La journée des alpagistes s’est déroulée à l’Alpe-d’Huez où l’alpage, à la croisée de nombreux usages, a réussi à trouver un équilibre de fonctionnement.
« C’est un fonctionnement modèle, le résultat de 25 années de travail », assure Denis Rebreyend, le président de la Fédération des alpages de l’Isère (FAI), en présentant l’alpage de l’Alpe-d’Huez lors de la journée des alpagistes qui s’est déroulée début août.
Dans cette station de sport d’hiver où les usages sont multiples, il convient en effet de conjuguer en été les activités de plein air, le pastoralisme et les travaux d’aménagement.
L’outil qui permet de gérer tous ces enjeux, c’est l’Association foncière pastorale autorisée (AFPa) recréée en 2004. Elle regroupe près de 220 propriétaires de 2 000 parcelles dans un périmètre de 1 550 hectares s’élevant de 1 350 à 3 120 m d’altitude.
« S’il n’y a pas de regroupement, il n’y a pas d’alpage », assure Denis Delage, vice-président de l’AFP et adjoint au maire de l’Alpe-d’Huez. L’outil permet en effet les prises de décision en assemblée générale.
« Il est essentiel en zone touristique », appuie le vice-président. Une convention passée avec la commune permet en outre de rétribuer les propriétaires avec des indemnités d'impact.
Rénover les logements
« Ici, l’ensemble des dispositifs de la loi pastorale de 1972 sont mis en œuvre, explique Bruno Caraguel, le directeur de la FAI. Il y a une AFP autorisée, c’est-à-dire ayant fait l’objet d’un arrêté préfectoral, un groupement pastoral et une convention entre les éleveurs et l’AFP. »
Il indique qu’en Isère, 60 % du cheptel en alpages est confié à des groupements pastoraux (GP) et qu’il y a 37 AFP couvrant 25 % du territoire pastoral.
Jean-Yves Noyrey, maire de l'Alpe-d'Huez et Cyrille Madinier, vice-président du département en charge de l'agriculture et de la ruralité. photo : ID TD
Rémy Ougier, maire de Besse-en-Oisans et vice-président de la communauté de communes de l’Oisans en charge de l’agriculture, fait savoir que les 19 communes de la communauté ont toutes un alpage et onze d’entre elles ont une AFP. La collectivité a créé un poste pour les aider à fonctionner.
Par ailleurs, le plan pastoral territorial (PPT), porté par l’intercommunalité depuis 15 ans, permet quant à lui d’orienter les aides (régionale, européenne, départementale) en fonction des besoins des GP ou des AFP.
Les chalets des bergers, à l’image de celui de l’Alpe-d’Huez, ont ainsi pu bénéficier de lignes financières pour leur rénovation.
Ce dernier est un logement particulier puisque, comme le rappelle Jean-Yves Noyrey, maire d’Huez, il s’agissait de la cabine de chronométrage des épreuves de bobsleigh, lors des Jeux olympiques de 1968. Il a été entièrement réhabilité cette année.
Le chalet d'alpage de l'Alpe d'Huez. (photo ID TD)
« Sur 180 chalets en Isère, 80 à 100 sont dans un état correct. Mais nous ne pouvons pas nous limiter à cela », informe Christophe Moulin, de la FAI.
Pas moins d’un million d’euros, dont 500 000 euros pour les chalets, sont investis chaque année pour les équipements des alpages. Mais le chargé des améliorations pastorales note que la possibilité d’intervention dépend aussi de chaque situation.
En outre, si l’employeur est responsable des conditions de logement, il n’a pas la capacité d’intervenir, qui relève du rôle de la commune. Enfin, si 17 % des chalets sont qualifiés d’insalubres, seuls 8 % sont encore utilisés.
Cohabitation
Kévin Quattrochchi, le berger d’alpage qui fait sa première saison à Huez, ne se plaint pas des conditions de travail. L
e groupement pastoral composé de 13 éleveurs et présidé par Christophe Durhone, éleveur à Bizonnes, lui a confié 270 génisses de race allaitante. Les bêtes restent là-haut de fin mai à mi-septembre.
L’alpage de 290 ha jouxte la station. Le logement et de nombreux parcs sont accessibles en véhicule.
« Il est très bien équipé, il y a beaucoup d’aménagements. Il est bien adapté pour que tout le monde cohabite », note le berger, qui bénéficie aussi du coup de main de la Sata, la société d’exploitation du domaine skiable.
« Il y a beaucoup de VTT. Ils sont respectueux même s’il y a parfois quelques soucis », témoigne encore le berger.
L’alpage d’Huez bénéficie en outre de la ressource en eau fournie par un captage dans le lac Blanc. Un système de canal apporte l’eau au plus près des animaux. « Ce qui évite les tonnes à eau », indique Kévin Quattrochchi, contrairement à d’autres alpages moins bien équipés.
Si les bovins pâturent dans le bas de l’alpage, à proximité de la station, l’Alpes d’Huez possède un autre alpage, situé plus en hauteur du côté de Sarène, qui accueille 2 000 moutons transhumants.
