Faire du nouveau avec de l’ancien : le concept trouve un nouveau souffle avec l’upcycling et des initiatives qui maillent l’ensemble du territoire.
L’upcycling, ou l’art de transformer un produit pour lui donner une seconde vie, a fait ses gammes en mode solidaire avant de se décliner en économie circulaire.
En Isère, il y a eu les pionniers, Ozanam à Vaulnaveys dès 1957 et Emmaüs depuis 25 ans d’abord à Sassenage, puis Le Versoud et La Mure et désormais une nouvelle boutique à Grenoble.
Les valeurs de solidarité essaimées par ces associations ont rencontré le développement durable pour donner une nouvelle dimension au recyclage.
Au fil du temps, les recycleries sont devenues un peu plus que des ventes solidaires. Véritables lieux de vie, elles réinventent le suranné pour lui offrir une deuxième jeunesse.
Coup double
A Tullins, l’association Passiflore est née en 1994 grâce aux bénéfices réalisés par le spectacle sur la Passion du Christ. « L’argent a été donné à Emmaüs qui, la deuxième année a proposé de créer quelque chose dans le territoire », explique Marc Bourguin, le directeur. La fleur de la passion s'était ensemencée.
L’association d’insertion professionnelle, qui emploie 38 personnes dont huit permanents, développe plusieurs activités support : une recyclerie, un atelier bois de récupération et de refabrique de palettes, un atelier menuiserie de création de mobilier et d’objets de plein air et un atelier de conditionnement.
L’activité palette est née de la récupération des palettes de fret de la SNCF où travaillait un des fondateurs.
« Ce qui est valorisant pour les salariés sont les réalisations de l’atelier menuiserie : faire un beau poulailler ou un beau salon de jardin, de ses mains, cela contribue à retrouver la confiance en soi », poursuit le directeur. L’atelier rencontre un beau succès.
« Nous sommes en limite de capacité. Nous avons plus de commandes que ce que nous pouvons fournir. Du coup, nous nous concentrons sur de plus petits objets, plus faciles à gérer. »
Mais le top, c’est le composteur qui sert à recycler les déchets à partir de matériaux recyclés. « On fait coup double », s’amuse le responsable.
3 000 palettes par mois
La même démarche de recyclage avec valorisation (l’upcycling) commence à irriguer la boutique.
« Nous réfléchissons à proposer des meubles à customiser ». Ce qui n’est plus au goût du jour redevient beau avec un peu d’huile de coude et de créativité.
Passiflore réémploie 6 à 7 tonnes de matériaux par mois pour un apport de 20 tonnes. Elle refabrique 3 000 palettes par mois.
Cette économie circulaire est largement soutenue et reconnue par les entreprises alentour et la clientèle locale. « Nous nous inscrivons dans un marché de niche spécifique qui ne serait pas rentable pour des entreprises privées », explique le directeur.
Mixité sociale
Inscrite sur le même créneau de recyclerie, R de récup à Pontcharra est la dernière-née de cette nouvelle génération.
« Nous avons ouvert en juin 2017, avec quatre salariés, raconte Céline Mirabé, la fondatrice. Au fil du temps, nous sommes montés à 26 personnes. Les gens ont de plus en plus envie de consommer différemment. »
Le principe de l’entreprise d’insertion reste le même : une aide au poste versée par l’Etat complétée par les revenus de l’activité.
« Nous avons décidé de faire de la recyclerie un lieu accueillant et de création avec un espace café, un lieu de vie différent de la boutique », ajoute la directrice.
Pour être dans l’air du temps, R de récup applique quelques règles de marketing. « C’est un lieu qui ressemble à une boutique classique, bien agencé, propre, décoré où les objets sont mis en scène ».
Ce lieu de mixité sociale est fréquenté à la fois par des personnes qui ont peu de moyens et d’autres qui ont envie de chiner.
Un gisement énorme
Les articles vendus proviennent à 75% de dons et le reste vient d’objets mis à disposition dans les déchetteries ou de débarras de maisons.
« Nous avons aussi des ateliers de couture, de réparation de vélo et d’électroménager et, nouveauté de l’année, un atelier de relooking de meubles », ajoute la directrice, confirmant la tendance de fond de l’upcycling.
