Rendez-vous de l'agriculture de Beaucroissant
Les canons anti-grêle perturbent-ils le régime des pluies ?

Marianne Boilève
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Les agriculteurs équipés de dispositifs anti-grêle sont soupçonnés par certains de leurs collègues de perturber le régime des précipitations. La conférence organisée par le CAD le 16 septembre, dans le cadre de la Nuit de l'agriculture à Beaucroissant, devrait démêler le vrai du faux.

Les canons anti-grêle perturbent-ils le régime des pluies ?
Les canons anti-grêle de Saint-Maurice-l'Exil. (Photo Guillaume Thévenas)

Utilisés depuis la fin du XIXe siècle, les dispositifs anti-grêle font partie de l’artillerie pour protéger les vergers et les vignes. Mais leur développement depuis quelques années suscite de nombreuses critiques, tant de la part des riverains qui se plaignent des nuisances sonores, que de certains exploitants qui soupçonnent les canons anti-grêle de « dévier la pluie ». Pour y voir plus clair et permettre aux agriculteurs de se forger leur propre opinion, le Conseil de l’agriculture départementale de l’Isère (CAD) consacre sa troisième Nuit de l’agriculture au sujet. Un météorologue et deux responsables du groupe Spag-Eole (leader français des systèmes de protection anti-grêle et anti-gel) témoigneront aux côtés de Guillaume Thévenas, arboriculteur à Saint-Maurice-l’Exil et président de l’association de l’Avenir agricole samauritain.

Ondes de choc

« Nous avons toujours eu de la grêle sur le plateau de Louze, raconte Guillaume Thévenas. Avant, c’était quelques orages par-ci par-là. Mais depuis une dizaine d’années, nous avons de gros sinistres : neuf en dix ans. » Pour faire face, Guillaume Thévenas a  installé des filets paragrêle sur les pommiers. Puis il a investi dans des canons anti-grêle pour préserver les vergers de fruits à noyaux. Déclenché 20 minutes avant l’arrivée de l’orage sur la zone à protéger, les engins produisent des explosions répétitives (toutes les sept secondes) qui génèrent de puissantes ondes de choc se propageant jusqu’à la stratosphère. Lorsque la grêle traverse cette concentration d’ondes, elle subit une « friction intense » décongelant la partie extérieure des grêlons, qui tombent sur les cultures sous forme de pluie ou de neige fondue.

80 hectares protégés

En Isère, dans la vallée du Rhône, de Chanas à Cheyssieu, une douzaine de canons anti-grêle ont été installés ces dernières années. A Saint-Maurice-l’Exil, Guillaume Thévenas et cinq de ses collègues ont monté une association pour pouvoir s’équiper. « Il y a quatre ans, nous avons installé deux canons et nous sommes rendus compte, dès les premiers orages, que tout avait grêlé, sauf dans un rayon de 500 mètres autour du canon, soit 80 hectares protégés », précise l’arboriculteur élu président du collectif.

Positionnement stratégique

Malgré un coût à l’hectare assez élevé, l'Avenir agricole samauritain a investi dans deux nouveaux canons en 2019. « Le positionnement de l’engin est stratégique, explique l'arboriculteur. Comment protéger ? Qui protéger ? C’est toute la question. Toutes nos surfaces financent nos canons. Il y a même un gars dont nous couvrons le verger à  90%, mais il ne veut pas adhérer à l’association, ni cotiser. »

Détonations

Si l’efficacité des installations n’est plus à démontrer –  sauf quand le canon est déclenché trop tard –, les habitants du secteur se sont plaint du bruit des détonations. Les agriculteurs avaient pourtant pris des précautions. « Nous avions prévenu la mairie, organisé une réunion publique et veillé à ce que les canons ne soient pas installés à moins de 200 mètres des habitations, sauf de la mienne, souligne Guillaume Thévenas. Mais quand les canons ont commencé à tourner un peu, les habitants ont râlé, des comités se sont créés… Finalement, à force de discuter, d’expliquer à quoi servent les canons, les gens ont compris. » 

Les viticulteurs faiseurs de pluie ?

Reste le reproche des collègues agriculteurs du secteur qui prétendent que les dispositifs anti-grêle « dévient la pluie ». Eleveuse dans le Viennois, Christine constate qu'« à chaque fois que les viticulteurs tirent, on voit passer les nuages, mais on n'a pas une goutte d'eau. Ils font vraiment la pluie et le beau temps !  » L'accusation est balayée par les vendeurs de dispositifs anti-grêle. « Les ondes produites par les canons ne modifient ni le temps ni la climatologie, affirme Laurent Héritier, responsable filiale chez Spag France. Quand on regarde les chiffres par secteur, la courbe des pluies est en dent de scie ces dernières années. Mais on ne constate pas de corrélation entre le niveau de précipitation et la présence ou non des canons anti-grêle. » 

Pas d'incidence sur la pluviométrie

Propos confirmés par Christophe Ferré, météorologue chez Arhya, groupe expert en gestion des risques. « Les canons n’ont aucune incidence sur la pluviométrie, tout simplement parce que les paramètres atmosphériques qui provoquent les précipitations se forment des jours avant que les canons ne se déclenchent, indique-t-il. Les canons ne dévient pas les masses d’air. Ils ne font que casser les processus de formation de la grêle. » Et Laurent Héritier de conclure en souriant : « Si nous arrivions à modifier la climatologie, ce serait formidable et nous vendrions nos canons beaucoup plus chers. » Dans les secteurs où les canons tonnent régulièrement, on reste sceptique.

Marianne Boilève

« Les dispositifs anti-grêle dévient-ils la pluie ? » Conférence en introduction de la Nuit de l’agriculture, organisée le 16 septembre à 20 heures sous le chapiteau de l’Espace charolais.
Intervenants : Guillaume Thévenas, arboriculteur à Saint-Maurice-l’Exil et président de l’Avenir agricole samauritain, Laurent Héritier et David Ollivier (Groupe Spag-Eole), Christophe Ferré (météorologue chez Arhya).