Moissons
Busards en classe tous risques

Les busards cendrés nichent au sol dans les plaines céréalières ou les prairies cultivées. Pour éviter la destruction des nids au moment des moissons, la LPO mène un travail de repérageavec les agriculteurs.
Busards en classe tous risques

Plaine de Colombe, fin d'après-midi. Une silhouette fine et gracieuse plane au-dessus d'un champ de fétuques. Plumage gris, extrémités des ailes noires, grande queue : c'est un busard cendré. Un mâle chassant le campagnol, son mets favori. Un seul couple de busards et ses quatre jeunes peuvent en consommer près de mille chaque année.

Bonheur

Philippe Rivat les aime bien, les busards. Producteur de semences fourragères à Colombe, l'agriculteur participe depuis plusieurs années aux campagnes de sauvetage du busard cendré mises en œuvre par la Ligue protectrice des oiseaux (LPO). « Nous avons trois couples dans le secteur, indique l'exploitant. Quand je vais dans la plaine et que je les vois voler, je suis heureux. Ils font partie du paysage, mais sont aussi le signe d'une biodiversité bien présente. Les voir, c'est un des plaisirs du métier. » Mais un plaisir en voie de disparition : en moins de vingt ans, la population iséroise de busards cendrés a chuté de 50%.

Le nid avec trois busardeaux photographiés lors d'une mission drone le 11 juin 2020 sur une parcelle de Philippe Rivat, dans la plaine de la Bièvre (Isère).

Protégée, l'espèce n'est pas menacée à l'échelle mondiale, mais elle est en péril dans notre région. En cause : la dégradation de son milieu traditionnel (landes, marais, espaces prairiaux...) qui  conduit le busard cendré à coloniser les champs de céréales ou d'autres cultures, comme les semences fourragères, les prairies cultivées ou plus rarement le colza. Problème : comme il niche au sol, le risque est grand de voir ses pontes détruites lors des moissons, des fauches ou de l'andainage. Voilà pourquoi, dès la fin avril, quand les petits rapaces migrateurs reviennent d'Afrique et cherchent un site propice à la reproduction, bénévoles et chargés de mission de la LPO arpentent les plaines cultivées pour repérer leur présence. Un travail de fourmi, souvent complété par les observations des agriculteurs eux-mêmes ou celles de randonneurs attentifs. « Nous en avons tous les ans, témoigne Rémi Coudurier, producteur de semences à Colombe lui aussi. Ça fait très longtemps qu'on vit avec. Personnellement je le vis très bien. Mais on ne voit pas forcément les nids : c'est tellement petit. Honnêtement, sans la LPO, on détruirait tout ! »

24 nids actifs en Isère

Cette année, les observateurs de la LPO ont repéré 24 nids actif en Isère. Beaucoup sont installés dans les coupes forestières ou des friches, mais pas mal aussi dans les plaines céréalières. « Les blés et les orges étaient en épis début mai, ce qui fait que les busards se sont pas mal reportés dans les céréales, explique Guillaume Brouard, chargé de mission busard à la LPO de l'Isère. Mais on peut aussi les retrouver dans les luzernes ou les ray-grass. Récemment, nous savions qu'il y avait un nid dans une parcelle de luzerne, mais nous n'avons pas réussi à le localiser assez tôt. La parcelle a été fauchée, et le nid avec. » 

A l'époque des moissons, les nids des busards cendrés courent de gros risques de destruction. D'où les actions de prévention menées par les équipes de la LPO.
Crédit photo : Guillaume Brouard/LPO

Une expérience amère qui ne doit pas occulter la bonne coopération qui s'est établie au fil des ans entre la LPO et le monde agricole. Bien conscients qu'ils s'inscrivent dans le territoire des agriculteurs et que leurs observations peuvent susciter des interrogations, les protecteurs du busard manient pédagogie et diplomatie pour nouer de bons contacts, ouvrir des portes et bien sûr éviter les situations conflictuelles. Les agriculteurs sont pour eux de précieux alliés : ils connaissent le terrain et savent à qui appartient telle ou telle parcelle.

Dérangement mineur

« Nous ne prévenons l'exploitant que lorsque nous avons repéré un nid et que nous sommes sûrs qu'il est actif, précise Guillaume Brouard. En général, les gens sont au courant de nos méthodes d'action et jouent bien le jeu. Ceux qui n'ont jamais eu le cas peuvent avoir un réflexe de défense ou dire "C'est notre champ, c'est vos oiseaux : débrouillez-vous ! Ça ne me regarde pas." Mais c'est assez rare. Dans 99% des cas, ça se passe bien. Cette année, à Ornacieux, un agriculteur nous a même proposé de décaler sa moisson de colza pour protéger un nid. » Une attention d'autant plus répandue que la destruction d'espèces protégées est prise en compte dans la conditionnalité des aides PAC.