« Nous effectuons un gros travail de tri, poursuit-elle. En 2020, nous avons traité 180 tonnes d’objets et réussi à sauver de la poubelle 50 tonnes. C’est énorme mais encore peu au regard de ce que l’on pourrait recycler. »
Avant de se lancer, Céline Mirabé avait contacté la communauté Emmaüs. « J’ai rencontré un accueil exceptionnel », explique-t-elle, si bien que pour mailler le territoire, elle envisage d’ouvrir une autre recyclerie dans la vallée du Grésivaudan.
Car le gisement est énorme, la demande des consommateurs soutenue et les besoins de réinsertion importants. Clientèle, chiffres d’affaires et salariés ont progressé de 20% en 2020.
Des matériaux ressource
Recycler à grande échelle, c’est le créneau sur lequel s’est inscrit Ecomat, à Cras.
La plateforme de réémploi des matériaux de construction est aussi née du mouvement associatif, en 2017. Rassemblant des professionnels du bâtiment autour d'une problématique de formation, elle a logiquement développé sa palette de services « réunissant la chaîne de tous les acteurs de l’économie circulaire du bâtiment », explique Bruno Jalabert, le directeur et cofondateur.
« La règlementation est de plus en plus favorable au réemploi de déchets de construction et à l’identification de matériaux qui ne passeront pas par la case déchet car ils sont identifiés comme ressources », explique-t-il.
C’est notamment le cas pour tous les chantiers de plus de 1 000m2 soumis à une obligation de réemploi de 70% des matériaux. A cela s’ajoute des aides de l’Ademe qui favorisent les initiatives à petite et grande échelle.
« Le réemploi est en plein développement, on travaille, on répond à des offres de marché public, on se rend compte que l’on avait raison », assure le pionnier.
Un chantier unique
L’opération la plus emblématique est celle du Cadran solaire à La Tronche avec son magasin de chantier éphémère, la Batitec, le premier en France.
40 tonnes de matériaux ont déjà été déconstruites et récupérées et 20 tonnes déjà vendues depuis février, à des professionnels comme à des particuliers.
Pour l’heure, Ecomat est un des seuls acteurs régional à opérer avec cette capacité d’intervention. « Nous avons l’impression de participer au monde de demain, déclare Bruno Jalabert. Et les jeunes qui s’engagent aujourd’hui, c’est pour un boulot qui donne du sens. »
Il poursuit : « Un champ s’ouvre devant nous qui est énorme, notamment sur la R&D pour trouver de nouveaux exutoires, mais aussi une palette de métiers et de nouveaux produits pour faire de l’upcycling à partir de matériaux de seconde main. » A condition cependant, prévient-t-il, « de trouver le modèle économique qui convient ».
Du parquet aux légumes
C’est le cas de Damien Balme, artisans ébéniste installé à Chimilin depuis 7 ans, qui a érigé la récup en modèle créatif. Son objectif : parvenir, grâce à l’écoconception, à une empreinte écologique « meilleure que celle d’aujourd’hui ».
En créant son atelier Designature, il travaille à partir de bois de récupération, « des anciens parquets récupérés sur des chantiers de démolition et du bois plus classique ». Puis il réalise des meubles sur-mesure.
Damien Balme appartient à un réseau d’artisans qui opère sur des chantiers de déconstruction.
« Il y a un important travail de création en amont pour trouver l’objet qui satisfasse au mieux le client, dans son usage et son esthétique », indique l’ébéniste.
Il a vu son activité décoller depuis un an et demi. Sa démarche séduit. « Ma marque de fabrique, c’est la récup », insiste-t-il.
Il pousse la logique d’économie circulaire jusqu’au bout. « Je cherche à optimiser les sous–produits : j’utilise les chutes de bois pour faire des objets de déco en forme d’animaux. Puis les copeaux partent chez un maraîcher bio, à Pressins, auprès duquel je prends mes légumes. Je me mets des défis, mais c’est pour un monde qui a beaucoup plus de sens. »
En travaillant le vieux bois pour faire du neuf, l’artisan s’inscrit lui aussi dans une niche : « Le vieux bois est très tendance. Je vois bien que ça se développe.».
Isabelle Doucet