Sport
Solidarité au fil de l’eau avec les rameurs ukrainiens
Depuis l’été dernier, le mythique club Aviron grenoblois accueille l’équipe nationale de rameurs ukrainiens de moins de 23 ans : un défi sportif et humaniste.
Ramer pour ne pas penser. Passer sous pont un peu comme avant, quand les Russes n’avaient pas bombardé - ou presque - tout ce qui enjambe le Dniepr.
Le brouillard du petit matin, qui enveloppe la rivière Isère, est un peu à l’image de la vie de ces jeunes rameurs ukrainiens, déplacés pour fuir la guerre et accueillis par l’Aviron grenoblois.
Ballottés dans toute l’Europe au gré des accueils et des compétitions, ce groupe de jeunes de moins de 23 ans et leurs deux entraîneurs sont partis de Potsdam en Pologne où ils s’étaient réfugiés jusqu’en juillet dernier pour concourir aux championnats du monde de Varèse en Italie.
Mais leur objectif était de s’entraîner en France.
Par l’intermédiaire de la Fédération française d’aviron, ils ont fait un premier passage à Grenoble, avant d’aller en Italie, de retourner en Pologne, puis de rester en transit au pôle espoir d’aviron de Vaires-sur-Marne et finalement de revenir à Grenoble en septembre 2022.
Du sens à leur vie
« Ils voulaient rester après les championnats du monde », assure Alain Waché, le directeur de l’Aviron grenoblois qui a répondu favorablement à la demande de la fédération. « Qui le ferait si je ne le faisais pas ? », interroge le responsable, défenseur des valeurs d’engagement et de solidarité.
« J’utilise le levier du club pour combler leurs besoins en logement, vélos, radiateurs, vêtements et pour essayer de leur trouver un job », poursuit cet humaniste.
Depuis l’arrivée du groupe d’Ukrainiens en septembre, une routine s’est instaurée : entraînement le matin, cours en distanciel l’après-midi pour les étudiants – le covid était passé avant la guerre.
Photo Gilles Galoyer, Studio-JamaisVu
« Le sport donne du sens à la vie de ces jeunes », reprend Alain Waché.
Les premiers sont arrivés le 8 septembre. Petit à petit, le groupe s’est étoffé, passant de 10 à 15, un peu comme une famille recomposée dont la cohésion repose sur les épaules des deux entraîneurs, Natalia et Venceslaz.
Venceslaz Stefashin et Natalia Openshuk, les entraîneurs ukrainiens.
Photo Gilles Galoyer, Studio-JamaisVu
La dernière arrivée, Sofia, est âgée de 15 ans. Sa mère l’a accompagnée jusqu’en France.
« Les parents veulent que les enfants soient en sécurité », commente le directeur.
Originaires pour la plupart de Dnipro, les jeunes rameurs ont fui les bombes. Deux sont de Zaporijia et un de Kherson.
Partager le matériel
« C’est important de les maintenir à leur niveau », reprend Alain Waché.
Bien sûr, cela fait des rameurs en plus dans le club et il faut partager le matériel, celui de haut niveau.
« Si toute une génération de sportifs disparaît à cause de la guerre, c’est dramatique. C’est un savoir-faire qui s’en va », avance le directeur du club.
Préserver le groupe autour des valeurs de l’aviron et de la formation de ces champions de niveau international sont les convictions qui animent les deux entraîneurs ukrainiens. L’occasion de confronter les pratiques et les façons de s’entraîner à terre et sur l’eau.
Photo Gilles Galoyer, Studio-JamaisVu
« Natalia fait aussi de la formation athlétique avec des jeunes des familles ukrainiennes de Grenoble le samedi matin. Cela crée une relation parents-enfants », ajoute Alain Waché.
Tout un élan de solidarité s’est en effet mis en place dans la sphère de l’Aviron grenoblois.
Sur son site de l’île verte, le club a mis son garage à disposition pour la distribution de vêtements aux Ukrainiens de Grenoble, de même qu’une salle pour pratiquer le yoga.
Un toit, un travail
Sportivité et pudeur obligent, les Ukrainiens taisent leurs traumatismes. À cela s’ajoutent la barrière de la langue et les non-dits. « Tout est complexe. Il y a ce qu’on voit et la réalité que l’on ne connaît pas », glisse Alain Waché. « Mais ils sont en difficulté et il faut les aider. »
Le club s’est rapproché de l’association Mryia Ukraine et de sa présidente Viktoriia Michniewicz qui fait l’intermédiaire entre les besoins des déplacés ukrainiens, les initiatives solidaires et l’administration.
« Ces gens avaient en Ukraine la même vie que nous en France », indique Viktoriia Michniewicz. Leur vie s’est brisée en deux le 24 février 2022.
L’interprète, qui est arrivée en France en 2008 épaule des compatriotes « qui ont mis leur vie en pause ». Parer aux besoins de base : se loger, se nourrir, avec d’autant plus d’exigence que ce sont des sportifs de haut niveau, continuer à s’entraîner et le tout sans perspective.
