Environnement
Contrôles : les agriculteurs demandent des précisions

Isabelle Doucet
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Une rencontre entre les agents de l’OFB et la profession agricole a eu lieu à Roussillon. L’objectif : lever les incompréhensions entre pouvoirs des uns et pratiques des autres.

Contrôles : les agriculteurs demandent des précisions
Lors de la rencontre entre les arboriculteurs et les agents de l'OFB à Roussillon.

Au lendemain de l’épisode de gel du mois d’avril qui avait mobilisé les arboriculteurs de la vallée du Rhône durant plusieurs jours et nuits, l’Office français pour la biodiversité (OFB) avait effectué un contrôle inopiné dans les vergers, suscitant un vent de panique chez les professionnels.
À cela s’ajoutait la récente et très lourde condamnation, par le tribunal de Grenoble, de Pierre-Yvon Paret à qui il était reproché d’avoir débordé sur le traitement en période de floraison.
Autant d’événements qui disent le malaise de ces producteurs de fruits pris en étau entre contraintes réglementaires - parfois contradictoires -, caprices climatiques, suspicion sociétale et nombreux contrôles.

Pour combler cette incompréhension entre le pouvoir de police environnementale et les professionnels, la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes a piloté plusieurs rencontres en région entre l’OFB, les producteurs, le syndicalisme et les chambres d’agriculture.
Ils se sont retrouvés à Roussillon le 18 mai dernier, dans les vergers de Serge Figuet et Pierre-Yvon Paret.

Une mission incomprise

Les producteurs avaient leur besace pleine d’interrogations et de remarques.
Les agents de l’OFB ont expliqué le sens de leur mission. Jacques Dumez, le directeur régional de l’OFB, a relaté la jeunesse de l’organisme né en 2020 de la fusion entre l’AFB (1) et l’ONCFS (2).
Des équipes importantes, des métiers différents, deux ministères de tutelle, l’Agriculture et l’Écologie, un travail mené avec les préfectures, la Draaf et la Dréal : l’OFB occupe un très large périmètre et de nombreuses missions. Sa principale est celle de police, c’est aussi la plus incomprise.

Protection des abeilles

En matière de contrôles phytosanitaires, les agents de l’OFB s’intéressent principalement au respect des zones de non traitement (ZNT) à 5 mètres, à l’échelle des bassins-versants et pour tous les usagers.
Ils veillent aussi à l’application de la loi Labbé qui concerne l‘interdiction d’application de produits phytosanitaires dans l’espace public par les collectivités ou les particuliers.
Enfin, depuis le 20 novembre dernier, ils ont en charge le respect de l’arrêté relatif à la protection des abeilles. Le texte autorise le traitement des cultures considérées comme attractives pour les pollinisateurs le soir uniquement, de deux heures avant le coucher du soleil à trois heures après, selon l’éphéméride du jour.
Cet arrêté suscite énormément d’incompréhensions chez les arboriculteurs qui en ont exposé les limites aux agents de l’OFB.

Des contradictions

« Comment faire pour intervenir en une seule fois pour traiter 40 ha d’abricotiers avant la fleur, au mois de mars-avril et dans le respect des horaires ?, interroge Jérôme Jury, arboriculteur à Saint-Prim. Il nous faudrait deux fois plus de matériel et deux fois plus de tractoristes. Ce qui augmente les coûts d’intervention et nous n’en avons pas les moyens. » Il s’interroge aussi sur la question du couvert végétal.
Alexandre Fraysse possède une exploitation à cheval entre l’Isère et la Drôme. Il dénonce une situation ubuesque où l’arrêté abeille vient percuter un arrêté préfectoral concernant les nuisances sonores. Conclusion, à l’heure où il sort son tracteur, il n’a plus le droit de faire de bruit au risque d’être verbalisé.

