Marche avec les loups : cette ode aux grands espaces et au canidé supérieur ne méritait-elle pas mieux qu'un propos manichéen forcément clivant ? Le débat avec le réalisateur a été intense mardi soir 11 février à La Mure en Isère.
Marche avec les loups : un film qui dérange

Cela aurait pu être un film animalier, réalisé par un amoureux de la nature, sur la piste du loup dans les Alpes.
Mais si « Marche avec les loups » de Jean-Michel Bertrand hérisse à ce point les éleveurs et les bergers, c'est que son réalisateur s'est autorisé un mélange des genres qui dérange. C'est ce que sont venus dénoncer la cinquantaine d'éleveurs isérois, haut-alpins et drômois mardi soir 11 février, lors de la projection-débat, à La Mure, en présence du réalisateur.
Les 457 places du cinéma étaient toutes occupées et le film a été lancé avec presque une heure de retard dans une ambiance électrique.

 

Les Jeunes agriculteurs des Hautes-Alpes sont venus nombreux pour dire leur ras-le-bol du loup.

 

Très remontés, les Jeunes agriculteurs 05 ont investi la scène pour déployer deux banderoles, l'une avec la courbe ascendante de la prédation du loup en France, l'autre pronant la régulation du loup.

Saillie contre les éleveurs

Le réalisateur nous invite à le suivre dans sa quête d'un jeune loup à travers le massif alpin. Ca commence comme un Man vs Wild (1) où Jean-Michel Bertrand, très bien équipé, se met en scène dans ses différents bivouacs. Ses caméras nocturnes captent l'animal prétexte à sa déambulation alpine de 300 km, du Champsaur au Jura.
Mais alors pourquoi à mi-film, cette saillie contre les éleveurs ? Jean-Michel Bertrand fait alors glisser son propos en plaidoyer contre toute activité humaine. Pendant quelques minutes, le film s'arrête sur des coupures de presse dont sont extraites des citations très dures à l'encontre du loup, faisant passer le monde de l'élevage pour sanguinaire et les élus comme favorables à l'éradication du loup.
L'intention devient douteuse quand son commentaire poursuit sa charge en stigmatisant une coupe forestière (quid de la gestion durable de la forêt ?) et un quad (équipé de sa plateforme pour porter du matériel : sûrement un apiculteur ou un berger).
Enfin, on frise la malhonnêteté dans l'imprudent parallèle avec la disparition du gypaête barbu « autre victime de l'ignorance des hommes », comme le loup « diabolisé par des croyances » et victime « de postures et d'ignorance ».

12 500 brebis tuées

Pas étonnant que lorsque les lumières se sont rallumées dans la salle, les éleveurs, ainsi mis en accusation dans ces quelques minutes de film en trop, ont demandé des comptes.

Le réalisateur s'en défend, rappelant que c'est du cinéma, une fiction, mais reconnaissant qu'il s'agit d'un film militant. « Vous vous focalisez sur 4 minutes de film. Ce n'est pas le sujet ».

 

Jean-Michel Bertrand, le réalisateur originaire des Hautes-Alpes ne cache pas qu'il a fait un film militant.

 

Dans la salle une bergère l'interroge : « Vous dites que vous n'êtes pas contre les éleveurs, alors pourquoi en parler de cette façon dans le film, avec ces coupures de journaux ? » La réponse est déroutante : « Je pensais que si je n'en parlais pas, les éleveurs allaient me tomber dessus ». « Oui, mais c'est de la propagande », a lancé une personne dans le public.
Pour le cinéaste, « il y a des positions dont une est très arc-boutée ». Il déclare que la majorité des éleveurs n'a pas de problème avec le loup, mais qu'il y une minorité « complotiste » dont « la position agressive est basée sur la victimisation ».

Une victimisation qui se traduit par 12 500 brebis tuées en 2019, 11 chiens, 140 bovins, 450 chèvres et 11 équins, selon les chiffres de la Dréal, a déclaré un intervenant.

En Italie aussi

Pour le réalisateur, les attaques personnelles ne résoudront pas la question de la prédation en France. Il pense que lorsque « les troupeaux sont protégés, cela fonctionne. Les loups vont directement sur les troupeaux moins protégés ».

Dans le public, on soulève la question des chiens de protection : « un problème pour les touristes, les élus et les éleveurs ». Des mesures de protection qui coûtent « des millions d'euros pour une efficacité nulle », estime pour sa part un éleveur de Poligny, dans les Hautes-Alpes, village dont est originaire le réalisateur.

