Foncier
Rififi sous les panneaux photovoltaïques

Isabelle Doucet
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À Cessieu, le projet d’installation de panneaux photovoltaïques sur le site de l’ancien aérodrome provoque une levée de boucliers de la profession agricole.

Rififi sous les panneaux photovoltaïques
Le plan de masse sur projet de parc photovoltaïque de Cessieu (Source : Neoen pour le dossier CDPENAF)

Stupeur chez les représentants du monde agricole.
Alors qu’en juillet 2021 le projet de parc photovoltaïque de Cessieu avait reçu  un avis défavorable de la Commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), celui-ci est en passe de voir son permis de construire validé en préfecture.
Les installations concernent un foncier agricole de plus de 10 ha de l’ancien aérodrome de Cessieu, appartenant à la CCI Nord-Isère.
« L’ engagement de l’ancien sous-préfet de la Tour-du-Pin et l’avis défavorable de la profession agricole et de la Commission ne sont-ils pas plus importants que l’avis favorable rendu par l’enquête publique ? » interroge Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l’Isère.
Il dénonce « une consommation outrageuse de foncier agricole en Nord-Isère » déjà très fortement touché par les 80 ha d’emprise du Lyon-Turin.

Plusieurs doctrines

Car ce dossier voit se percuter plusieurs doctrines nationales.
Il puise sa légitimité dans la nouvelle stratégie énergétique nationale qui prévoit, entre autres, la multiplication par dix des capacités de production d’énergie solaire d’ici 2050.
Mais d’un autre côté, la loi Climat de 2021 fixe un objectif de Zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050 et demande aux préfets « une mobilisation […] pour répondre aux objectifs ambitieux de réduction de l’artificialisation des sols […] au cours des dix prochaines années (2022-2031) », se traduisant par « une réduction progressive des surfaces artificialisées. »
De plus, la  méthodologie sur l'implantation de centrales photovoltaïques au sol adoptée en 2021 par les services de l'Erat en Isère considère comme rédibitoires les projets situés sur des terres agricoles facilement mécanisables.
Enfin, un arrêté du 28 mars 2022, sur recommandation de la Commission européenne, lève certaines obligations de mise en jachère afin « d’accroître le potentiel de production agricole de l’Union européenne ».
Le dilemme se résume donc à privilégier la production d’énergie ou la production agricole.

Un contexte gravissime

« La chambre d’agriculture a toujours été contre ce projet et nous avons pris des délibérations en session en ce sens », martèle André Coppard, vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Isère en charge de l’aménagement.
Il ne décolère pas, dénonçant l’absence de compensation agricole. En effet, une des motivations du refus de la Commission était la faiblesse des compensations agricoles prévues dans l’étude préalable (75 000 euros au total pour alimenter le GIP FDIAA (1), recycler des vieux pneus et lutter contre l’ambroisie).

« On nous dit qu’il faut produire davantage, on nous parle de souveraineté alimentaire et on prend de telles décisions alors qu’il est possible d’installer des panneaux photovoltaïques ailleurs, tempête-t-il. Une étude, réalisée par la Safer (2), répertorie les terres sans valeur agricole de la communauté de communes des Vals du Dauphiné. Mais on n’attend pas que celle-ci soit terminée pour prendre une décision. Le contexte est gravissime et explosif. Ce sont des terrains plats et il n’y en a pas tant dans le secteur. La société Neoen, qui développe le projet, prétexte un maintien de l’activité agricole en voulant faire pâturer des moutons sous les panneaux. Il n'y a aucune plus-value agricole. C’est de la poudre aux yeux. Car lorsqu’un terrain accueille des panneaux photovoltaïques, il n’y a plus de prime PAC. Il y a beaucoup d’autres façons de conjuguer activité agricole et production d’énergie photovoltaïque : en arboriculture, en viticulture, pour protéger les cultures comme c’est expérimenté à Étoile-sur-Rhône où l’on se sert des poteaux pour tendre des filets antigrêle. Enfin, l’avis favorable du commissaire enquêteur n’est pas une raison majeure pour amener à signer un permis de construire. »

Précipitation

Pascal Denolly, président du comité technique de la Safer Isère estime qu’il n’y a, de la part des services de l’État, « aucune autre urgence à valider ce projet » sinon « qu’une précipitation avant que la loi sur la consommation foncière ne se raidisse ».
L’étude engagée par la Safer en association avec la chambre d’agriculture, devait être rendue au mois de juin. Elle avait recensé plusieurs centaines d’hectares impropres à l’activité agricole dans les Vals du Dauphiné et les Balcons du Dauphiné, mais dont la nature devait encore être qualifiée. « Peut-être en resteraient-ils 10 ou 15 ha pour accueillir l’installation de panneaux photovoltaïques. Il aurait au moins fallu attendre de voir s’il y avait des sites alternatifs », indique Pascal Denolly.
Il ne comprend pas pourquoi dans ce dossier, où il est question d’une grosse consommation de terres agricoles de qualité, les services de l’État n’ont pas eu recours aux outils disponibles comme la Safer qui s’est auto saisie sur ce projet.
« Alors qu’à 15 km de là, il y a le parc logistique de Chesnes, avec 200 ha de toiture qui pourraient être exploités pour une activité photovoltaïque », ajoute le président de la Safer.
Il s’interroge sur « l’état de la concertation sur la problématique photovoltaïque en Isère ? » Il assure que dans les autres départements de tels projets ne concernent que des terres de faible qualité.
Sollicités par Terre Dauphinoise, les services de L’État ne souhaitent pas s'exprimer sur ce sujet avant quelques semaines...
Dans un communiqué de presse, la FDSEA dénonce « la recherche du profit  (qui) pousse les développeurs à privilégier les installations au sol, accentuant l’artificialisation des terres ».
Le syndicat en appelle au préfet de l’Isère pour « concilier production d’énergie et usage agricole des terres ; et replacer le photovoltaïque au service de l’agriculture ».

Isabelle Doucet

(1) Gip FDIAA : fonds de compensation agricole

(2) Société d’aménagement foncier et d’établissement rural

 

Le projet de centrale photovoltaïque de Cessieu

Le projet d’installation de panneaux photovoltaïques est porté par la société Neoen pour le compte de la CCI du Nord-Isère. Celle-ci est propriétaire de l’ancien aérodrome de Cessieu.
Le parc photovoltaïque au sol aura un impact de 10 ha sur les terres agricoles situées dans la Plaine du milieu. Il s’agit essentiellement de surfaces herbagères. La puissance crête de la future centrale sera de 11 MW (l’équivalent de la consommation de 5 000 habitants). Le permis de construire a été déposé en mars 2021.
Trois exploitations sont concernées, dont une à hauteur de 7 ha. L’avis de la CDPENAF indique que la viabilité économique de cette dernière est remise en cause par le projet.