De la pédagogie

Philippe Cornet, adjoint au chef de service police Auvergne-Rhône-Alpes de l’OFB, explique que dans ce cas, c’est la hiérarchie des normes qui prévaut, l’arrêté ministériel s’imposant à l’arrêté préfectoral.
Mais il prend la mesure des freins qui empêchent les producteurs de prendre soin de leurs cultures.
« La nuit, c’est compliqué
, confie Pierre-Yvon Paret. Avec le voisinage, cela prend des proportions… »
Jérôme Crozat, le président de la FDSEA de l’Isère, raconte que « les élus ne sont pas au courant. Au moment des traitements sur colza, j’ai eu cinq coups de fil de la part des maires. Il faut amener de la pédagogie et une information auprès des maires qui sont questionnés. »

Première, deuxième, troisième fleur…

Les agriculteurs s’inquiètent aussi de l’appréciation des agents de l’OFB.
La floraison fait débat. « Est-ce que j’ai le droit de traiter quand il y a des fleurs secondaires ou tertiaires ? », interroge Alexandre Fraysse.
L’OFB assure être « dans une démarche progressive. S’il y a une fleur par ci, par là, on n’intervient pas. Notre but n’est pas de piéger les gens. »
Les agriculteurs réclament des éclaircissements sur ces points car l’arrêté abeille définit la période de floraison comme « s’étendant de l’ouverture des premières fleurs à la chute des pétales des dernières fleurs ».
Le ministère de l’Agriculture a d’ailleurs ouvert une foire aux questions afin de faire remonter tous ces détails techniques.
Car les producteurs sont paniqués à l’idée de tomber sur des agents « qui ne veulent rien savoir ».

Former les agents de l'OFB

Jean-Claude Darlet s’amuse presque de voir que la fleur de noyer peut être considérée comme attractive alors que jamais une abeille n’est venue la butiner. Son oubli de la liste d’exception est une aberration de plus de l’arrêté. Mais le risque est de rencontrer un agent tatillon qui ne connaît pas cette spécificité.
Chambre d'agriculture France (APCA) et la FNSEA ont d’ailleurs formulé la demande, auprès de l’OFB, afin que les agents soient formés à la connaissance des filières agricoles et de leurs enjeux. Jacques Dumez convient du besoin de formation en la matière. La pertinence des contrôles en dépend.
Recrutés sur concours à partir du niveau bac, et formés pendant un an, ces agents de la fonction publique ont un pouvoir de police.
Leurs compétences judiciaires sont immenses et ne leur permettent pas à ce jour d’être spécialisés.

Fréquence des contrôles

La lourde condamnation de Pierre-Yvon Paret est restée en filigrane de façon à ne pas entacher les échanges d’une rencontre voulue constructive.
Pour autant, Pierre Dumez a précisé que les affaires environnementales étaient traitées par le parquet de Grenoble qui avait été désigné comme pôle régional, le parquet d’origine de l’affaire se dessaisissant automatiquement au profit de la capitale des Alpes.
Enfin, les professionnels se sont aussi inquiétés de la fréquence des contrôles et de l’articulation entre ceux de l’OFB et la conditionnalité de la PAC. Jean-Claude Darlet a demandé d’éviter de contrôler des personnes « au bord du burn-out ».
« Nous sommes tous très pointus dans ce que nous faisons », a encore plaidé Serge Figuet, espérant, « une légère tolérance » pour jongler entre le vent, le bruit, les horaires et la température.
À la veille d’une crise alimentaire et alors que la France n’a jamais été aussi près d’une perte d’autonomie, Jérôme Crozat déclare : « Il faut trouver des solutions pour garder tout le monde chez nous et créer des emplois ».
Cela passe avant tout par une connaissance des pratiques agricoles et une meilleure communication.
Isabelle Doucet

(1) AFB : Agence française pour la biodiversité
(2) ONCFS : Office national de la chasse et de la faune sauvage

 

Une surveillance de tous les instants
Sébastien Mollet, chef du service départemental de l'OFB en Isère, Emmanuel Massit, chef de service adjoint, et Jacques Dumez, directeur de l'OFB Auvergne-Rhône-Alpes dans les vergers de Roussillon.

Une surveillance de tous les instants

La pression fongique ou de nuisibles sur les vergers réclame une attention soutenue de la part des arboriculteurs et des interventions rapides.

« Une fois qu’elle se met sur une feuille, elle se met partout. Le moindre crachin, il faut taper. » La tavelure, c’est la bête noire, ou plutôt le champignon redouté de tous les arboriculteurs et principalement des producteurs de pommes.
Ils ont essayé d’expliquer aux agents de l’OFB, dans le verger de Roussillon, leurs principes de lutte contre les agressions fongiques ou de nuisibles.
Si la lutte alternative est possible en traitement préventif, il reste encore quelques molécules disponibles pour les traitements curatifs ; des molécules dont les producteurs peuvent difficilement s’affranchir.
La disparition annoncée du fongicide Captane les plonge d’ailleurs dans l’incertitude. « Nous mettons tout en œuvre pour éviter les interventions chimiques », insiste Serge Figuet, producteur à Roussillon.
En présence des agents de l’OFB invités à visiter son verger, il explique les pas de géant effectués par la profession en une poignée d’années.

« Nous ne sommes pas des pollueurs »

« Avec Pierre-Yvon Paret, pour la pollinisation, nous installons 500 ruches sur les 300 ha des deux vergers. Nous nous entendons aussi pour les enlever, notamment si nous prévoyons une intervention insecticide, détaille-t-il. Notre objectif est que l’apiculteur revienne l’année d’après ! ».
Pour lutter contre le carpocapse, les arboriculteurs pratiquent la confusion sexuelle, en agriculture biologique comme en conventionnelle. Un arbre sur trois reçoit une capsule et les vergers sont aussi équipés de bandes collantes connectées pour contrôler la pression et intervenir au pic de la présence de l’insecte.
« Mais ce n’est pas parce que nous sortons un atomiseur qu’il y a des produits chimiques dedans, reprend Serge Figuet. Nous pulvérisons par exemple de la bouillie sulfo-calcique (1) qui est autorisée en agriculture biologique. À d’autres moments, c’est du talc que nous appliquons. Il faudrait arriver à expliquer cela car dans les grands médias, ce sont toujours des documentaires à charge. Nous voudrions qu’il y ait une approche grand public où nous ne sommes pas présentés comme des pollueurs. »

ID

(1) fongicide insecticide et antiacarien

L’OFB en chiffres
Réunion de travail à Ville-sous-Anjou entre la profession agricole et les agents de l'OFB.

L’OFB en chiffres

L’effectif de l’OFB est de 2 800 personnes au niveau national dont 1 800 agents de terrain.
En Auvergne-Rhône-Alpes, il y a 230 agents, 20 sont basés à Bron (69) et 15 à Lempdes (63) et les autres sont répartis dans les 12 services départementaux.
Avec ses 20 agents, le département de l’Isère compte le plus gros effectif entre Apprieu (siège), Vizille et Gières.
En Isère, les missions de police occupent 45 % du temps des agents qui sont très sollicités sur le dossier loup.
450 contrôles ont été menés en 2021 qui ont conduit à 1/3 de non-conformité. Un tiers de ces contrôles concernent la police de l’eau (qualité, pollution, quantité, débits réservés etc.). 14 % des usagers concernés par ces contrôles sont des agriculteurs. Les agents de l’OFB ont dressé 50 procès-verbaux, distribué 49 timbres-amendes et 40 procédures font l’objet de suites administratives.

Compétences judiciaires des inspecteurs de l’environnement
Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l'Isère? Jacques Dumez, directeur de l'OFB Aura, Philippe Cornet, adjoint au chef de service de la police de l'OFB Aura, Sébastien Mollet, chef du service départemental de l'OFB en Isère et Emmanuel Massit, chef de service adjoint.

Compétences judiciaires des inspecteurs de l’environnement

• Police de l’eau ;

• Police des espaces naturels (milieux « protégés », circulation des véhicules à moteur dans les espaces naturels) ;

• Police de la faune, de la flore, des minéraux ;

• Police de la chasse ;

• Police de la pêche ;

• Police de la publicité, des enseignes et préenseignes ;

• Déchets, matériaux et autres objets ;

• Infractions prévues par le code pénal en matière d’abandon d’ordures.