Le public non issu du milieu agricole interroge : « Existe-t-il des exemples de cohabitation réussie entre le loup et l'homme ? »

Pour Jean-Michel Bertrand, « L'Italie n'est pas un pays de rêve ». Les problèmes sont tout aussi saillants dans les zones de colonisation. Mal indemnisés en dehors des parcs nationaux, les éleveurs ne déclarent pas leurs bêtes. A cela s'ajoute la question du braconnage, de sorte que la problématique loup est biaisée chez nos voisins.

Se parler dans les montagnes

Tour à tour, les nombreux éleveurs s'expriment, veulent faire passer leurs messages : leur détresse, le coût du loup, l'abandon des alpages, l'enfermement des animaux, la perte de leur travail génétique, les interrogations des plus jeunes qui se demandent si cela vaut le coup de s'installer.
Cependant le réalisateur persiste à penser que les éleveurs se trompent de cible puis indique qu'il a fait l'objet de menaces de mort que seule la FDSEA a condamné.
« Ce sont les éleveurs qui se suicident, est intervenu Yann Souriau, le maire de Chichilianne, agacé par les propos du réalisateur. Les élus soutiennent les éleveurs. Nous sommes au service de la communauté, nous protégeons les randonneurs comme les éleveurs et toute la population »

Globalement, le grand public semblait peu sensible aux arguments présentés par les éleveurs. Le déni de la présence du loup persiste dans les esprits. La question du partage des espaces et des grands équilibres n'est pas tranchée.
Seuls quelques privilégiés, comme Jean-Michel Bertrand, auront-ils accès demain à la montagne ?
Restent les témoignages poignants d'éleveurs qui font mouche.
« Ce film présente la triste performance d'alimenter un débat compliqué que vous avez pris le risque de conduire seul », a conclu le berger-écrivain Patrice Marie. Il regrette : « On ne peut plus se parler dans les montagnes. Entre le loup et nous, il y a 5 000 chiens de protection. Et cela ne fait que créer de la division. »

Isabelle Doucet

 

(1) Seul face à la nature : émission télévisée américaine de survie dans la nature.

 

Témoignages /Les drames des élevages de montagne sont aussi des drames familiaux.

« Le loup a mangé les brebis, papa »

Elle prend le micro, visiblement émue, encore sous le coup de l'attaque qu'elle a subie début janvier. « J'ai eu trois juments tuées, explique Barbara Lefebvre, éleveuse de chevaux à Glandage dans la Drôme. La quatrième est morte de ses blessures. Puis j'ai perdu deux autres juments. Ce n'est peut-être pas le loup, mais suite au stress de l'attaque. » La voie étranglée, elle parle de la jument de son fils qui est morte et comment elle a dû apprendre à son enfant la triste nouvelle.
Barbara Lefebvre, éleveuse équine dans le Diois : le loup s'en prend désormais aux troupeaux de chevaux.
« Je travaille dans le tourisme. Je mets des enfants, des adultes sur mes chevaux. J'en ai pourtant croisé des loups. Les chevaux marquaient l'arrêt et attendaient. Depuis l'attaque ils ne supportent même plus mes chiens. Qu'est-ce que je vais faire cet été ? Je ne peux pas prendre le risque d'un accident. J'étais pour la cohabitation. Je pensais que c'était réalisable. Mais vous qui connaissez le loup, vous qui le suivez, lance-t-elle à Jean-Michel Bertrand, avez-vous des solutions ? » Bien entendu, le réalisateur est désolé, mais parle de cristallisation après chaque attaque.
Allez voir les éleveurs !
Cédric Fraux, éleveur de brebis allaitantes à Lavaldens et président des JA du canton de Matheysine, dit qu'il a perdu 10% de son troupeau cet été. « J'ai vu ma fille de deux ans en pleurs me dire : le loup a mangé brebis papa », explique-t-il en mimant sa fille qui se touche le cou. Il poursuit : « Vous avez suivi des loups, mais pour faire la marche complète, allez voir les éleveurs ! » Il est vrai que la caution du film - symbole d'une possible cohabitation ? -  est une poignée de main échangée avec un berger sur l'alpage du Taillefer. Une fable pour les éleveurs.
ID

 

LES AUTRES SÉANCES SPÉCIALES EN PRÉSENCE DU RÉALISATEUR

 

• À Besse-et-Saint-Anastaise (63) : lundi 17 février au cinéma Le Foyer.

• À Murat (15) : mardi 18 février au cinéma Arverne.

• À Mauriac (15) : mercredi 19 février au cinéma Pré Bourges.

• À Villard-sur-Boege (74) : vendredi 28 février au cinéma La Trace.

• À Riom (63) : jeudi 12 mars au cinéma Arcadia.

• À Gannat (03) : jeudi 12 mars au cinéma Le Chardon.

• À Tence (43) : vendredi 13 mars au cinéma Ciné Tence.