Viticulture
La renaissance des vins de l’Isère
Emma Orsolini, étudiante en géographie, a réalisé la première recherche sur l’histoire de la renaissance de la vigne en Isère.
Étudiante en master d’Histoire à l’UGA, Emma Orsolini a effectué un travail que jusqu’alors nul se s’était attaché à retracer. Il s’agit de l’histoire du renouveau de la viticulture en Isère.
Emma Orsolini était étudiante en géographie lorsque'elle a réalisé son travail sur les vignoble isérois.
Si la culture de la vigne en Isère est très ancienne – les coteaux viennois portent les stigmates d’une pratique avérée dès l’époque romaine et ceux qui Grésivaudan furent entièrement recouverts de vignes jusqu’au tournant du XXe siècle et l’arrivée de la première guerre mondiale et du phylloxéra – la production au début du XXIe siècle n’était plus que de quelques milliers d’hectolitres.
Du déclin à la renaissance, c’est une rencontre qui a scellé l’objet de recherche de l’étudiante.
« Je suis allée au Salon du livre alpin où Wilfrid Debroize, le président du Syndicat des vins de l’Isère, donnait une conférence, confie-t-elle. Il disait qu’en Isère il y avait des livres à écrire sur le sujet. »
Wilfrid Debroize, du domaine des Rutissons.
L’étudiante se rapproche ensuite de la Chambre d’agriculture de l’Isère et écrit son premier mémoire sur les vins effervescents du département.
La deuxième rencontre déterminante est celle d’Antoine Dépierre, du domaine Mayoussier, où elle effectue son alternance.
Emma Orsolini et Antoine Dépierre, du domaine Mayoussier.
Elle en tirera plusieurs productions : une exposition scénographique au domaine Mayoussier, dont elle a exploré les archives, et un travail universitaire sur la renaissance du vignoble isérois. Sa recherche, est une pierre portée à la réconciliation de l’Isère avec son passé viticole.
« Agriculture paysanne, c’est le mot-clé de ce travail, explique Emma Orsolini. Et elle doit être valorisée. » Elle se caractérise « par des savoir-faire et des faits sociaux autour du travail de la vigne ».
La transmission orale rapporte ainsi des souvenirs de vendanges, de rapports entre les générations, d’entraides.
Des dates fondatrices
Se basant sur les archives de la Chambre d’agriculture de l’Isère, Emma Orsolini, rappelle quelques dates et éléments clés de l’histoire récente de la viticulture en Isère.
Dans les années 60, les acteurs principaux sont ainsi les syndicats professionnels (il y en aura jusqu’à trois en Isère), le conseiller chambre Jean Douillet (pendant 20 ans) et les caves coopératives.
Huit bâtiments sont construits dans les années 30 : Péage-de-Roussillon, Chanas, puis Bernin, Vif, Le Touvet, La Terrasse, Saint-Ismier et enfin Barraux.
En 1979, les caves du Grésivaudan comptent 720 adhérents qui produisent 14 730 hl (30 % de la production iséroise), signe de l’efficacité de l’organisation et de la mise en commun des moyens de production. Cependant, la production de vin reste une activité agricole complémentaire réalisée par « une myriade de petits vignerons ».
Et le déclin
Ainsi, entre 1968 et 1981, la demande de reconnaissance Vin de qualité supérieure (VDQS) à l’Inao pour le Grésivaudan sera systématiquement refusée au motif que : « Un VDQS doit être buvable autant que typique de sa zone géographique délimitée. »
Non commerciaux, les vins isérois ne sont pas non plus typiques. Il leur faudra du temps pour remonter la pente.
Ce refus intervient alors que le nombre de vignerons est déjà en déclin.
En dépit de la reconnaissance, en 1975, de la qualité de Vins de pays (VDP) des Balmes dauphinoises et des Coteaux du Grésivaudan, « le vignoble s’éteint dans l’indifférence collective », écrit Emma Orsolini. Comme un symbole, les vignes de la Bastille cessent la production dans les années 80.
