Filière lait
Préserver le potentiel laitier du département

Isabelle Doucet
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Les responsables des organisations de producteurs de lait de l’Isère se sont réunis à la chambre d’agriculture pour étudier des perspectives d’avenir.

Préserver le potentiel laitier du département
Les responsables d'OP et de coopératives laitières de l'Isère se sont réunis à la chambre d'agriculture.

L’Isère est un grand département producteur laitier et encore plus grand quand il s’agit de transformation. Pourtant, l’avenir de la filière inquiète.
C’est la raison pour laquelle tous les représentants des organisations de producteurs se sont retrouvés à la Chambre d’agriculture de l’Isère, fin décembre, pour échanger sur la situation de l’élevage laitier.
Pilotée par Aurélien Clavel, membre du bureau et producteur laitier, cette rencontre inédite devait explorer les premières pistes pour améliorer la situation de la production laitière.
Avec son regard extérieur, Pascal Denolly, président du Pôle agroalimentaire et ex-président de la FDSEA qui a partagé bien des « galères » avec les éleveurs, indique deux points de vigilance : la valorisation des produits et l’opportunité d’une situation un peu plus favorable « pour se projeter dans des solutions pérennes ».
Il invite les producteurs à plus de coopération. « Il y a une dynamique à recréer », assure le responsable.

Le prix et la main-d’œuvre

Deux sujets animent les échanges : le prix du lait qui a certes significativement augmenté, mais sans vraiment couvrir la hausse des charges, et la recherche de main-d’œuvre.
« Le lait n’est pas payé à la hauteur. La loi Egalim n’a pas trouvé les moyens d’y faire face », lance Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l'Isère et producteur laitier.
Il constate combien il est difficile pour les responsables d’OP de négocier avec les laiteries et leurs émissaires très affûtés.
Les producteurs soulignent le paradoxe que toutes les laiteries recherchent du lait, alors que le nombre d’exploitations chute et que le prix du lait peine à accompagner l’inflation.
« Le risque est la perte d’une dynamique laitière, souligne Aurélien Clavel.



Pour « préserver le potentiel laitier », Jérôme Crozat se montre proactif. « À nous de savoir où nous en sommes, d’un point de vue humain, du cahier des charges. Et à nous de décider ce que l’on peut faire pour changer. »
Le président de la FDSEA avait déjà émis l’idée d’une grande OP transversale. Il rappelle : « Avec le Criel et l’indexation du prix du lait, tout le monde s’y retrouvait (1). »

Des négociations qui achoppent

La loi Egalim n’a jamais réussi à contrebalancer la déréglementation du marché et la politique du moins-disant qu’observent les laiteries.
Et les négociations entre les OP et les industriels achoppent souvent sur les indicateurs. En période d’inflation, la règle de calcul a montré ses limites.
Les producteurs se demandent comment faire absorber les charges par les laiteries.
Celles-ci peuvent être très hétérogènes d’une exploitation à l’autre.
Mais en Isère, les coûts de production sont souvent élevés, qu’il s’agisse de lait produit en montagne ou en plaine. Enfin, les grilles de paiement sont différentes d’une laiterie à l’autre. Certaines n’appliquent que des prix A, d’autres, des prix A et B.
Quant au lait produit en agriculture biologique, les difficultés rencontrées par Biolait en particulier ont contraint des producteurs à se tourner vers d’autres opérateurs à l’image de la Fruitière de Domessin qui a récupéré certains producteurs ardéchois.

Un diagnostic filière

Pour comprendre l’ensemble de ces mécanismes, la Chambre d’agriculture de l’Isère, va lancer en ce début d’année un diagnostic de filière.
Il est proposé de mettre en place un vrai observatoire des prix et d’étudier de près la question de l’érosion des marges.
Car il y a urgence dans les fermes.
Tous les responsables d’OP font part de leur difficulté à trouver de la main-d’œuvre, un véritable frein au développement, un vrai repoussoir pour l’installation ou la reprise.
Salaires, hébergement, transport posent problème.
Paul Faure, président de Vercors lait, explique que le parc du Vercors apporte son aide financière au service de remplacement.


