Sécurité
Actes de malveillance : les agriculteurs démunis

Marianne Boilève
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Accueillis jeudi 11 mars chez Yannick Bourdat, éleveur à Marcilloles, les agriculteurs ont rencontré le sous-préfet de Vienne et les élus locaux pour évoquer la recrudescence des actes de malveillance dans les exploitations et les solutions à mettre en place. L'occasion, pour le Département, de rappeler qu'il existe des dispositifs d'aide exceptionnelle.

Actes de malveillance : les agriculteurs démunis
Exploitant à Marcilloles et président des Eleveurs de saveurs iséroises, Yannick Bourdat explique au sous-préfet et aux élus locaux combien il est difficile de protéger les fermes contre les actes de malveillance.

En dépit de son état d'esprit positif, Yannick Bourdat arrive souvent aux abords de son exploitation avec « la boule au ventre ». Situés à Pénol, à l'extérieur du village, ses bâtiments abritent un cheptel de limousines, ainsi que des stocks de céréales et de foin. L'éleveur n'habite pas sur place, mais à Marcilloles, dans la ferme familiale, où est entreposé l'essentiel de son matériel. « Je suis venu m'installer là en 2002 pour ne pas avoir de problèmes de voisinage, explique l'éleveur aux élus et au sous-préfet de Vienne invités à venir visiter son exploitation jeudi 11 mars. Mais aujourd'hui, quand je vois les collègues qui ont subi des incendies dans des bâtiments isolés, je ne suis plus vraiment serein. » 

Enjeu énorme

Depuis l'an dernier en effet, son assureur l'a alerté sur la recrudescence des incendies criminels dans les exploitations agricoles. Le dernier en date, qui s'est produit dans la nuit du 18 au 19 février dernier, a complètement ravagé une ferme nucicole à Saint-Marcellin. « Depuis trois ans, nous avons eu cinq sinistres graves (plus de 150 000 euros de dégâts), dont quatre sont dus à des actes de malveillance, précise Caroline Bouvier, attachée de l'agence Désormeau, à La Côte-Saint-André. Ça passe devant les incendies dus à un défaut électrique ou à un échauffement de fourrage. C'est un enjeu énorme, notamment en raison de l'importance des capitaux. » 

« Ferme modèle »

Bien que considérée comme « une ferme modèle », l'exploitation de Yannick Bourdat n'est pas à l'abri d'un acte de maveillance aux conséquences dramatiques. Les bâtiments sont  bien entretenus, suffisamment espacés pour éviter les risques de propagation en cas d'incendie. Celui qui abrite les animaux est même équipé d'une caméra de surveillance. Le stockage du foin est fait à l'écart des animaux. Mais ça ne suffit pas. « En cas de sinistre, une structure comme celle-ci tient 20 minutes puis s'écroule, analyse l'œil expert de Jean-Yves Chiaro, le sous-préfet de Vienne. L'objectif, c'est de faire tenir le bâtiment le plus longtemps possible avant l'arrivée des secours. En matière de sécurité, il ne faut pas hésiter à consulter le Sdis qui peut vous donner des trucs pour limiter les dégâts. Ce sont de bons conseillers. »

Caméras en amont

Le représentant de l'État préconise également d'installer des caméras sur des lieux de passage obligé, mais bien en amont des bâtiments, de façon à repérer les mouvements suspects, notamment les allées et venues aux horaires inhabituels. « Ça permet de voir les gens bien avant qu'ils se méfient, qu'ils enfilent leur cagoule ou maquillent leurs plaques d'immatriculation », indique le sous-préfet. Ce type d'équipement contribue à prévenir d'autres actes de malveillance, à commencer par les dégradations et les vols. Certes le travail réalisé avec la cellule Demeter, mise en place par la gendarmerie, commence à « porter ses fruits », selon David Rivière, éleveur et élu à la chambre d'agriculture de l'Isère, mais cela ne doit pas empêcher les exploitants de se protéger.

Agriculteurs démunis

Comment ? C'est bien le problème. Car se barricader, s'équiper de caméras ou d'alarmes représente un coût, mais aussi des complications dans le travail quotidien. « Suite au vol des ordinateurs embarqués de plusieurs de nos machines, nous avons mis des détecteurs partout : maintenant c'est Versailles, chez nous, témoigne Jean-François Charpentier, agriculteur à Thodure. Mais nous avons aussi un souci sur le matériel d'irrigation, les enrouleurs, les batteries, les panneaux solaires… Nous sommes démunis. »

Matériels convoités

Le sous-préfet connaît bien le phénomène. « Ça fait 30 ans que les matériels professionnels sont convoîtés, confirme-t-il. Ce sont des bandes très bien organisées qui agissent, souvent pour le compte de mafias spécialisées. Le seul moyen de lutter, c'est le puçage des matériels : ça permet de les localiser. » Jean-Yves Chiaro se dit également partisan de la vidéo-surveillance.

« Vidéo-protection »

Le président du Département préfère parler quant à lui de « vidéo-protection ». Tout en fustigeant des actes de malveillance « proprement insupportables », Jean-Pierre Barbier annonce qu'un nouveau dispositif financier sera soumis au vote lors de la prochaine session budgétaire du conseil départemental, début avril, pour permettre au Département d'aider les agriculteurs à équiper leur exploitation en système de protection. « L'idéal, c'est d'installer une caméra et un détecteur de mouvement, assure l'élu. Avec ça, vous dormez tranquille. » Jean-Pierre Barbier appelle également les agriculteurs à solliciter l'aide exceptionnelle, votée en juin dernier par l'assemblée départementale, qui permet de « dédommager les exploitations victimes d'actes malveillants ». Plafonné à 15 000 euros, ce dispositif n'a pour l'instant été activé par aucun exploitant, s'étonne le président Barbier.

Moto-cross

« Mais comment faire quand on se retrouve face à des vandales ? Comment réagir ? », s'interroge Jean-François Charpentier qui redoute de se retrouver en position d'« accusé » si la situation dégénère. C'est ce qui est arrivé tout récemment à Franck Burlet, exploitant à Eyzin-Pinet. Ayant repéré des motocross labourant ses parcelles depuis plusieurs mois, l'agriculteur a voulu «  faire peur » aux motards indélicats. La semaine dernière, il est allé à leur rencontre avec son quad : il y a eu « acrochage ». Peu de temps après, « les gendarmes sont venus chez moi et ont saisi le quad, raconte-t-il. On essaie de défendre le peu que l'on a et l'on se retrouve mis plus bas que terre. On n'est pas bien quand ça arrive… » 

Oser porter plainte

Face à de tels agissements, il est fortement recommandé d'appeler immédiatement le 17. « Ce n'est pas de la délation », précise le sous-préfet aux agriculteurs qui disent avoir peur des représailles. Jean-Yves Chiaro conseille également de prendre des photos pour identifier les fautifs et relever tous les indices susceptibles d'appuyer les déclarations. Et en cas d'accusation mensongère, il rappelle que l'on peut toujours « porter plainte pour dénonciation calomnieuse ».

Marianne Boilève