Actu vue par Cédric Mandin, secrétaire général de la Fédération nationale bovine (FNB).
Avec la contractualisation, la relation entre les éleveurs et les acheteurs est redevenue équilibrée
Il est l’invité national au congrès de la FDSEA de l’Isère du 18 mars. Pour lui, la contractualisation arrive à point nommé et rééquilibre les rapports de force au profit des éleveurs.
Précisons tout de suite ce que recouvre la notion de contractualisation
C’est une démarche découlant de la loi Egalim 2 : un producteur, de viande en l’occurrence, a les cartes en main aujourd’hui pour passer un contrat avec son acheteur, pour un moyen terme, en partant de son coût de production. Cela implique que le prix tient compte des charges de l’exploitation, de la rémunération de l’éleveur, du marché et de son évolution. Il y a donc non pas un prix fixe, mais déterminable pendant la durée du contrat. C’est un système qui permet des projections dans le temps tout en tenant compte des aléas.
L’objectif est vertueux, mais se met-il en place facilement pour autant ?
Non parce que c’est une révolution. Il y a une inversion de la relation : jusque-là, l’éleveur attendait les propositions de l’acheteur et en discutait ensuite. Maintenant, c’est lui qui fait une proposition de prix. Il y aura toujours discussion, mais elle va se faire dans le cadre d’une relation plus équilibrée.
Justement, la discussion est-elle au niveau de l’éleveur ou d’un groupement ?
C’est selon. S’il y a un groupement de producteurs, une organisation d’éleveurs, c’est elle qui va discuter avec l’acheteur et contractualiser. Mais cela peut se faire aussi au niveau de l’éleveur. Ce dernier n’est pas seul. Il peut s’appuyer sur le syndicalisme FNSEA ou FNB pour obtenir des informations de marchés. L’objectif n’est pas de fixer les prix, mais de lui fournir des éléments d’appréciation globale pour qu’il puisse émettre une proposition à son interlocuteur. Il ne faut pas oublier qu’il faut être deux pour signer le contrat en bas de la page. L’éleveur et le marchand de bestiaux sont condamnés à s’entendre.
La contractualisation est-elle adaptée à la situation instable que nous connaissons ?
C’est exactement le bon moment, car la FNB signale depuis longtemps la perte de cheptel que nous constatons : 600 000 têtes perdues en dix ans. Et beaucoup d’éleveurs ont plus de 50 ans donc il y aura des départs massifs dans les dix ans qui viennent. La faiblesse de l’offre provoque un déficit d’animaux, le marché reprend ses droits. Le rééquilibrage par la contractualisation est donc positif. La loi impose d’élaborer un contrat pour trois ans. On ne doit pas faire comme dans les céréales avec un prix fixe mais avec un prix adaptable à la situation. En six mois, en jeunes bovins, les coûts de production ont augmenté de 20 centimes. L’indice Ipampa a pris six points. Les vaches laitières ont vu le prix au kilo passer de 2,50 euros à 4 euros. Mettre une formule prix permet de conserver une capacité de projection et d’adaptation aux évolutions inévitables.
Cette logique de formation du prix doit aller jusqu’au distributeur. Au regard de la perte de cheptel, les abatteurs tiennent à conserver leur approvisionnement en bêtes. Leur avenir dépend de la présence d’éleveurs. Toute la chaîne doit jouer le jeu car si un élevage disparaît au profit de cultures, on revient difficilement en arrière.
La guerre russo-ukrainienne va-t-elle avoir des incidences sur la filière ?
Très peu car les pays de l’Est sont peu consommateurs. Et depuis l’embargo imposé aux Russes en 2014, les échanges sont arrêtés. Il n’y aura pas de conséquences directes.
La contractualisation est un volet de la loi Egalim 2. Quel est votre sentiment en la matière ?
Egalim 1 avait suscité beaucoup d’espoirs dans le changement de rapport de force. Mais la pression reposait toujours en pratique sur les producteurs. Egalim 2 a enfin rééquilibré les relations. J’observe que les grandes surfaces acceptent des hausses de coût des matières premières si elles sont au profit des producteurs. Le maillon qui coinçait était celui, intermédiaire, des industriels. Le verrou est dépassé, les choses se mettent en place. Les acteurs comprennent, surtout dans le contexte actuel, que la souveraineté alimentaire passe par la protection des agriculteurs. C’est le pari à relever et à gagner.
Propos recueillis par Jean-Marc Emprin