Idem pour La Fermière, dans les Hautes-Alpes, un département où il ne reste que 90 producteurs et qui collecte une dizaine d’Isérois.
Encore faut-il trouver du personnel. Une priorité qui dépend de l’efficience des services de remplacements.
Par ailleurs, constat est fait que l’exploitation laitière individuelle est un modèle dépassé et qu’il faudrait des aménagements pour favoriser l’installation en société.
Enfin, les investissements et le maintien des outils de production dépendent du dynamisme de la filière.
À l’issue de cette réunion, les responsables d’OP ont promis de se revoir, de mettre en place des groupes de travail et pris conscience de la force que représente leur collectif. Ils ont aussi mis en avant le besoin de la filière de mieux communiquer sur son métier.

Isabelle Doucet

(1) La période d’indexation du prix du lait en France encadrée par le Cniel a duré de 1997 à 2008. Sa cessation a été ordonnée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes au motif d’entente illicite.

« Reprendre le pouvoir dans les négociations »
Aurélien Clavel (à gauche), élu à la chambre d'agriculture en charge de la valorisation des filières, Thomas Huver, conseiller en charge de la filière lait CA38, Philippe Luyat, Stéphane Bonnois et Philippe Troussier (La Fermière/Plein lait yeux).

« Reprendre le pouvoir dans les négociations »

Membre du bureau de la Chambre d’agriculture de l’Isère en charge de la commission de valorisation des filières, il a remis le dossier lait sur l’ouvrage.

Dans quel but avez-vous provoqué cette réunion des OP laitières de l’Isère ?
Nous sommes dans un contexte où il manque du lait. La plupart des laiteries essaient d’assurer leur avenir en allant chercher des producteurs. C’est à nous producteurs de décider comment, en travaillant tous ensemble, on peut reprendre la main pour assurer l’avenir du lait dans le département. Soit nous continuons de subir, soit nous sommes capables de prendre ce virage.

Comment cela est-il possible ?
La question a été soulevée lors des assises nationales du lait, début décembre à Epinal, au regard de la loi Egalim. À savoir comment mettre cette loi plus en application et comment les opérateurs s’en saisissent ? Il y a l’exemple de l’Unell (Union nationale des éleveurs livrant à Lactalis, ndlr) qui a réussi à faire augmenter le prix du lait en saisissant le médiateur. Si le syndicalisme d’un côté essaie de faire évoluer la loi et que les OP négocient de l’autre avec les différents opérateurs, on peut arriver à travailler tous ensemble comme l’a fait l’Unell. En Isère, l’enjeu est d’arriver à construire quelque chose avec les différents acteurs de la filière pour garder un nombre de producteurs suffisants.

Quelles sont les pistes envisagées ?
Le diagnostic de la filière lait est important. Nous le partagerons avec tous les acteurs de la filière lait. Il faut aussi répondre aux besoins de main-d’œuvre et travailler sur le renouvellement des producteurs. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais il s’est accentué. Nous souhaitons aussi mettre plus de lien et une meilleure communication entre les différents acteurs. Toutes les OP du département sont en demande, pour ne pas rester seules devant les acheteurs, sinon, ce sont les laiteries qui imposent leurs conditions.

Quelle est la situation en Isère ?
Il y a urgence pour que la profession arrête de subir et se prenne en main. Notre chance est de pouvoir nous servir du nombre d’opérateur présents, de la forte demande et qu’il y a encore des producteurs laitiers. Mais il faut s’organiser. Vu le contexte, c’est maintenant qu’il faut le faire. Cependant, une OP, c’est lourd à gérer et peu de producteurs s’investissent. L’enjeu est de trouver des personnes pour s’occuper de ces organisations. C’est d’autant plus un frein que les représentants se retrouvent face à des personnes formées pour négocier. Mais dans le cadre du plan de relance, nous mettons en place des formations à la négociation. À chaque fois que des personnes formées ont négocié, elles ont obtenu plus que ce qu’elles pensaient à la base. Peu importent les stratégies des laiteries si on arrive à reprendre du pouvoir dans les négociations.

