Stratégie
En Isère, les brebis pâturent sous les noyers

Marianne Boilève
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Pour entretenir l'herbe sous leurs noyers, une douzaine d'exploitants de Vinay ont regroupé leurs parcelles et mis gratuitement 150 hectares de noyeraie à la disposition d'un troupeau de brebis venues de Pontcharra.

En Isère, les brebis pâturent sous les noyers
Lors d'une journée technique organisée par la chambre d'agriculture le 30 mars, Frédéric Martin-Jarrand, nuciculteur à Vinay (au centre), a expliqué l'intérêt de remplacer le broyage des parcelles par le pâturage.

Fin mars, une trentaine de nuciculteurs et d'éleveurs sont venus chez Frédéric Martin-Jarrand, à Vinay, découvrir un mode de tonte doux, encore peu répandu en Isère. Les uns sont là « par curiosité », d'autres parce qu'ils en ont « marre de passer le printemps à tondre ». Frédéric Martin-Jarrand sourit. C'est exactement la raison pour laquelle, depuis l'an dernier, il invite un troupeau de brebis à pâturer ses noyeraies dès le mois de mars.

1000 brebis sur 150 hectares

A la tête d'une exploitation en polyculture-élevage (bovins viande) de 80 hectares, Frédéric cherchait une solution pour entretenir l'herbe de ses vergers, sans recourir au broyage. C'est en discutant avec un livreur d'aliment qu'il l'a trouvée. « J'avais envie de mettre deux trois brebis dans mes parcelles, et le gars m'a assuré qu'il allait me les trouver, raconte-t-il. Le problème, c'est qu'il m'en a trouvé mille ! Comme je n'ai que 15 hectares de noyers, je suis allé voir une douzaine de collègues autour de chez moi pour les convaincre de mettre nos parcelles en commun de façon à constituer un parcours assez grand. » Les nuciculteurs ont ainsi réuni 150 hectares d'un seul tenant qui, pendant trois mois, sont mis gratuitement à disposition d'un éleveur ovin de Pontcharra en manque de surface.

A les voir brouter sous les arbres dépourvus de feuilles, les bêtes ont l'air de se régaler. L'herbe est tendre, goûteuse et abondante. Le berger, à qui les agriculteurs ont donné des consignes précises, adapte les parcours en fonction de la pousse de l'herbe. « Les moutons sont parqués en interligne : 10 mètres de large sur 50 mètres de long, explique Frédéric Martin-Jarrand. Il ne faut pas que l'herbe soit trop haute. Commencer début mars, c'est le top : il n'y a pas de gaspillage. Mais il ne faut pas que les brebis soient conduites trop serrées, sinon c'est le carton assuré. » 

Les brebis tondent en moyenne deux à trois hectares par jour. La nuit, elles sont parquées à l'écart des noyers, sur une ancienne parcelle de tournesol. A ce rythme, elles peuvent revenir deux à trois fois dans le même parc entre mars et mai. Si une parcelle est emblavée en blé, rien à craindre : le troupeau est guidé pour la contourner. Grâce aux brebis, Frédéric Martin-Jarrand et ses collègues s'économisent deux à trois broyages entre mars et mai. Un gain de temps (environ 7 heures par hectare) doublé d'une économie de 50 à 100 euros par hectare (main-d'œuvre, matériel…) selon les calculs du réseau BrebisLink.

Bénéfices agronomiques

A l'intérêt économique s'ajoutent des bénéfices agronomiques. Le troupeau assure un très bon désherbage sur le rang, mangeant même le lierre, sans blesser les arbres, sauf quand l'herbe est mouillée (les bêtes risquent alors de manger l'écorce des noyers). Il est en revanche nécessaire de protéger les plus jeunes arbres, notamment dans les vergers où il y a eu des remplacements. « Attention aussi aux agnelles : elles sont plus joueuses », avertit Catherine Venineaux, conseillère ovin à la chambre d'agriculture de l'Isère.

Cette réserve faite, le passage des brebis ne provoque pas de tassement du sol, contrairement aux roues d'un tracteur. Frédéric Martin-Jarrand n'a pas encore assez de recul pour juger de l'effet de la présence du troupeau sur la vie du sol ou la fertilisation des prairies, « difficile à quantifier ». Il se dit néanmoins très satisfait : « Les brebis ne mangent pas les feuilles de noyer mais marchent dessus ce qui, combiné à leurs déjection, en accélère la décomposition. » Quant à l'impact sur la mouche du brou, il semble qu'il y ait une « limitation de l'émergence des mouches par la présence des moutons en mai ». Pour Catherine Venineaux, « la question mérite d'être creusée ».

Concernant l'irrigation, le nuciculteur n'a pas constaté de casse sur ses installations en micro-aspersion suspendue. La présence des brebis n'est en revanche pas compatible avec les sprintlers, ni avec les systèmes de goutte-à-goutte. Quant à l'abreuvement, il semble que la rosée du matin suffise à ces animaux réputés peu exigeants. Cela reste un point de vigilance pour la conseillère ovine.

Calendrier de traitements adapté

La technicienne recommande également la prudence dans les noyeraies traitées au cuivre. « Le cuivre peut provoquer des mortalités, mais ça reste théorique : aucun cas d'intoxication n'a été repéré chez les brebis », rassure-t-elle. D'une manière générale, il est recommandé de faire pâturer les animaux avant la période des traitements des noyers ou de laisser s'écouler une période de deux à trois semaines après l'épandage d'un engrais ou d'un traitement, de façon à ce que la matière active soit assimilée ou dissoute avant le passage des animaux. « Chez nous, les brebis repartent en mai, quand il est l'heure d'aller en montagne, indique Frédéric Martin-Jarrand. Les traitements commencent après. »

Ultime intérêt, et non des moindres : le spectacle du troupeau sous les noyers. « L'an dernier, avec le confinement, les gens étaient curieux de venir voir les moutons : c'était la sortie de la journée », raconte Frédéric. Très appréciée, cette nouvelle "attraction" a fait évoluer l'image des nuciculteurs de Vinay. A tel point qu'il est désormais question d'organiser des sorties scolaires. Encore faut-il que les écoles soient ouvertes.

Marianne Boilève
La Senura au DiaPPaSon
S'il voit le jour, le programme DIAPPaSoN évaluera l’impact du pâturage en noyeraies sur les plans agronomique, écologique, économique et social.

La Senura au DiaPPaSon

Faire pâturer les vergers par les troupeaux est une pratique ancienne, plus ou moins délaissée en raison de la monoculture intensive. Avec l'intérêt pour les pratiques agroécologiques, les expérimentations sur les « prés-vergers » se multiplient un peu partout en France, y compris dans les noyeraies. C'est ce qui a conduit la Senura à élaborer le projet DIAPPaSoN (acronyme pour De l’initiative à l’accompagnement des producteurs pour le pâturage sous noyers), avec quatre partenaires techniques (l'Adabio, la chambre d'agriculture de la Drôme, le GDS 26 et la station expérimentale de Creysse, en Dordogne).

Evaluer l'impact du pâturage

« L’objectif de ce projet est de faire un état des lieux des pratiques de pâturage des vergers au sein de la filière nucicole française, explique Delphine Sneedse, chargée d'expérimentation à la Senura. Nous recensons les nuciculteurs et éleveurs mettant déjà en place cette pratique avec différents animaux, ainsi que ceux qui sont désireux de la tester. » DIAPPaSoN devra également évaluer l’impact du pâturage en noyeraies sur les plans agronomique, écologique, économique et social, afin de répertorier les avantages et les freins liés à cette pratique. « A l’issue de ce projet, des données techniques tangibles pourront être fournies aux producteurs pour les accompagner et leur permettre d’introduire sereinement des animaux dans leurs vergers », a indiqué Delphine Sneedse lors de la journée technique organisée chez Frédéric Martin-Jarrand le 30 mars dernier. 

Le projet de recherche, qui intègre un volet « communication grand public », a fait l'objet d'une demande de subvention auprès de FranceAgriMer, déposée dans le cadre d'un appel à projet Expérimentation. Réponse attendue dans les prochaines semaines.

MB