FONCIER
Préserver la terre agricole tout en accueillant des néo-ruraux

Moins de transactions, mais des prix toujours orientés à la hausse. Perturbé par la crise sanitaire, le marché du foncier rural en Auvergne-Rhône-Alpes n’échappe pas à l’attrait grandissant des urbains pour les biens ruraux. Bilan et perspectives avec Gilles Flandin, président de la Safer Auvergne-Rhône-Alpes.

Préserver la terre agricole tout en accueillant des néo-ruraux
Quatre ans après la fusion, le président de la Safer Aura, Gilles Flandin, ici à gauche du vice-président, Jacques Chazalet, se félicite d’une progression constante des Déclarations d'intention d'aliéner (DIA) de l’ordre de 4 à 5 % chaque année. © Safer Aura

En quoi la crise sanitaire a-t-elle affecté les marchés fonciers dans la région ?

Gilles Flandin : « A partir de mars-avril 2020, il y a eu un moment de flottement mais qui a été passager, puisque notre activité n’a pas baissé. Les acheteurs et les vendeurs ont poursuivi leurs transactions. La période de confinement nous a permis de reprendre les dossiers en retard et de développer des outils informatiques adaptés pour garantir la continuité de l’activité. Au final, nous dénombrons en 2020, 46 042 transactions dans la région, soit une baisse de 3,3 %. Toutefois en volume, avec 75 376 ha, il y a une progression de l’ordre de 0,9 %, tout comme en valeur qui progresse de 3,9 % pour s’établir à 5 786 millions d’euros. »

Les différents épisodes de confinement ont donné des envies de grand air à de plus en plus de citadins dont l’installation est désormais rendue possible par le télétravail. Avez-vous constaté ce phénomène et comment se traduit-il ?

G.F. : « Depuis mars 2020, on assiste effectivement à une très forte demande en biens ruraux émanant de population urbaine qui recherche du foncier bâti soit pour en faire une résidence secondaire ou une résidence principale. Il ne s’agit pas pour nous de mettre un coup de frein à cet engouement, mais nous sommes vigilants. Nous regardons si le terrain agricole assorti à la propriété bâtie a un intérêt. Nous pouvons entrer dans la transaction par notre droit de préemption, mais dans 95 % des cas, quand la Safer dit à l’acheteur par l’intermédiaire du notaire, attention il y a un terrain agricole, soit l’acheteur se sépare du terrain agricole, soit il trouve un compromis pour faire en sorte que l’agriculteur intéressé puisse obtenir un bail. L’idée est de garder des surfaces agricoles sans pénaliser l’acheteur et son désir d’installation. En Auvergne-Rhône-Alpes, cette consommation foncière que l’on appelle masquée concerne certes des petites surfaces, mais l’intervention de la safer sur ce type de propriété permet de récupérer 1 000 ha en moyenne par an. Nous récupérons plus de surfaces dans ces consommations masquées que par l’urbanisation. Si ce phénomène s’est accéléré ces derniers mois, il est répandu depuis une dizaine d’années. Tous les départements de la région sont désormais concernés. Auvergne-Rhône-Alpes est l’une des régions où ce type de propriétés est le plus convoité, avec la Normandie, la Bretagne et l’Occitanie. »

La crise sanitaire comme toutes les crises a ébranlé les croyances et favoriser le repli vers des valeurs refuges, la terre en est une…

G.F. : « Le foncier agricole est historiquement l’objet de multiples convoitises mais aujourd’hui le foncier et les biens ruraux sont effectivement devenus des valeurs refuges. Une partie de nos concitoyens ne souhaitent plus mettre leur argent dans les banques, préférant investir dans la terre jugée comme une valeur sûre. Depuis deux ou trois ans, de plus en plus d’apporteurs de capitaux privés nous contactent pour trouver des terres agricoles avec dans la plupart des cas, la volonté qu’elles soient exploitées par des agriculteurs. »

N’y a-t-il pas un risque de financiarisation excessive du foncier au détriment des exploitants agricoles ?

G.F. : « Sur ce dossier, il faut être prudent. Au niveau national, nous voulons lier cette sollicitation des acheteurs potentiels aux besoins grandissants de soutien des jeunes agriculteurs notamment des hors cadres familiaux qui souhaitent s’installer mais, pour qui, le coût du foncier est trop élevé. C’est l’objet du fond de portage national qui va être mis en place en 2022 grâce à des partenaires publics et acteurs historiques de l’agriculture. Au démarrage, il sera doté de 60 millions d’euros. A terme, il pourra être ouvert à des investisseurs privés. Cet outil sera complémentaire aux réponses locales apportées en région. En Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons également un fond de portage du foncier en lien notamment avec le Crédit Agricole. La mise en place de foncière est à la mode, tout le monde cherche à mettre en place ce type de systèmes, les communautés de communes, les départements… Ce n’est pas à un problème à condition d’intervenir en complémentarité des uns des autres. »

La Safer intervient de plus en plus auprès des collectivités avec quels enjeux de développement ?

G.F. : « Le législateur a en effet ouvert le champ de compétences des Safer aux collectivités. Il n’est pas rare que nous intervenions auprès d’elles. Nos interventions sont sollicitées par la collectivité et les gestionnaires de l’environnement. Notre intérêt est toujours de récupérer du foncier agricole, en propriété ou en bail. Rappelons que dans les années soixante, le budget de la Safer était composé essentiellement de fonds publics. Aujourd’hui c’est zéro centime, mais en contrepartie le législateur a ouvert le champ de compétences des Safer pour qu’elles soient autonomes économiquement. D’où notre intervention auprès des collectivités qui nous sollicitent de plus en plus dans le cadre par exemple de la mise en place de programmes alimentaires territoriaux (PAT). Nous venons en appui pour trouver des surfaces disponibles en proximité des zones urbaines plutôt orientées vers le maraichage, les petits fruits… tout en évitant que ces nouveaux projets entrent en concurrence avec les productions locales. »

Propos recueillis par Sophie Chatenet