Que pensez-vous de cette réunion iséroise sur le lait ?
C’est une réussite que quasiment tous les représentants de tous les producteurs des laiteries aient été présents. Les gens sont en attente de travailler ensemble. Il y a des problématiques liées à la filière dans le département, mais il y a aussi des opportunités. Les laiteries cherchent des volumes, c’est le moment de reprendre la main. Il y a deux grands sites   et de nombreux outils de transformations à proximité, c’est une vraie force. Les autres régions n’ont pas les mêmes atouts.

Vous étiez aux Assises du lait de la FNPL à Épinal dans les Vosges. Quels ont été les sujets débattus ?
Le but était de faire des points d’actualité et de travailler sur des pistes concernant la filière lait. Il s’agit notamment des questions de réchauffement climatique et d’adaptation, de productions d’énergie et de data, c’est-à-dire toutes les données numériques des exploitations que nous générons.

Les régions laitières partagent-elles les mêmes difficultés ?
Toutes les régions sont touchées par les grandes problématiques que sont les aléas climatiques, l’augmentation des charges, le manque de renouvellement des générations et la baisse de la production. Les exploitations ont beaucoup grossi ces dernières années et se pose le problème du manque de main-d’œuvre. Il y a beaucoup d’idées reçues sur la profession agricole et nous avons besoin de redonner de l’attractivité à notre métier.

Propos recueillis par Isabelle Doucet

(1) Candia Vienne et Danone Saint-Just-Chaleyssin

 

 

 

 

 

 

Le lait en Isère
Sylvie Budillon-Rabatel et Jean-Michel Bouchard (Union des producteurs de lait saint-marcellin), Sylvain Monnet (Fruitière Domessin) et Stéphane Tirard (Sodiaal Sud-Est)

Le lait en Isère

La production laitière iséroise s’établit à 160 millions de litres de lait annuels en 2022, alors que la production est longtemps restée à 180 millions. 6,8 % de ce litrage, soit 11 millions de litres, est produit en agriculture biologique.
L’Isère compte encore 26 000 vaches laitières, contre 34 000 en 2008.
Il y a 391 points de collecte (c’est-à-dire d’exploitations laitières) contre environ 1 500 dans les années 2000.
Enfin, pas moins de 600 millions de litres de lait sont transformés dans le département, qui compte 14 opérateurs laitiers (établissements de collecte et de transformation), Lactalis, Sodiaal et Danone assurant plus de 70 % de l’activité.
L’observatoire du prix du lait indique, fin 2022, un prix de base de 420 euros/1 000 litres en conventionnel (contre 338 en 2021, soit une hausse de 24 % en un an et 33 % en six ans). Le prix de base en agriculture biologique est de 500 euros/1 000 litres contre 450 euros en 2021 (+11 %).

Répartition du lait (indicative) :

Sodiaal : 35 millions de litres, 106 livreurs dont 10 en bio
Ici en Chartreuse : 4 millions de litres, 22 producteurs (2/3 en 38, 1/3 en 73)
Vercors lait : 6 millions de litres, 32 producteurs dont 17 en bio
Danone : 40 à 50 millions de litres en 38 (100 millions de litres dans quatre départements)
Saint-marcellin-saint-félicien : 50 millions de litres dont 26 millions de litres pour l’Étoile du Vercors/Lactalis (58 producteurs)
Fruitière Domessin (Intermarché) : 35 à 40 millions de litres, 70 producteurs (07, 73, 38)
La Fermière (05) : 7 millions de litres (50 % du litrage acheté à Candia/Sodiaal), 30 producteurs dont 9 en 38 qui livrent 3 millions de litres. Parmi ces producteurs, association Plein lait Yeux : 300 000 litres en 2022, contrat de rachat du lait avec Candia.