Intempéries
Les champs inondés par le Rhône

Isabelle Doucet
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La zone d’expansion de crue de la plaine Brangues-Le-Bouchage a servi de bassin déversoir du Rhône fin décembre, inondant une fois de plus les terres agricoles. 

Les champs inondés par le Rhône
Les Vergers du Bouchage ont été envahis par les eaux du Rhône. (Photo : Les vergers du Bouchage)

Dans la nuit de mercredi 29 à jeudi 30 décembre, le Haut Rhône a atteint son seuil d’alerte.
Pour prévenir les inondations à Lyon, la zone d’expansion naturelle de crue de la plaine Brangues-Le-Bouchage a été volontairement inondée par ouverture de la vanne au niveau de la digue pour permettre au Rhône de déverser son trop-plein.
De sorte que la plus grande partie des terres agricoles ont été recouvertes d’eau et que la décrue s’amorce très lentement. 
« Nous vivons avec ce risque, nous le savons, indique Philippe Fiard, arboriculteur et maraîcher. Mais tout dépend de l’époque à laquelle ont lieu les inondations. » Ses pommiers, trois hectares sur neuf, ont les pieds dans l’eau, mais peuvent résister. Mais il ne sait pas comment les 5 000 m2 de légumes plein champ vont s'en sortir « On ne voyait plus les légumes », raconte l’agriculteur.
« Nous avons eu beaucoup de pluie, ajoute-t-il. Il y a eu 30 cm d’eau dans les serres à cause des précipitations. Nous avons dû évacuer l’eau en faisant des tranchées et en pompant. »

L’eau stagne

L’inquiétude est assez forte pour les semis de blé et céréales à paille. « Le colza n’aime pas trop l’eau », explique Sébastien Bonnaviat de l’EARL Payerne au Bouchage.
La dernière fois où les vannes ont été ouvertes, c’est en janvier 2018. « L’eau remonte par les deux rivières, la Save et l’Huert, explique l’agriculteur. Le problème, c’est que les rivières ne sont pas entretenues, que des embâcles les bouchent et que les fossés ne sont plus curés. La décrue est donc très lente, environ 20 cm par jour. »
Pour cet enfant du Bouchage, le risque d’inondation est une habitude. « Mais la menace, c’est la grosse crue », comme celle de 1990 où l’armée avait été mobilisée pour sauver habitants et bétail. « L’impact des petites crues est variable selon les cultures. Mais de toute façon, il faut toujours nettoyer les champs après les inondations », ajoute-t-il. 

Pas de compensation

L’exploitant, qui élèves des bovins allaitants, a aménagé une plateforme de repli pour son matériel et les animaux. Il gère aussi ses cultures afin qu’elles soient moins exposées au risque d’inondation, mais la situation l’interroge. « Avec le réchauffement climatique, assiste-t-on à de plus grosses précipitations et sommes-nous exposés à un risque de petites crues plus régulièrement ? »
Il regrette aussi l’absence de compensation des préjudices subis par les exploitations agricoles, de la part de l’agglomération lyonnaise épargnée des inondations grâce au bassin d’expansion de Brangues-Le-Bouchage.
« Le problème, c’est que cette situation se reproduit, admet aussi Philippe Fiard. Des alertes, il y en a tous les ans. Là, il y a eu beaucoup de neige, le redoux et la pluie, on savait que ça se passerait. » Mais en l’absence de reconnaissance de catastrophe naturelle, comme en 1990, les agriculteurs ne peuvent rien attendre ni de l’État, ni espérer de l‘agglomération lyonnaise.

Isabelle Doucet

Maraîchage / Après le vol, les inondations
En canoé au-dessus des légumes à la Ferme des 4 saisons au Bouchage. (Photo : La Ferme des 4 saisons)

Maraîchage / Après le vol, les inondations

Les légumes plein champ auront du mal à s’en remettre après les inondations, forçant les maraîchers de La Ferme de 4 saisons à adapter leurs pratiques. 

« Cela s’est passé en deux temps. Il y a d’abord eu une montée des eaux due à la pluie, qui a fait remonter la nappe phréatique. Les mâches et les salades ont baigné pendant trois jours, raconte Amandine Gagneux, maraîchère de la Ferme des 4 saison au Bouchage. Puis il y a eu le lâcher de la vanne du Rhône et l’eau n’est pas montée au même endroit. » Les poireaux et les navets ont été submergés. « J’espère qu’ils ne vont pas pourrir », reprend-elle.
Sur six hectares, cinq sont restés sous les eaux pendant plusieurs jours. « A Brangues, nos poireaux étaient sous un grand lac. Ils sont très sales, mais la situation n’est pas critique. » C’est sur cette même parcelle que les maraîchers ont été victimes d’un vaste vol de courges en octobre dernier.
« Nous avons aussi deux chevaux pour nos cultures, ajoute la productrice. Nous les avons délocalisés à Brangues en hauteur car leur champ était inondé jusqu’à la clôture. Nous n’avons pas de zone de repli, or il faut faire vite quand l’eau arrive, à pied ou en monte, car nous n’avons pas de van. »

Remonter le bâtiment

Installés depuis moins de trois ans, Amandine et Wilfried Gagneux sont originaires du secteur et connaissent le risque de crue.
« Nous ne nous attendions pas à autant de récidives. Il faut s’adapter à la nature, confie Amandine Gagneux. Cependant, nous devons proposer un peu de choix pour nos clients, mais aussi ne pas planter tous les ans pour rien. Il nous faudra limiter les légumes qui risquent de s’abimer. La mâche et les épinards sont très sensibles par exemple. »
Pour la Ferme des 4 saisons, « la seule solution pour se protéger est de remonter le niveau de notre bâtiment actuel », déclare Amandine Gagneux.
« Pour mettre à l'abri nos récoltes en stock, matériels et bâtiments, le montant des travaux s'élèverait à 164 550 euros », reprend-elle. Certains dossiers sont d’ailleurs éligibles à une aide (État, Région, CNR) au titre de la réduction de la vulnérabilité des exploitations agricoles. 
« Nous avons besoin de relever le niveau du sol sur la totalité de notre grange de stockage, et de créer une plateforme pour mettre en hauteur et à l'abri également notre matériel tel que le tracteur, planteuses et autres engins agricoles, camions... », détaille encore la maraîchère.
En cas de grosse crue, l’estimation du montant des pertes pourrait grimper jusqu’à 246 000 euros (récoltes en stock, intrants et matériels compilés) pour l’exploitation.
« L’an dernier, nous avons beaucoup perdu », reconnaît encore l’exploitante. Mais elle trouve que le vol de récolte est « encore plus compliqué » à gérer que les inondations.
Pour autant, elle souligne le formidable élan de solidarité qui s’est déclenché autour d’eux à l’automne après la disparition des courges. Des clients, des proches, mais aussi des gens très éloignés mais touchés par leur mésaventure relatée dans les médias, ont participé à la cagnotte leur permettant de surmonter cette crise.
« Ça remonte le moral, il y a des gens bien », assure Amandine Gagneux. 

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