Le groupe d'ukrainiens entoure le directeur de l'Aviron grenoblois.
Photo Gilles Galoyer, Studio-JamaisVu
Si le groupe reste motivé, cette motivation est à porter au crédit des deux entraîneurs, qui n’avaient jamais eu à demander de l’aide de leur vie.
Deux personnes qui ont de plus la charge de cinq mineurs que leurs parents ont mis à l’abri de la guerre. « Et puis, ils sont malades, ajoute Viktoriia. Leur système immunitaire n’est pas habitué au climat. »
Déracinés, inquiets, sans perspective, leurs seules ressources sont celles allouées aux bénéficiaires de l’allocation pour demandeur d’asile (1).
Or, il y a cinq mineurs dans le groupe. Et même s’ils sont légalement placés sous l’autorité des entraîneurs, les démarches n’ont pas abouti pour qu’ils perçoivent une aide.
« Le problème, c’est que ce n’est pas un camp d’été qui dure depuis un moment », déclare la traductrice. Ne sachant pas quand ils pourront rentrer, leur objectif est de tenir le coup.
Entraînement à l'ergomètre.
Photo Gilles Galoyer, Studio-JamaisVu
Viktoriia décrit une situation en Ukraine « dangereuse et difficile », où le pays « a perdu 40 % de sa puissance économique », où tout retour est impossible.
Alors pour ces sportifs les besoins sont immenses, à commencer par un toit durable et surtout de trouver du travail.
Logés temporairement dans les locaux d’EDF à Claix après un passage par l’Afpa à Pont-de-Claix, leur situation demeure matériellement inconfortable, psychologiquement intranquille.
« La normalité viendrait de l’indépendance financière », insiste Viktoriia Michniewicz. Elle assure qu’ils sont prêts à relever tous les défis.
Isabelle Doucet
(1) Statut octroyé au titre de la protection temporaire Ukraine, que seuls les majeurs peuvent percevoir.
Photos Gilles Galoyer, Studio-JamaisVu
Aviron grenoblois : objectif Paris 2024
L’Aviron grenoblois a cinq de ses athlètes en lice pour la sélection olympique de Paris 2024. Une vraie performance d’élite.
« J’ai tellement de bateaux champions de France ». Nulle forfanterie chez Alain Waché, juste un regard circulaire sur les dizaines de coupes alignées dans le local de l’Aviron grenoblois du pont d’Oxford à Grenoble. « Et il y en a autant à l’île verte ».
Le club est une fabrique de champions. Ses performances le placent en tête du classement des clubs d’aviron français. « Sauf accident », ajoute le coach qui en assure la direction depuis 1991. L’objectif fixé sur les Jeux Olympiques de Paris 2024, le club est en mesure d’aligner cinq rameurs.
Du jamais vu. Ils étaient déjà quatre à Tokyo.
Un sacerdoce
Sous réserve des qualifications, un certain nombre de ces rameurs sont déjà intégrés dans le programme performance olympique.
C’est le cas de la vice-championne olympique des JO de Tokyo en 2020 (et championne du monde 2018) Laura Tarentola qui devrait concourir en couple poids léger. Emma Lunatti, vice-championne du monde à quatre, a réservé sa place dans le bateau.
Chez les hommes, Ferdinand Ludwig, finaliste aux derniers championnats du monde, meilleur français sur les tests, ramera en couple poids légers. Et puis, il y a les jumeaux Guillaume et Thibaud Turlan, déjà en lice à Tokyo et qui espèrent se qualifier en deux de pointe
« Le très haut niveau, c’est un vrai sacerdoce », reconnaît l’entraîneur. La préparation des jeux, c’est du 7 jours / 7.
Pour cet entraînement hors du commun, le club a besoin de moyens.
Il bénéficie du soutien de collectivités, notamment du Conseil départemental, de sponsors et dégage des revenus de la vente de prestations. L’aviron grenoblois compte 570 licenciés et accueille près de 3 500 pratiquants par an : scolaires, entreprises, loisirs.
ID
Des groupes électrogènes pour l’Ukraine
C’est un message porté par toutes les associations d’aide aux Ukrainiens et relayé par France diplomatie en réponse à l’appel de l’Ukraine : l’Ukraine a besoin de générateurs électriques. « De tous types, de toutes tailles », insiste Viktoriia Michniewicz. Avis aux entreprises
Les Ukrainiens en Isère
La préfecture de l’Isère a délivré environ 1 500 autorisations provisoires de séjours à des déplacés majeurs. Avec les mineurs, le nombre d’Ukrainiens en Isère est estimé à environ 2 200 personnes.
Les déplacés sont accueillis dans des hébergements citoyens (résidents français volontaires à l’accueil) ou dans des accueils collectifs à la charge de l’État.