Nutrition
La matrice crée des liens bénéfiques

La matrice crée des liens bénéfiques
Source : doc Inrae, Anthony Fardet. (voir dans le schéma)

Manger c’est bien. Manger en connaissance de cause, c’est beaucoup mieux. Et offrir des produits de qualité à leurs consommateurs est l’objectif profond que se fixent les producteurs et les transformateurs du Pôle agroalimentaire de l’Isère réunis sous la marque IsHere. C’est pour cette raison, pour savoir si les produits qu’ils proposent sont meilleurs, que lors de son assemblée générale, le PAA a invité en visioconférence Anthony Fardet, chercheur de l’Inrae à Clermont-Ferrand, spécialisé en nutrition humaine (1). 

Les calories ne se valent pas

Le potentiel santé d’un aliment dépend des nutriments qu’il contient (sa composition en lipides, glucides, protéines, fibres…) et de ce que le chercheur appelle l’effet matrice, c’est-à-dire la structure qui relie ces composants créant des interactions et des synergies particulières entre les principaux constituants de l’aliment. Cette combinaison va avoir un effet direct sur la biodisponibilité des nutriments, l’index glycémique de l’aliment, la sensation de satiété… « L’effet matrice est tel que deux aliments de même composition, mais qui n’ont pas subi la même transformation n’agissent pas de la même façon », explique le chercheur. « Un gramme de fructose dans un fruit n’est pas comparable à un gramme de fructose dans un soda. » Les calories et les nutriments ne sont pas interchangeables d’un aliment à l’autre. Toutes les calories ne se valent donc pas. 

Cela n’a rien à voir avec l’équilibre nutritionnel. Mis à part le lait maternel, seul aliment parfaitement équilibré, les aliments ne sont pas équilibrés naturellement. C’est leur ingestion durant une période, une semaine par exemple, qui permet de dire s’il y a un équilibre global. 

La matrice crée donc des liens entre les nutriments et leur confère des qualités que l’alimentation va utiliser au mieux par l’action mécanique (mastication) ou chimique (digestion) qu’elle va engendrer. Les nutriments ont dans ce cas-là un effet bénéfique sur la santé. 

Le craking appliqué aux aliments

Mais depuis plusieurs décennies, la matrice peut subir des procédés de dégradations et d’artificialisation infligés par l’industrie alimentaire. Les procédés technologiques d’intervention sur la préparation des aliments, et donc sur la matrice, se sont multipliés : thermiques, mécaniques, fermentaires, ajout d’ingrédients pour conserver. Ces actions ont généralement pour finalité d’assurer une sécurité alimentaire ou sanitaire. « On est passé après-guerre au craking par lequel on isole les nutriments, on fractionne, on hydrogénéïse, on souffle… », explique Anthony Fardet. La matrice perd donc son rôle de cohésion puisque l’on détruit certains liens et que l’on ajoute des éléments qu’elle ne contrôle pas. « Nous aboutissons à des aliments ultra-transformés révélés par des marqueurs d’ultra-transformation (MUT) : les additifs, les arômes, les ingrédients ultra-transformés issus du craking et les traitements technologiques drastiques directement appliqués à la matrice alimentaire », détaille le chercheur. Les traitements directs ont par exemple pour effet « de transformer les sucres naturels en bombe sucré ». Ces interventions font que les interactions entre les nutriments sont modifiées. Ceux qui ont été ajoutés ont de nouvelles ou davantage d’interactions. Au final, les nutriments peuvent devenir délétères pour la santé humaine. « Toute transformation d’un aliment modifie son potentiel santé, résume le chercheur. La seule transformation qui peut le faire progresser est la fermentation. »

Siga contre Nutriscore

Face à ce constat, les chercheurs se sont demandés jusqu’où la transformation est possible sans que cela nuise trop à la santé. 

La classification Siga est donc apparue il y a quelques années, combattue aussitôt par les industriels de l’alimentaire qui ont préféré adopter le Nutriscore. « Nous entrons là dans un véritable conflit avec d’autres recommandations, souligne Anthony Fardet. Le Programme national nutrition et santé recommande de réduire la consommation des aliments ultra transformés de 20% sur la période 2018 à 2021. Or plus de 50% des aliments industriels Nutriscore A et B sont ultra-transformés. De la même façon, le PNNS préconise d’aller vers des produits laitiers (dont les fromages), les huiles de colza, de noix et d’olive. Mais ces aliments sont mal notés par le Nutri-score. » On comprend l’engouement des industriels. 

Les produits de la marque IsHere bien placés

La question qui taraudait les participants à l’assemblée générale du PAA de l’Isère était de savoir si les produits de la marque pouvaient être sujets à polémique. Selon l’analyse du chercheur, il n’y a pas de produits ultra-transformés dans la gamme de la marque IsHere. Ces derniers sont souvent bruts ou ont subi peu de transformation. Il remarque, pour certains d’entre eux, le recours à des additifs qui pourraient être évités : un acide citrique dans une purée de pomme bio, destiné à favoriser la conservation, pourrait être facilement remplacé par un jus de citron. « Il faut toujours savoir à quoi sert l’additif. Il peut y avoir des contraintes technologiques difficilement surmontables, mais on peut souvent trouver des solutions de remplacement pour éviter leur utilisation », avance-t-il sûr de son fait. 

Jean-Marc Emprin

(1) Chargé de recherches en alimentation préventive, durable et holistique

Inrae, Unité de nutrition humaine

(3) PNNS 4 (2019-2023)

 

 

Définition abrégée d’un aliment ultra-transformé

Les aliments ultra transformés sont caractérisés dans leur formulation par l’ajout d’ingrédients ou d’additifs cosmétiques à usage principalement industriel – et ayant subi un procédé de transformation excessif – pour imiter, exacerber, masquer ou restaurer des propriétés sensorielles (arôme, texture, goût et couleur). Il peut s’agir de procédés technologiques très dénaturants (cuisson-extrusion, soufflage…) 

Source : Monteiro, C. A., Cannon, G., Levy, R. B., Moubarac, J.-C., Louzada, M. L. C., Rauber, F., Khandpur, N., Cediel, G., Neri, D., Martinez-Steele, E., Baraldi, L. G., & Jaime, P. C. (2019). Ultra-processed foods: what they are and how to identify them? Public Health Nutrition, 22(5), 936-941.

Pour approfondir : les 3 V pour mieux se nourrir  ;  Les produits isérois bien notés