Aménagement
Des stations au pied de la transition
Changer pour ne pas renoncer. Les stations de moyenne montagne sont les premières confrontées aux évolutions du climat et les premières à réfléchir concrètement à une offre quatre saisons.
Ces stations de ski de moyenne montagne se battent pour ne pas mourir.
Arrivées à un point critique de leur histoire, elles veulent opérer une mutation de leur modèle économique.
N'en déplaise à ceux qui voudraient en faire des exemples de renoncement face au changement climatique, elles proposent au contraire de changer, pour ne pas renoncer. Car c’est toute la vie d’un territoire, toute une économie de montagne qui est en jeu derrière ces équipements touristiques.
L’Alpe du Grand Serre est une des plus anciennes stations de l’Isère. Un statut qui ne la protège pas du risque.
Certes l’enneigement du bas de la station peut poser problème, mais la principale cause de vulnérabilité tient plutôt à l’absence de renouvellement de ses infrastructures. Dès qu’il y a du vent du sud, le domaine skiable d’altitude est inaccessible.
En raison de fermetures trop nombreuses, la station est chroniquement déficitaire.
À la clé, pas moins de 260 emplois directs et indirects et de nombreuses exploitations agricoles en péril car leur modèle économique est basé sur la double activité.
« On ne tiendra pas si l’on ne fait pas des investissements pérennes et de transition », assure Coraline Saurat, la présidente de la communauté de communes de la Matheysine.
24 millions d’euros
La station se retrouve au pied du mur parce que l’intercommunalité, qui en a repris la gestion en 2021 après une période de régie communale, a voté le principe d’une DSP assortie d’un cahier des charges.
La seule candidate est la Sata (Société pour l’aménagement touristique de LʼAlpe-dʼHuez) qui porte un projet d’aménagement – partagé par la communauté de communes – d’un montant de 24 millions d’euros.
L’ambition est de remplacer les deux télésièges à pinces fixes défaillants par un télémixte et de proposer une offre quatre saisons.
Mais le compte n’y est pas. La Sata est prête à mettre 7 millions d’euros au pot et la collectivité, 4 millions. Il reste donc 13 millions d’euros à trouver, dont 12 pour la nouvelle remontée. «
C’est un projet de territoire pour sauver une vallée et l’emmener vers une transition durable à 20 ou 30 ans », reprend la présidente de l’intercommunalité.
Pas de station sans agriculteurs
Le 15 septembre dernier, à l’issue d’une réunion publique sur le devenir de la station, est née l’association Alpe du Grand Serre demain, présidée par Cédric Fraux, éleveur de brebis à Lavaldens et président de Jeunes agriculteurs Isère.
Les 3 000 adhésions témoignent de l’attachement profond des habitants de la vallée à cette station.
Son objet est d’aider la communauté de communes dans la réalisation de son projet.
« 100 % des exploitations agricoles du secteur ont - ou ont eu - un revenu dépendant de la station. Le jour où il n’y a plus de station, il n’y a plus d’exploitation et il n’y a pas de station sans agriculteur », assure l’éleveur qui est aussi moniteur de ski. L’agriculture fournit non seulement une grande partie de la main-d’œuvre saisonnière, mais assure l’entretien des pistes : les pâturages limitent les risques d’avalanche et la fauche évite l’embroussaillement.
Débutants d'aujopurd'hui, skieurs de demain
Cédric Fraux décrit le modèle d’une exploitation de montagne. « Le ski représente 60 % de mes revenus. Le diplôme de moniteur est difficile à obtenir, mais sans cela, je n’aurais pas pu m’installer et construire un bâtiment. »
Alors le projet quatre saisons, il y croit d’autant plus qu’il est clairement orienté vers la découverte agropastorale et propose à tous un accès été comme hiver au domaine d’altitude.
Cédric Fraux défend aussi le côté social d’une station qui, avec ses 55 km de pistes, offre un tarif abordable, accueille de nombreux scolaires et collectivités.
D’ailleurs si la Sata s’y intéresse, c’est parce que les débutants d’aujourd’hui sont les skieurs des grands domaines de demain.
Reste à trouver les financements, qu’ils soient publics ou privés.
La communauté de communes est par ailleurs lauréate du Plan d’aménagement Montagne Avenir qui lui donne un coup de pouce opérationnel.
« Je n’engagerai pas la collectivité tant que je ne serai pas certaine des financements », déclare Coraline Saurat.
En attendant la communauté de communes assure le fonctionnement de la station. La situation devrait se clarifier d’ici le mois de janvier.
Un coût économique
La communauté de communes Cœur de Chartreuse a pris une décision identique concernant la station de Saint-Pierre-de-Chartreuse.
Confrontée à des difficultés, la station ouvrira tout de même le 17 décembre si l’enneigement est au rendez-vous.
Son déficit chronique est lié au coût de ses équipements, notamment de ses quatre installations téléportées, mais aussi à sa fréquentation en retrait. En six ans, son déficit s’élève à 600 000 euros.
Laurette Botta, vice-présidente en charge de la promotion touristique précise que « la délégation de service public est imposée à la collectivité » pour des raisons de finances publiques.
Mais la SSIT (Savoie stations ingénierie touristique) n’a pas renouvelé la convention qu’elle avait signée pour un an.
Elle a cependant réalisé un audit qui a abouti à la révision du périmètre de la station et la mise en sommeil de la télécabine des Essarts dont le fonctionnement est le plus coûteux.