De 33 000 ha de vignes en 1850, le vignoble isérois ne compte plus que 300 ha épars en 1980.
Subsistent quelques irréductibles vignerons comme Noël Martin dans les Balmes Dauphinoises ou le domaine Meunier.
Martine et Béatrice Meunier
En 2018, la dernière cave coopérative, celle de Bernin, cesse son activité.
De la motivation
Pour comprendre la renaissance du vignoble isérois, l’étudiante s’appuie sur les travaux de l’historien Robert Chapuis.
Selon lui, quatre facteurs expliquent la renaissance de certains vignobles : les améliorations techniques, une envie de retour à la terre, un intérêt pour l’histoire locale et la crainte que le paysage ne se referme.
Le renouveau du vignoble isérois se nourrit de trajectoires individuelles et collectives.
Ces nouveaux vignerons entendent créer un vignoble à vocation commerciale, ce qui n’a jamais été le cas auparavant.
Mais leur parcours est semé d’écueils.
Le premier est la pression foncière et le deuxième, les droits à plantation, très stricts dans les années 2000. Un nouveau régime d’autorisation de plantation en 2016 desserre un peu l’étau.
Une sacrée dose de motivation et la modification du discours sur la ruralité contribuent à lancer le mouvement.
25 vignerons sont en activité en Isère aujourd’hui dont 20 se sont installés après 2000. Les pionniers sont arrivés peu avant 2000.
Certains sont en transmission familiale directe, d’autres, les plus nombreux, ont repris un noyau viticole familial puis procèdent par extensions. Chez les derniers arrivés, la création d’un domaine peut se faire ex nihilo.
Chaque territoire, des Balmes au Trièves, en passant par le Royans et le Grésivaudan, observe sa propre dynamique. Pour autant tous convergent vers la recherche d’une identité iséroise.
Les nouvelles plantations s’accompagnent aussi d’un élan de structuration.
En 2008 est créée l’association Vignes et vignerons du Trièves.
Les plantations de vignes dans le Trièves à Prébois.
En 2009, les deux syndicats, Balmes dauphinoises et Grésivaudan se réunissent pour créer le Syndicat des vins de l’Isère. Il couvre désormais l’ensemble du département.
Une identité se crée
« Reste à créer une identité viticole iséroise », écrit encore l’étudiante.
La demande de reconnaissance en IGP est en cela importante. Elle aboutit en 2011, mais a réclamé des travaux préparatoires pour l’élaboration du cahier des charges, d’abord conduits par les deux syndicats (1), puis par le syndicat unique.
Ce document cadre la production de vins tranquilles, blancs, rosés et rouges issus de 20 cépages autorisés : 10 blancs et 10 rouges.
La nouvelle identitié graphique des vins de l'isère liste tous les cépages anciens du terroir.
Une importance particulière est accordée au lien avec le territoire. Car l’enjeu pour ces viticulteurs est bien de se faire connaître et de pallier leur déficit d’image.
Emma Orsolini souligne dans son travail que la recherche de labellisation est un concept moderne qui a émergé au fil du renouveau de la viticulture iséroise.
La notion d’héritage est mise en avant, notamment à travers l’énorme travail ampélographique réalisé autour des cépages endémiques.
D’ailleurs, une demande de modification du cahier des charges est effectuée en 2020 pour intégrer de nouveaux cépages anciens, ainsi que la mention géographique du Trièves.
Ce premier document scientifique jette les bases de l’histoire récente de la vigne et du vin en Isère.
Il fait également valoir que la culture de la vigne en Isère possède de nombreux atouts, patrimoniaux, de durabilité ou économiques.
Isabelle Doucet
(1) Les Balmes dauphinoises et les Coteaux du Grésivaudan conserveront leur mention géographique dans l’IGP.
Les viticulteurs isérois
L’histoire à travers l’encépagement
L’histoire récente du vignoble isérois se lit à travers une occupation temporelle de son encépagement.