Du côté des exploitants concernés, on reconnaît que le dérangement est assez minime. « C'est la LPO qui fait la détection des nids et nous alerte, confirme Philippe Rivat. Je n'ai pas le temps rester des heures sur place à faire des observations. Mais l'an dernier, je les ai aidés à monter les cages pour protéger les nids avant la moisson. Et je les ai invités à participer à notre tournée andainage pour qu'ils fassent connaissance avec les collègues. Ensuite, nous avons tous mangé ensemble : ça permet de se rencontrer, de discuter, d'expliquer nos problématiques respectives. »

Repérage de nid de busard avec un drone chez Philippe Rivat, dans la plaine de la Bièvre, début juin.
Crédit photo : Philippe Rivat

Cette année, Philippe Rivat s'est aussi intéressé à la prospection par drone. « J'ai l'habitude du satellite pour cultiver certaines de mes parcelles, mais là, c'est encore plus précis, témoigne-t-il. Le drone est équipé d'un petit moniteur qui permet de voir la parcelle défiler en direct sur un écran en couleur. Il vole lentement, à 20 mètres d'altitude, et dès qu'il repère quelque chose, il se rapproche. Le pilote relève les coordonnées GPS du nid et prend des photos. Mais il peut y avoir des péripéties : chez un collègue du Grand Lemps, quand le drone s'est rapproché du nid, la mère, furieuse, s'est envolée d'un coup pour attaquer le drone qui a dû partir à toute vitesse ! »

Mission drone

Le recours au drone permet de localiser les nids dans les parcelles, mais aussi de vérifier l'éclosion des œufs. « En Isère, nous utilisons cette technique depuis plusieurs années, indique Guillaume Brouard. Le drone présente un double intérêt. On n'abîme pas la culture - même si nous faisons toujours très attention à ne pas laisser de traces lors de nos interventions - et on ne crée pas de sentier d'accès pour les prédateurs. » Les informations livrées par le drone peuvent aussi réserver d'incroyables surprises. « Cette année, dans ma parcelle, les busards ont installé leur nid à six mètres de là où ils étaient l'an dernier : c'est qu'ils s'y trouvent bien », se félicite Philippe Rivat.

Une femelle busard de retour de chasse, un campagnol entre les serres.
Crédit photo : Guillaume Brouard/LPO.

La phase de repérage effectuée, reste à protéger les nids avec des grillages avant les récoltes. Puis vient la période la plus délicate : celle des moissons. « Dès que je connais la date, je préviens la LPO, raconte Philippe Rivat. Je leur demande d'installer des rubans pour guider le conducteur de la machine et lui permettre de manœuvrer au mieux. Effrayée, la femelle peut s'envoler, mais elle revient ensuite. » Une fois le chantier terminé, il reste un petit carré non moissonné abritant la famille de busards. Une grosse perte pour les agriculteurs ? « Les six mètres carré perdus, on les retrouve largement avec le volume de campagnols mangés », sourit Philippe Rivat. « Franchement, ce n'est pas la mer à boire, ajoute son voisin Rémi Coudurier. Ce n'est pas un soucis, comparé aux goélands qui arrivent par centaines quand on laboure et font même fuir les corbeaux. » Un dossier d'une toute autre nature pour la LPO.

Marianne Boilève
Sensibilisation / Déjà impliquée dans des actions en faveur de la biodiversité, l'entreprise de Morestel vient de signer un partenariat avec la Ligue protectrice des oiseaux pour aider les agriculteurs à sauvegarder le busard cendré.

LPO - céréaliculteurs : même combat

L'an dernier, la LPO a repéré un nid de busards cendrés dans une parcelle de Mickaël Muguet. Producteur dans la plaine de la Bièvre, le céréalier a très vite compris l'enjeu. « Si on peut éviter de détruire des nids, il faut le faire, d'autant que ce n'est vraiment pas une grosse contrainte », justifie-t-il. Déjà engagé dans une démarche « bas intrants » rebaptisée « Ec'Eau Responsable » avec la maison Cholat, l'agriculteur vient de signer un avenant à son contrat de production pour sauvegarder les busards cendrés. La mesure est le fruit d'un partenariat noué en mai dernier avec la LPO.
Dans le cadre de son partenariat avec la LPO, la Maison François Cholat s'engage à sensibiliser les agriculteurs à la sauvegarde du busard cendré.
Crédit photo : Guillaume Brouard/LPO
Car, pour la Ligue de protection des oiseaux, il y a urgence. « L'évolution de l'agriculture ces dernière années a profondément modifié les milieux agricoles et fortement impacté les espèces d'oiseaux qui les fréquentent, explique Catherine Giraud, présidente du comité territorial de la LPO Isère. En Auvergne-Rhône-Alpes, les populations d'oiseaux inféodés à ces milieux ont diminué de près de 20% en 18 ans et de 50 % pour le busard cendré en Isère. Les agriculteurs sont des acteurs fondamentaux pour orienter les pratiques vers un meilleur respect de la biodiversité. » D'où l'idée de de la LPO se rapprocher de la maison Cholat pour sensibiliser les agriculteurs à la cause du busard.
Protection des nids
Parmi les mesures de sauvegarde, la maison Cholat a retenu l'observation des parcelles, l'installation d'un carré de protection autour du nid, l'implantation de bandes enherbées ou la non-destruction des couverts végétaux. De plus, quand un agriculteur aperçoit un busard dans une de ses parcelles, il s'engage à contacter la LPO qui vient sécuriser une zone de 30 mètres carré autour du nid. De son côté, la maison Cholat prend en charge les éventuelles pertes de récolte au moment de la moisson. « C'est un premier pas, assure Sylvain Lemaître, référent Agroécologie chez Cholat. Nous avons pris rendez-vous avec la LPO fin juin pour voir si nous pouvons sauver d'autres oiseaux. » A commencer par les nichées d'œdicmènes criards qui, elles aussi, sont menacées d'écrasement lors des travaux agricoles.
MB