l’attaque : « Ce matin, les mères ont posé leur petit, mais elles ne s’en occupent pas : elles sont trop stressées. » 

Incompréhension

L’éleveur à la retraite pense à son fils, double-actif, qui a pris sa suite il y a quatre ans. C’est la troisième attaque qu’il subit. La première d’Alexis. L’incompréhension est totale. Certes, le jeune éleveur va être indemnisé, « puisque c’est du loup ». Mais quel sens donner au métier dans de telles conditions ? « On n’élève pas des bêtes pour se les faire bouffer ! s’emporte Raymond. Aujourd’hui, le mouton a moins de valeur que le loup… »

Bilan macabre

Ironie du sort : alors même que les Dubouchez comptent leurs victimes, le préfet référent national Loup est en visite sur le plateau matheysin et s’entend énumérer le bilan macabre de la saison 2020, la liste des victimes : 1221 fin novembre, dont 1 132 ovins. 

Réunion d'urgence

Les attaques n’ont pas lieu qu’en montagne. Au pied du Vercors, le loup fait des ravages depuis le mois d’avril. Près de 150 bêtes tuées au cours de la saison dans le Sud Grésivaudan, essentiellement issues de petits troupeaux, moins bien protégés que les gros. Chez les élus, le désarroi est complet. Fin novembre, Bernard Perazio a d’ailleurs provoqué une réunion d’urgence à Saint-Romans avec le préfet. On y a rappelé la conduite à tenir, le protocole pour demander des tirs d’effarouchement et quelques solutions techniques, comme les clôtures électriques, seul « élément dissuasif » à peu près efficace contre le loup.

Pas de psychose

A Saint-Just-de-Claix, les clôtures n’ont pas suffi. Joël O’Baton, le maire de la commune, se dit inquiet : « On n’avait pas besoin de ça : on a assez de soucis avec la pandémie ! » Mais l’élu refuse de sombrer dans la psychose. « Ce n’est pas d’aujourd’hui que ça rode. J’ai un patou chez moi : il aboie pratiquement toutes les nuits. Jamais le jour. Il n’y a pas de psychose dans le village. »

Prise de conscience

Impuissant face au loup, le maire ne baisse pas pour autant les bras. « Je veux que les agriculteurs soient entendus, reconnus, qu’il y ait des échanges avec les habitants, pour que l’on prenne conscience de ce que ça représente de perdre en une nuit les efforts de toute une vie. Je vais engager le débat, la discussion. Je l’ai fait avec Lactalis. Je le ferai avec le loup. »

 
Marianne Boilève
 

Les photos du massacre dans la bergerie d'Alexis Dubouchez