« Les hybrides sont plantés par pragmatisme et en temps de crise. Les cépages traditionnels, gamay ou pinot noir, relèvent du prestige et de l’inclusion dans le roman national. Quant aux appellations cépages oubliés, elles font le lien avec le passé et s’inscrivent dans un récit de territoire », constate Ema Orsolini à travers ses recherches.
Au début du XXe siècle, on trouve ainsi en Isère des vignes plantées d’hybrides producteurs directs (chancellor, plantet). Il s’agit de croisements entre la vigne européenne et la vigne américaine réalisés pour sauver le vignoble français après la crise du phylloxera. Ils ont été depuis abandonnés.
Dans les années 60 à 70 sont plantés des cépages traditionnels ou nobles (gamay, pinot, chardonnay, viognier), obtenus par greffage. Majoritaires en Isère, ils donnent des vins différents selon les terroirs.
Enfin, on distingue les cépages autochtones (1) ou rares, antérieurs au phylloxéra.
L’étraire de la Dhui affiche pourtant une présence permanente dans les documents relatifs à la vigne iséroise. L’origine de ce cépage rouge est avérée, à Saint-Ismier, dès 1863. En 1979, l’étraire représente 50 % de la surface viticole Isère rouge.
En blanc, l’autre cépage emblématique est la verdesse.
Parmi les cépages oubliés redécouverts ou identifiés plus récemment, on peut également citer l’onchette, mais aussi le bia blanc, la douce noire, la mècle, le sérénèze, le servanin, le joubertin etc. Ces cépages endémiques participent de la typicité des vins isérois.
ID
(1) En 1935, six cépages sont interdits par le ministère de l’Agriculture : clinton, herbemont, Isabelle, jacquez, othello, noah, accusés de rendre fou, aveugle et responsable de l’alcoolisme
Des salons et un concours
Rendez-vous les 14, 15 et 16 octobre à Montbonnot-Saint-Martin pour le 3e Salon des Vins de l’Isère et le concours départemental.
Le Syndicat des vins de l’Isère, soutenu par le département de l’Isère, la Chambre d’agriculture de l’Isère, la Communauté de communes du Grésivaudan et la commune de Montbonnot, organise son troisième salon ouvert aux particuliers les samedi 14 et dimanche 15 octobre, et aux professionnels du vin (restaurateurs, cavistes, sommeliers) le lundi 16 octobre, à la Maison des Arts de Montbonnot-Saint-Martin.
L’objectif de la manifestation est de mieux faire connaître les vins de l’Isère et en particulier l’IGP Isère, ses domaines et ses vignerons. Les cépages rares sont particulièrement mis en avant.
Lors du dernier Salon des vins de l'Isère.
Comme lors des éditions précédentes, seront à nouveau conviés des viticulteurs d’autres régions qui s’inscrivent dans une même démarche patrimoniale.
Plusieurs ateliers seront proposés durant le week-end : La viticulture à travers les cartes (samedi et dimanche à 11 heures) ; Initiation à la dégustation (samedi 15 h) ; Accord mets et vins (dimanche 15 h) et In English please (dimanche 17h)
12e concours départemental
La 12e édition du concours départemental des vins de l’Isère se déroulera quant à elle le lundi 16 octobre, toujours à Montbonnot. 61 échantillons sont en lice :
- 52 vins avec indication géographique, susceptibles de recevoir une médaille dans leur catégorie : IGP Isère blanc, IGP Isère rouge, IGP Collines rhodaniennes blanc, IGP Collines rhodaniennes rouge ou AOP Savoie Cru des Abymes. Dans ces catégories, 15 médailles pourront être attribuées au total.
- 9 vins sans indication géographique, susceptibles de recevoir une « mention spéciale du jury ».
Cette année, 24 domaines différents se sont inscrits, dont deux qui présentent leurs vins pour la première fois à ce concours.
Tous les secteurs géographiques viticoles de l’Isère seront représentés : de la vallée du Rhône au Trièves, en passant par les Balmes Dauphinoises, les coteaux du Grésivaudan et le Royans.
Le jury sera composé de 33 dégustateurs issus du réseau de spécialistes de la région (sommeliers, cavistes, œnologues…).