Les départs se font désormais du Planolet et de la Combe de l’ours.
« Si la station s’arrête, il y a forcément un coût économique », explique l’élue. L’activité emploie 12 équivalents temps plein, soit plus de 60 contrats saisonniers parmi lesquels de nombreux double-actifs agriculteurs ou forestiers.
Il y aurait aussi 400 emplois indirects (hébergeurs, restaurateurs, loueurs). Enfin, les moniteurs et guides sont aussi nombreux à travailler à la station.
Capitaliser sur les atouts
Un collectif, baptisé « Nouvelles traces en Cœur de Chartreuse » a donc été créé pour mener une réflexion de transition sur le long terme.
Il est composé d’élus, d’habitants et de socio-professionnels pour « rebondir », comme l’explique son chef de projet Emmanuel Heyrman.
L’idée est de capitaliser sur les atouts du territoire qui bénéficie déjà de l’attractivité été comme hiver. Il met notamment l’accent sur le besoin « d’hybridation entre les différentes filières touristiques, agricoles et forestières ».
Le directeur du service tourisme, rappelle qu’il y a une centaine d’exploitations à l’échelle du parc qui font de la vente directe. Il cite la coopérative des Entremonts, « un bon exemple d’échange de clientèle : tous les skieurs passent à la coopérative acheter du fromage. À nous de faciliter ce travail de parcours client ».
Découverte des paysages, des savoir-faire, des produits locaux, des événements à la ferme comptent parmi la panoplie d’expériences clients à développer.
Une autre piste est aussi d’adresser des services à la population qui réside dans le massif et pas seulement à la clientèle de court séjour.
En 2023, un nouvel appel d’offres en vue d’une DSP sera publié, assorti d’un cahier des charges. La question des investissements se posera donc de nouveau.
« Malgré la pression financière, la communauté de commune estime qu’il y a une carte à jouer en matière de transition, sans rupture, mais dans la continuité », déclare Laurette Botta.
Isabelle Doucet
Lire aussi : L'avenir des emplois de montagne
S’affranchir du funiculaire
Durement frappée par les intempéries, la station de Saint-Hilaire-du-Touvet doit rapidement enclencher sa transition.
C’est un coup du sort dont les habitants du plateau de Petites Roches se seraient bien passés.
Le 29 décembre 2021, les laves torrentielles qui ont mis le funiculaire de Saint-Hilaire-du-Touvet hors d’usage ont aussi marqué le reste de la commune.
Une des conséquences est la fermeture de la station de ski.
« On ne pouvait pas ouvrir car la régie municipale des remontées mécaniques gère à la fois le funiculaire et la station qui est chroniquement déficitaire. Le déficit de 135 000 euros était compensé par le funiculaire », informe Alexandre Guerra, conseiller municipal en charge du dossier de la station. En parallèle de la fermeture, nous avons mené une réflexion globale sur l’avenir de la station avec les habitants du plateau. »
La première réunion publique s’est déroulée en juin dernier. « Il y a un attachement de toute la population à cette station », insiste Alexandre Guerra.
Un groupe de travail de 30 personnes a été constitué réunissant des citoyens volontaires, d’autres tirés au sort, des socioprofessionnels du tourisme, des élus et des personnes-ressources connaisseuses du fonctionnement de la station.
Le but : comprendre, analyser la situation, consulter d’autres acteurs confrontés au même questionnement, imaginer de nouvelles solutions pour développer des activités complémentaires au ski.
Une vocation sociale
Mi-novembre, à l’issue d’une nouvelle réunion publique une ébauche de projet a été brossée.
Le dossier est complexe. La petite station, qui comprend quatre téléskis, est située entre 1 000 et 1 400 m d’altitude.
« Les études prospectives indiquent un déficit de nivologie d’ici 10 ou 20 ans ». L’objectif est donc de compenser ce déficit par des activités complémentaires et quatre saisons.
Car la station de ski n’a pas dit son dernier mot, « tant que la météo le permet ». L’élu fait valoir la vocation sociale du site où de nombreux enfants ont appris à skier, qui propose un forfait abordable et accessible à tous, et où les habitants du plateau se retrouvent.
Rester sur le plateau
L’esquisse du projet s’articulerait en deux phases.
La première nécessiterait un investissement d’environ un million d’euros pour créer un cheminement autour du domaine skiable avec des activités ludiques et un parcours de découverte.
La deuxième phase, plus ambitieuse, réclame un investissement de 2,3 millions d’euros pour remplacer à terme les téléskis par un télésiège pour monter tous les usagers, skieurs, vvtistes, parapentistes, familles, randonneurs, été comme hiver, jusqu’en haut de la station.
Car le problème des Petites roches n’est pas tant de faire venir les gens que de leur proposer des activités pour qu’ils restent sur le plateau.
L’enjeu est la vie économique du site, de ses hébergeurs, ses restaurants, ses commerçants et de tous les acteurs touristiques, au-delà des trois emplois permanents de la régie et des 10 emplois saisonniers.
L’espoir pour tous est de démarrer sur de nouvelles bases dès 2023. Car la station, qui a passé avec succès son inspection décennale, est opérationnelle. Reste à trouver les financements qui permettront ses aménagements et son nouveau départ.
Quant au funiculaire, durement touché, il fait encore l’objet d’études. Sa réouverture est espérée pour 2024, année de son centenaire.
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