Tranche de vie
L'histoire de la création du premier Gaec de l'Isère

Isabelle Brenguier
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Retraité de l'agriculture depuis 32 ans, Henri Périer-Camby partage les souvenirs de sa carrière, dévoilant au sein d'un ancien modèle agricole, un esprit innovateur et précurseur. 

L'histoire de la création du premier Gaec de l'Isère
Henri Périer-Camby, 92 ans, a créé le premier Gaec de l'Isère.

L'heure de la retraite a sonné depuis longtemps pour Henri Périer-Camby, aujourd'hui âgé de 92 printemps. Installé dans sa maison de Saint-Etienne-de-Crossey, à proximité des terres qu'il a cultivées dans sa jeunesse, il convoque ses souvenirs pour nous faire partager son expérience d'agriculteur isérois des années 1960 à 1990.

Durant cette période, les exploitations sont individuelles, orientées en polyculture-élevage et comptent un petit nombre d'hectares. Mais décidé à améliorer son revenu, de même que ses conditions de travail et de vie, Henri Périer-Camby n'hésite pas à sortir des sentiers battus de l'époque. Son propos révèle une force de caractère et la nature d'un chef d'entreprise.

Se libérer un dimanche

« J'avais entendu parler d'agriculteurs qui se regroupaient pour mieux profiter de la vie. Avec deux voisins de Saint-Etienne-de-Crossey, Abel Barnier et Jean Bertholet, nous avons voulu faire pareil. D'autant que nous avions déjà du matériel en commun et que nous pratiquions l'entraide pour certains travaux. Accompagnés par les techniciens de la Chambre d'agriculture de l'Isère, nous avons créé le Gaec de l'Etang-Dauphin. A nous trois, nous regroupions ainsi 45 hectares de terres labourables et de pâturage », se souvient l'ancien exploitant. C'était en 1962. Ce Gaec était le premier du département de l'Isère. 

Si les trois associés avaient beaucoup à faire, cette nouvelle organisation leur permettait cependant de se libérer un dimanche sur trois. Une nouveauté pour les Périer-Camby qui profitaient de cette journée pour partir en famille en voiture visiter les environs. « Nous sommes allés à Aiguebelette, à la Bérarde. C'est grâce au Gaec que nous avons pu faire ces sorties », racontent Madeleine et Jacqueline, ses deux filles aînées.

Vente directe

Pour augmenter leurs revenus, Abel Barnier, Jean Bertholet et Henri Périer-Camby se sont lancés dans une nouvelle entreprise alors peu répandue : la vente directe de lait cru. Leur objectif était de diversifier la commercialisation de leur production, réservée jusque là à la coopérative laitière agricole de la région grenobloise, Dauphilait.

Pour s'assurer d'avoir un troupeau sain, indemne de tuberculose, ils ont acheté en 1963 et 1964 de nouvelles vaches qu'ils ont fait venir en train des Ardennes. « Il s'agissait de frisonnes (maintenant appelées holstein, ndlr). Nous avons fait venir deux lots de 17 bêtes, puis nous les avons ramenées à pied de la gare de Voiron », précise l'ancien éleveur. Dans les bâtiments de Jean Bertholet, ils ont créé une laiterie, à côté de la salle de traite. « Nous avons investi dans un tank à lait de 1 000 litres, ce qui était très rare à l'époque, et dans un poste à souder les berlingots qui conditionnaient le lait », souligne Henri Périer-Camby.

Ils avaient comme débouchés les petites épiceries et les supermarchés Genty-Cathiard (groupe de distribution fondé en 1924 et racheté par la société Rallye en 1990, ndlr) à Grenoble. 

C'est ainsi que la vente directe de leur lait a commencé. Rapidement, leur projet s'apparente à une une réussite. 

140 hectares

Forts de ce succès, le troupeau de vache s'étoffe. Il compte désormais 70 bêtes. Les trois associés trouvent d'autres clients. Parmi eux, le lycée Edouard Herriot et l'hôpital de Voiron. Ils développent encore de nouveaux produits comme le fromage blanc, pour accroître la valeur ajoutée de leur production.

Comme ils l'espéraient, leurs revenus augmentent. Ils passent de 600 francs par mois avant la mise en place de la vente de lait cru, à 1 400 francs, en 1972. « Nous ne croyions pas notre comptable quand il nous l'a annoncé », se remémore Henri Périer-Camby. Ils ont ainsi pu développer leur parc de matériel, en achetant de nouveaux tracteurs et un tracteur-pelle pour charger le fumier, le lisier, l'ensilage. L'exploitation fonctionne bien. Les trois agriculteurs cultivent ensemble 140 hectares. Ils embauchent des salariés et des stagiaires. 

En 1976, Abel Barnier quitte le Gaec pour travailler à l'extérieur. En 1982, Jean Bertholet et Henri Périer-Camby cessent l'activité laitière. Fatigués, ils s'orientent vers les vaches allaitantes en achetant des salers et des charolaises et développent la vente de semences de graminées.

Le Gaec de l'Etang-Dauphin est dissous le 31 août 1989, quand les deux derniers associés prennent leur retraite.

D'autres carrières

Quand on demande à Henri Perier-Camby s'il a toujours voulu devenir agriculteur, il répond qu'il n'a pas eu le choix. Même s'il travaillait bien à l'école, son père lui disait qu'« il n'y a pas besoin du brevet pour traire les vaches ».

Ce n'est pas ce qu'il pense. « Mieux on est instruit, mieux on se débrouille dans la vie », indique-t-il. Pour autant, il a aimé son métier, et en particulier s'occuper des animaux. Il n'a cependant encouragé aucun de ses six enfants à reprendre la ferme. S'ils sont restés dans les environs, ils ont embrassé d'autres carrières.

Isabelle Brenguier