Eleveurs et environnementalistes ont du mal à se parler. Quelquefois, les chiens de protection créent des tensions avec les vacanciers. La projection du documentaire « Loups et moutons, des solutions ? » à Lans-en-Vercors a mis l'accent sur ces tensions.
Pas hostile, mais pas franchement sereine. L’atmosphère qui régnait à Lans-en-Vercors le 7 décembre, pour la projection du film « Loups et moutons, des solutions ? », laisse un goût bizarre dans la bouche car deux fractions de la population rurale n’arrivent plus à se comprendre.
« Mon parti pris a été de ne pas rentrer dans l’émotionnel, prévient Axel Falguier, car dans le conflit entre loups et pastoralisme, on peut vite tomber sur des témoignages forts et passionnels. » Le pari du cinéaste a été réussi. Le film d’une heure ne tombe pas dans la caricature, et n’hésite pas à aborder tous les thèmes. La présence des chiens de protection notamment.
Poids sur les épaules
Et ce point a vite cristallisé la discussion lors du débat qui a suivi la projection. « Les randonneurs sont pacifiques », dira l’un d’eux ; « les randonneurs ont peur », confirme Axel Falguier. Mais chacun des acteurs, touristes ou éleveurs se sent légitimes dans le paysage pastoral. « Un groupe de travail a été constitué dès 2016 pour mettre autour de la table tous les acteurs, explique Michel Vartanian, maire de Chamaloc (26), 1er vice-président en charge de la question du loup, au sein du parc naturel régional du Vercors. Tout le poids de la présence du loup repose sur les épaules de l’éleveur. Il subit les attaques du prédateur et doit répondre aux reproches des randonneurs. » Pascal Ravix, un des derniers éleveurs encore présents dans la commune confirme la situation et les récriminations portés au fil des saisons par les touristes. Un des ses chiens « a pincé » l’un d’eux en 2020, ce qui explique certainement la tension dans la salle. Mais le sentiment des non éleveurs est répandu.
Le chien, animal sensible
Sans agressivité, l’éleveur explique la situation vécue au quotidien avec les chiens : « Le chien de protection voit passer dans notre secteur d’alpage plusieurs dizaines de milliers de personnes pendant la saison, autant de fois où il est en alerte le jour. Avec quelquefois des individus qui crient, qui restent trop près du troupeau, qui lancent des pierres, qui utilisent une bombe au poivre, qui viennent avec leur chien près des troupeaux alors que c’est interdit, qui dévalent à toute allure à VTT… Pendant la nuit, le même chien est en veille permanente contre le loup, avec souvent des prédateurs qui s’approchent. Il ne se repose pas la nuit, il travaille, il ne peut pas récupérer ou mal, le jour. On s’efforce de socialiser les chiens, mais ce sont aussi des êtres sensibles. Au bout de plusieurs jours, ils peuvent craquer et avoir un comportement déviant, comme un être humain… » La sanction d’une morsure ? L’euthanasie du chien. Encore un poids pour l’éleveur. « Par leur comportement un certain nombre de touristes ne respectent pas notre travail. » Car si le vacancier est là pour se détendre, l’éleveur, lui, accompli un travail et une fonction économique. « Le pastoralisme sert à nourrir la population, à entretenir le paysage, donc à permettre les activités sportives sous de nombreuses formes et à préserver la biodiversité en bien des endroits », insiste Michel Vartanian. S’il y a donc une part de responsabilité de l’éleveur au regard de ses chiens et de leur comportement, il y a aussi une part de responsabilité de la part des autres usagers de la montagne qui doivent réapprendre les codes, les règles de fonctionnement dans cet espace partagé… pour le moment.
Gros boulot, mal payé
Un spectateur a ramené la discussion autour de la présence du loup dans le territoire. « Y-a-t-il un endroit où la cohabitation est possible ? N’y aura-t-il pas disparition des troupeaux et de la biodiversité ? », s’interroge-t-il. « Le prélèvement du prédateur est-il tolérable pour les troupeaux », demande plus abruptement Axel Falguier. Le fils de Michel Vartanian vit avec 200 brebis, transforme et vend en direct la totalité de sa production d’agneaux. « Il arrive à s’en sortir », commente-t-il sobrement. « Avec nos 700 brebis, nous vivons moyennement, considère Pascal Ravix. Nos chambres d’hôtes nous permettent de tenir. » Avec « 500 agneaux vendus à 100 euros pièce, il faut tout payer », révèle-t-il avec une lassitude dans la voix.
Le loup n’épargne aucune erreur
« Les mesures de protection ne fonctionnent pas. Nous avons 17 chiens de protection (pour 1 700 brebis dans l'alpage collectif) répartis dans de petits lots éparpillés dans la montagne. Il faut trois heures pour faire le tour des parcs et nourrir les chiens. Pendant ce temps on ne fait rien d’autre. En revanche, la moindre erreur ne pardonne pas. Une grosse pluie, un orage, un coup de neige comme en septembre 2020, et ce sont des attaques. Lors de cet épisode, nous avons perdu 18 brebis immédiatement et euthanasié 7 autres. Une quinzaine de bêtes ont été rendues folles et sont mortes. Depuis 2003, nous avons perdu des centaines de bêtes. Quand nous devons euthanasier des bêtes au cou arraché, vous devriez venir voir. »
De l’avis de plusieurs connaisseurs du sujet, l’avenir sera aux grands troupeaux sur des centaines d’hectare. Mais ce système aussi a des revers notamment une trop grande pression en certains endroits au détriment du retrait d’autre. Ce n’est pas ce que souhaitent les éleveurs, ni ce que veulent les habitants des territoires. Le dialogue dépassionné est plus que nécessaire.
Jean-Marc Emprin
Davantage en images
