Charte de bon voisinage
Nuciculteurs et riverains tiennent les traitements à distance

Afin d'apaiser les tensions dans la vallée de l'Isère, la filière nucicole a signé le 10 décembre une charte de bon voisinage avec une association de riverains. Une première saluée par les élus et la DDT.
Nuciculteurs et riverains tiennent les traitements à distance

Alors que le gouvernement vient de fixer des « distances de sécurité » qui ne satisfont personne (1), la filière nucicole a réussi un tour de force. Le 10 décembre dernier, elle a officiellement signé, sous l'égide de la chambre d'agriculture et du Département, représenté par la vice-présidente et maire de Vinay, Laura Bonnefoy, une charte de bon voisinage avec l'association de riverains Noix nature santé. Un « résultat remarquable », salué par le directeur adjoint de la DDT en personne. « Vous avez réussi ensemble au niveau local un accord qui peine à déboucher au plan national, et dont le contenu est sans aucun doute possible plus abouti que les propositions actuelles qui sont débattues en plus hauts lieux », a écrit Bertrand Dubesset dans un message aux signataires (2).

C'était pourtant loin d'être gagné. Il suffit de se rappeler avec quelle appréhension la profession avait abordé la première réunion publique sur les traitements en nuciculture en février 2018. Organisés à Vinay, les débats avaient été houleux, mais finalement constructifs puisqu'ils s'étaient conclus par constat partagé : les deux parties devaient apprendre à se connaître pour se comprendre.

Guide des bonnes pratiques

Yves Borel, le président du CING, a lancé dans la foulée la rédaction d'un Guide des bonnes pratiques à l'usage des nuciculteurs, perçu par l'association Noix nature santé « comme un pas vers une réflexion sur l'utilisation des pesticides ». « Avant, quand on partait traiter, on ne se souciait pas de prévenir les riverains, convient Yves Borel. Avec tout ce travail, les agriculteurs ont pris conscience que certaines choses n'allaient pas. Mais le dossier n'est pas simple pour autant. Et il l'est d'autant moins que cette année a été très compliquée pour les paysans. Il ne faut pas trop les énerver... »

Mémoire courte

Christian Nagearaffe, l'un des artisans de la charte, en sait quelque chose. « Quand on a commencé le travail, il y avait le feu dans les campagnes, rappelle le producteur drômois, administrateur du CING. Nous n'étions pas nombreux à nous porter volontaires pour discuter avec Noix nature santé. Mais nous l'avons fait et nous sommes parvenus à un accord. Aujourd'hui, l'association ne crie plus, car nous avons fait ce travail avec elle. Ce qui m'attriste, c'est que les producteurs ont la mémoire courte. »

Tensions apaisées

Les discussions avec l'association, les efforts consentis de part et d'autre ont en effet pas mal calmé les esprits. Les élus sont les premiers à le reconnaître. « Cette charte de bon voisinage, travaillée avec tous les représentants de la filière de la noix, parle de respect des uns envers les autres, précise Laura Bonnefoy qui a suivi les débats avec beaucoup d'attention. C'est un travail de co-construction qui a largement contribué à apaiser les tensions dans le territoire. »

Attentes des riverains

Pour avancer, chacun a essayé de comprendre le point de vue de l'autre. Les professionnels ont ainsi accepté de « partir des attentes des riverains » et les représentants de Noix nature santé se sont efforcés de « comprendre les pratiques agricoles de l'intérieur », allant même jusqu'à participer aux journées techniques de la Senura. « Les paysans ne sont pas nos ennemis, déclare Sylvia Vieuguet, la présidente de Noix nature santé. Durant des décennies, ils ont été pris dans un engrenage, mais je pense qu'ils prennent conscience de la nocivité de certains produits et qu'ils vont en revenir dans les prochaines années. » La responsable a également proposé de s'inspirer de la fameuse « charte pour une arboriculture « pomme du Limousin » mieux intégrée à son environnement », signée en mars 2017 par le Syndicat de défense de la pomme du Limousin, des associations environnementales et l'association des maires, et d'essayer de l'adapter à la nuciculture.

Distance et produits

Les choses se sont peu à peu mises en place en mars dernier. « Nous avons commencé par le plus compliqué, à savoir la question des distances et les produits utilisés, précise Christian Nagearaffe. Au début, l'association disait qu'il fallait faire mieux que la loi. Petit à petit, nous avons trouvé des compromis. » La demande d'interdire les produits phytosanitaires à moins de 150 mètres des maisons s'est ainsi transformée en un engagement à « ne pas traiter les 50 premiers mètres autour de tous lieux habités (...) avec des traitements phytosanitaires de synthèse ». En revanche, « les produits autorisés en agriculture biologique pourront être appliqués sur ces 50 premiers mètres, en excluant la première rangée (...) qui ne subira aucune pulvérisation ».

La charte précise que les élus devront désormais prendre en considération la protection des riverains sans pénaliser l'activité agricole.

Si les nuciculteurs prennent ainsi « collectivement » des engagements, Noix nature santé, les riverains et les élus s'engagent de leur côté à respecter chacun les leurs (« conduire un dialogue constructif et courtois », « condamner les incivilités et le vandalisme », « respecter la propriété privée », « ne pas récolter les fruits », « saisir la cellule de médiation en cas de différends »...). Précision d'importance : il est précisé que les élus devront désormais « prendre en considération la protection des riverains, sans pénaliser l'activité agricole ». Autrement dit arrêter d'octroyer des permis de construire dans certaines zones cultivées.

Marianne Boilève

(1) Après l'annonce du dispositif le 20 décembre, la FNSEA, JA et Générations futures ont publié des communiqués faisant état de leur « profonde incompréhension » pour les syndicats agricoles, et dénonçant le « manque d'ambition » du gouvernement pour l'association environnementale.
(2) Les « partenaires » signataires de la charte sont le conseil départemental, la chambre d'agriculture, le CING, Coopenoix, Sica Noix, la Senura et l'association Noix nature santé en tant que représentante des riverains.

Télécharger la charte de bon voisinage en nuciculture