Commerce international
Agriculture et mondialisation en débat

Isabelle Doucet
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L’agriculture, variable d’ajustement des accords de libre-échange, était au cœur du débat organisé par le collectif Stop-ALE en présence des représentants de la FDSEA, de la Confédération paysanne et de la députée du secteur.

Agriculture et mondialisation en débat
Les débats sont allés du mondial au local, interrogeant les modèles agricoles.

Du libre-échange au libre débat, il n’y a qu’un pas que Marjolaine Meynier-Millefert, députée République en marche de la 10e circonscription de l’Isère, Philippe Allagnat, représentant le syndicat agricole de la Confédération paysanne et Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l’Isère, n’ont pas hésité à franchir, à l’invitation du collectif Stop-ALE Nord-Isère.
Une parlementaire, deux visions différentes du monde agricole, un public de citoyens d’obédience altermondialiste : la soirée promettait d’être animée.
Elle n’en a été que plus riche dans la qualité des échanges.

Tribunaux privés

Le 21 octobre dernier, à La Tour-du-Pin, en présence d’une quarantaine de personnes, les allers-retours sont allés bon train entre le mondial et le local.
À Stop-ALE, les accords de libre-échange font frémir car ils représentent « le niveau le plus élevé de libéralisation ».
Il y aurait plus de 3 000 traités de la sorte, destinés à favoriser les échanges commerciaux en réduisant les droits de douane entre États de même que les entraves aux échanges.
Premier problème dénoncé par le collectif Stop-ALE : « Seuls les investisseurs peuvent attaquer les États » et les litiges sont réglés par des tribunaux arbitraux privés.
Le collectif s’inquiète aussi de l’impact environnemental lié à l’augmentation des échanges commerciaux.

Production agricole et énergie

Ni pour, ni contre, la députée voit dans les échanges et les commerces « une condition de la paix ».
Elle indique « que la question environnementale est devenue le sujet » des négociations et que, concernant plus particulièrement le Ceta (1), le gouvernement entend plutôt renforcer ce volet que « faire tomber 10 ans de négociations internationales ».
Enfin, elle pense que les accords ont pour vertu « un effet miroir d’amélioration des normes de production ».
Jérôme Crozat, au diapason de la FNSEA, considère que les échanges commerciaux sont une vraie question de stratégie géopolitique.
La France est exportatrice de bon nombre de produits agricoles, à commencer par son excellence en vins et spiritueux, mais aussi ses céréales. Mais son déficit commercial est devenu chronique pour les fruits et légumes (plus de la moitié sont importés).



Production agricole, énergie : « le vrai débat est là », assure le syndicaliste.
Passer en 30 ans d’une situation excédentaire à déficitaire pose la question de la capacité des politiques et des représentants de l’Administration à défendre les intérêts de la France.
« L’État a le pouvoir de régulation. Doit-on laisser tout faire ? Fallait-il renier nos outils de production ? », interroge Jérôme Crozat. «
 Heureusement que nos aînés ont construit des barrages sinon, on n’aurait plus d’eau et plus d’énergie »
.

Le Rhône à pied

Jérôme Crozat réclame aussi « un vrai débat sur la consommation d’eau », alors qu’on reproche aux agriculteurs d’être trop gourmands mais que personne ne dit mot quant aux projets de géants des industries de la microélectronique et de l’hydrogène grenobloises. «
 Bassines »,
méthaniseurs : certains participants au débat pensent que ces outils sont là pour « engraisser des fermes » quand d’autres périclitent.
Le président de la FDSEA rappelle que le principe de la retenue d’eau est de la prendre en hiver lorsqu’elle regorge pour la restituer à l’étiage en été, de la même manière que le Rhône a été aménagé. « En 1894, on pouvait traverser le Rhône à pied », déclare-t-il.

Retour au local

Philippe Allagnat a souhaité replacer le débat sur un plan très local, en s’appuyant sur le modèle économique de son exploitation, qui s’est départie des importations de tourteau de soja, produit ses propres semences, excepté en maïs et emploie cinq personnes. « Je ne suis pas contre les accords de libre-échange, mais ils sont pilotés par des multinationales. Ce ne sont pas nos copains et nous sommes trop petits pour lutter et se défendre contre des gens qui écrasent notre travail. »



Dans la salle, le public fait part de ses craintes : lobbyistes de Bruxelles et Gaz à effet de serre, pression des multinationales et négociations « dans le plus grand des secrets », impossibilité de contrôler la marchandise entrante, situation des pays émergents etc.

Revenir aux fondements

Sur le volet agricole, le président de la FDSEA répond pied à pied à chacune des questions de la part de citoyens ayant quelques a priori.
Il rappelle qu’une production agricole répond aussi à une logique économique, qui dégage de la valeur, une TVA qui sert à faire fonctionner le pays. « Il y a des vérités fiscales », assène-t-il.
Interrogé sur le groupe industriel Avril, producteur d’oléagineux et sous gouvernance des organisations professionnelles, le président de la FDSEA en revient là aussi aux fondements.
Le groupe est né de l’embargo des États-Unis sur les exportations de soja en 1973 et de l’organisation de la profession agricole pour y faire face.
« Nous n’avons pas à rougir de notre travail », lance-t-il. Il poursuit : « A la FNSEA, on n’a pas de modèle, que l’on soit bio ou pas, mais on a toutes les grandes exploitations. »
« La FNSEA, ce n’est pas l’image que j’avais de vous, lance alors une dame dans la salle. Je ne vous connaissais pas. Je suis agréablement surprise. »
Ou les vertus d’un dialogue apaisé même quand les points de vue diffèrent.

Isabelle Doucet

(1) Ceta : accord commercial bilatéral de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada.