TRIBUNE
Viande rouge et environnement : en finir avec les contre-vérités

Dans une tribune publiée dans le magazine Le Point, les représentants des quatre principaux syndicats des éleveurs de bovins viande (Fédération nationale bovine, Jeunes agriculteurs, Coordination rurale et Confédération paysanne) dénoncent un débat public déconnecté des réalités.

Viande rouge et environnement :  en finir avec les contre-vérités

« De plus en plus sensibles à leur impact sur l'environnement, les Français attendent des informations fiables pour les guider dans leurs choix. Conscients depuis longtemps des enjeux écologiques, nous, éleveurs de bovins viande, ne ménageons pas nos efforts pour améliorer nos pratiques. Pourtant, cela fait des années que circulent des contre-vérités sur les empreintes écologiques de nos productions, fondées sur des données issues de la méthode d'analyse de cycle de vie, ACV, conçue à l'origine pour l'industrie.

Or, toutes ces empreintes sont défavorables aux systèmes d'élevage bovins dédiés à la production de viande rouge en France : une immense majorité de fermes familiales, autonomes et basées sur l'herbe (1), reconnues pour leurs vertus agroécologiques.

· Les empreintes carbone : plus le cycle de vie est long, plus le produit est pénalisé. Ainsi, une viande produite industriellement en feedlot (système hors sol américain) a une meilleure « empreinte carbone » qu'une viande de vache élevée sur nos prairies. Par ailleurs, elles ne tiennent pas compte du stockage de carbone dans ces prairies. En tant qu'éleveur, si on suit cette logique, on devrait donc arrêter de faire pâturer nos animaux et créer demain des usines à viande…

· Les « empreintes eau » annoncent des quantités astronomiques d'eau (2) pour produire 1 kg de viande : elles prennent en compte pour 95 % l'eau de pluie qui tombe sur nos prairies. En tant qu'éleveur, si on suit cette logique, il suffirait donc d'enlever les vaches de nos fermes pour que l'eau de pluie tombe ailleurs ?

· Les « empreintes sol » (3) comparent des quantités de mètres carrés pour produire différents aliments. Évidemment que ça prend plus de temps et de surface d'élever des bovins et de produire de la viande ! En tant qu'éleveur, si on suit cette logique, devrait-on alors intensifier au maximum nos productions et une fois de plus éviter tout pâturage ?

Certains pourront en conclure que produire des céréales ou des légumes serait plus « efficient » sur nos sols. Mais il faut vraiment ne jamais sortir de chez soi pour imaginer que l'on peut cultiver des végétaux partout. Les monts du Cantal, les piémonts du Morvan (ou les contreforts du Vercors, de Chartreuse ou de Belledonne, ndlr) n'ont pas la fertilité de la Beauce. L'herbe, que seuls les ruminants peuvent digérer, y est la seule option. Et tous les produits ne se valent pas : un kilo de tomates n'apporte pas les mêmes nutriments qu'un kilo de bœuf.

Et toute cette herbe qui « prend tant de place », qui « reçoit tant d'eau de pluie », nous en sommes fiers. Elle fournit l'alimentation de nos troupeaux, de la viande à la qualité si appréciée, des paysages vivants et prisés des citadins et un ensemble de services écosystémiques reconnus par la société, les collectivités, les ONG… Car dans nos plaines comme dans nos montagnes, cette herbe stocke du carbone. Ces 12,5 millions d'hectares de prairies (20 % du territoire) et les haies qui les entourent jouent un rôle essentiel dans l'équilibre des rotations de culture, dans la préservation de la qualité de l'eau et des sols et comme zone refuge pour la biodiversité. Les vrais écologistes et agronomes le savent : il ne peut y avoir d'agriculture durable sans élevage.

Appels à la responsabilité

Que la science cherche à évaluer au plus juste l'impact environnemental de nos activités est une mission noble. Mais que des méthodes, reconnues encore si imparfaites qu'elles conduisent à de tels paradoxes (4), servent à (mal) orienter les politiques publiques et les consommateurs, cela nous révolte.

Il faut des méthodes et des outils en lien avec nos réalités, qui nous aident à piloter nos élevages, à nous améliorer sur des enjeux clés comme la lutte contre le changement climatique. Pas des méthodes qui ne semblent être utilisées que pour pointer la viande rouge comme le mal « in-carné ». Au point qu'il est maintenant courant de prôner qu'il vaut mieux arrêter la viande rouge que de ne pas prendre l'avion !

Nous en appelons à la responsabilité de l'Adème et de l'Inrae et de leurs ministères de tutelle, Environnement et Agriculture ; et à la responsabilité collective de tous ceux qui ont pour mission d'informer les consommateurs (pouvoirs publics, associations de consommateurs, médias, grande distribution et distribution spécialisée…). Élaborons ensemble des méthodes d'évaluation qui permettent une information fiable des consommateurs afin de privilégier pour demain des modes de consommation et de production plus durables et plus vertueux. Et en attendant, que cesse la diffusion de ces chiffres biaisés.

1) 60 vaches en moyenne, 90 % d'autonomie alimentaire, 70 % d'herbe en moyenne dans les rations (80 % pour les élevages allaitants), Institut de l'élevage 2018.

2) Waterfootprint Network, Mekonnen et Hoekstra, 2012.

3) Récemment dans « Empreintes sol, énergie et carbone de l'alimentation », Ademe, 2021.

4) Note d'information et alerte sur les données ACV d'Agribalyse 3.0 mises à disposition pour l'écoconception et le futur affichage environnemental des produits, alimentaire, Itab, 2020.

 
Signataires : - Alexandre Armel, éleveur dans l'Allier, responsable section viande de la Coordination rurale, - Bruno Dufayet, éleveur dans le Cantal, président de la Fédération nationale bovine, - Nicolas Girod, éleveur dans le Jura, porte-parole de la Confédération paysanne, - Mathieu Theron, éleveur dans le Cantal, responsable bovins viandes des Jeunes Agriculteurs,