Isabelle Doucet
Une complémentarité à rechercher entre éleveurs
La FAI a profité de ce temps d’échange pour aborder la question de la solidarité entre élevages transhumants et locaux en Oisans.
« L’Oisans est un territoire dense en matière d’alpages », a lancé Bruno Caraguel, le directeur de la Fédération des alpages de l'Isère (FAI), pour introduire le débat sur la solidarité entre élevages transhumants et locaux dans le secteur.
Il cite quelques chiffres issus d’une enquête pastorale qui, même si elle a été réalisée il y a une dizaine d’années, souligne des tendances durables.
« Sur les 286 000 ovins extra-départementaux des Alpes accueillis en été en Isère, 39 % viennent des Bouches-du-Rhône et 19 % du Var. » Les autres ovins viennent principalement des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence et de la Drôme.
En Oisans, 80 % des animaux estivés sont des ovins et 88 % viennent d’autres départements. Les bovins allaitants représentent 17 % des UGB.
Bruno Caraguel souligne « les bonnes relations avec les éleveurs » en matière de surveillance sanitaire des troupeaux.
Mais il cite deux points de nature à générer de possibles tensions : l’accès à la ressource en herbe et celui à la ressource en eau que vient percuter le changement climatique. Cependant, la solidarité peut jouer en sens inverse puisqu’il y a des animaux alpins qui peuvent trouver des solutions d’hivernage dans le Sud.
Une situation figée
C’est la question de la PAC et des DPB qui retient le plus l’attention des alpagistes.
Les Droits à paiement de base sont en effet « calculés sur des surfaces, rapatriées au chargement et au prorata temporis dans les exploitations adhérentes ». Bref, « si les transhumants amènent 90 % du cheptel ovin, ils repartent avec 90 % des DPB et on assiste à une artificialisation des flux économiques et une mise en tension des relations », constate le directeur de la FAI.
Cette question des DPB fige nombre de situations, à l’image d’un jeune installé dans l’Oisans qui a recherché une place en alpage sans succès. Le risque, pour les éleveurs d’un alpage qui activent leur DPB chaque année et selon une base établie en 2015, est de perdre leur droit d’activation si le nombre de bêtes à la surface varie.
« Il aurait fallu que les primes à l’hectare soient affectées aux groupements pastoraux. Ainsi, le collectif aurait pu en disposer », constate Hermann Dodier, spécialiste de la PAC et des alpages à la FAI.
« Il faut que l’éleveur local ne se sente pas exclu d’un système global d’exploitation, plaide Denis Rebreyend, le président de la FAI. De façon ancestrale, les grands troupeaux venaient chercher de la ressource fourragère dans les Alpes, mais il faut que les locaux aient leur place. Il y a une complémentarité à rechercher. »
Une complémentarité qui peut être réglementaire, mais aussi en termes de compétences financières et logistiques de la part des transhumants, et de connaissance du territoire de la part des agriculteurs locaux.
ID
Si les loups sont là, les patous aussi
« Le loup est là et les vaches sont effrayées. Nous avons des soucis avec le loup et donc avec les patous », résume Valérie Orcel, présidente de l’AFP de l’Alpe-d’Huez. Sur cet alpage, la saison 2023 avait été particulièrement difficile avec des vaches dispersées et apeurées qu’il avait fallu chercher pendant plusieurs jours.
Cette année, ce sont les patous qui font l’objet d’une large exposition médiatique en raison d’incidents avec les randonneurs.
« On nous a vendu les chiens de protection comme une solution miracle en 1992, mais il y a des effets collatéraux énormes, déclare Denis Rebreyend, le président de la Fédération des alpages de l'Isère (FAI). Je suis inquiet quant à la gestion de ces molosses. Il y en a entre 600 et 800 en Isère et 8 000 dans les Alpes. »
L’application de la loi sur les chiens mordeurs ajoute à la difficulté puisqu’à chaque incident signalé, l’animal doit faire l’objet d’une évaluation de comportement et recevoir un vaccin antirabique. La DDT et la DDPP se sont mises en ordre de marche pour suivre les signalements de morsures. D’autant qu’un questionnaire destiné aux randonneurs permet de faire remonter toutes les informations à la FAI et à la DDT.
Juliette Fortunier, bergère employée par la FAI pour gérer le dossier des chiens mordeurs, constate que l’application systématique du protocole « ne satisfait personne ».
Elle précise : « Les éleveurs vivent des situations compliquées, ont le sentiment d’une injustice. » Début août, onze protocoles de chiens mordeurs avaient été appliqués en Isère pour des morsures ou des pincements.
Laurent Plançon, éleveur à Mens, constate cependant que les patous ne suffisent pas à la protection des troupeaux, qui doivent être associés à des tirs de défense.
Pour des troupeaux bovins, pour lesquels il n’existe pas de systèmes de protection, des expérimentations de tirs sont en cours dans certains départements, à la condition que les éleveurs travaillent sur leurs pratiques.
D’autres essais portent sur l’introduction de chiens de protection ou la surveillance des bovins par GPS.
« On assiste à un changement complet des modes d’élevage, regrette Denis Rebreyend. Il devient impossible de faire de l’agneau gras en alpage et les bovins doivent vêler en stabulation. Ce sont des choix de société. »
ID