Mehdi Siné est le nouveau directeur général du réseau Acta, qui regroupe 19 instituts techniques agricoles, de multiples filières. Selon l'ancien directeur scientifique et numérique de la structure qu’il préside aujourd’hui, toutes les filières sont concernées par l'intelligence articificielle. Rencontre.
Peut-on dire que l’intelligence artificielle fait désormais partie de l’agriculture ?
Mehdi Siné : « Pour commencer, le numérique est un sujet très ancien en agriculture. Les tablettes d’argile mésopotamiennes, il y a 5 000 ans, ont été les premières traces de données numériques agricoles. Cela fait donc longtemps qu’on l’utilise en agriculture, le secteur n’est d’ailleurs pas en retard sur le sujet. L’intelligence artificielle, elle, représente beaucoup de choses. Les progrès en matière de sciences, d’équipements et de technologies rendent aujourd’hui beaucoup de choses possibles, grâce aux quantités de données collectées, aux capacités de calcul que nous n’avions pas jusque-là. Ce sont tous ces progrès que l’on peut regrouper sous le terme d’intelligence artificielle, mais c’est un terme qui a plus de 50 ans. Les outils d’aide à la décision, par exemple, sont connus depuis les années 1980 en agriculture. Dans nos secteurs de la recherche appliquée en agriculture, les algorithmes, le traitement des données pour une série de tâches, l’automatisation, la robotique, l’aide à la décision, ce sont des avancées qui ont explosé dans les années 80, 90, 2000, 2018… et cela ne fait que s’accélérer. »
Pensez-vous cette révolution nécessaire ?
M.S. : « Tout à fait. Nous en avons fait un axe stratégique, il y a maintenant plus de dix ans. À l’époque, il était question de « big data », aujourd’hui, nous parlons d’intelligence artificielle. Le numérique et l’informatique ont été relégués au second plan, bien qu’ils restent indispensables au fonctionnement des exploitations agricoles. Mais au milieu des années 2010, nous avons assisté à une massification de l’usage des données pour les intégrer dans les applications pratiques, quotidiennes, dans les cours de la ferme. Nous mettons donc en place des axes stratégiques, à développer, pour accompagner les agriculteurs dans cette transition. Et tout cela doit évidemment répondre aux besoins de compétitivité des exploitations agricoles, aider les agriculteurs à faire face à leurs défis d’évolution, notamment sur la transition agroécologique, la souveraineté alimentaire, le défi économique… Et nous observons l’apport de nouveaux usages, de nouvelles utilisations, nourris pas l’intelligence artificielle, qui répondent aux besoins des producteurs. C’est un moyen pour eux de se moderniser, d'intégrer davantage de complexité dans la gestion de leur exploitation, de définir des stratégies, d'avoir aussi des choix tactiques au quotidien dans la conduite de leur culture, de leur élevage, de plus en plus outillés par des capteurs, par des outils nourris par le numérique et l’intelligence artificielle. »
Comment les agriculteurs accueillent-ils ces évolutions numériques et techniques ?
M.S. : « À l’instar de la société, l’image de l’intelligence artificielle, des nouvelles technologies, est assez contrastée. Ces différences de perception ne s’expliquent d’ailleurs pas forcément par un choc des générations. Certains agriculteurs sont très emballés par ces innovations, car cela participe à l’arrivée de nouvelles techniques, destinées à leur faire gagner du temps, réduire la pénibilité au travail, à réduire leurs coûts en réduisant les apports d’intrants par exemple. La réduction de la pénibilité est d’ailleurs un levier important, qui pourrait grandement participer au renouvellement des générations, attirer les jeunes vers le métier d’agriculteur. Car il est vrai qu’aujourd’hui, il est plus difficile pour les jeunes de s’imaginer travailler 24 heures sur 24, sept jours sur sept, sans pouvoir prendre de vacances. D’autre part, certaines filières, comme le maraîchage, pourraient également bénéficier d’aides à la commercialisation, pour la vente directe. Il s’agit de faire la distinction entre l’agriculture de précision, les investissements très importants, et le numérique dans sa globalité, qui n’est pas forcément synonyme de hautes technologies. Un outil d’aide à la vente est aussi une révolution numérique, à son échelle. Et certains outils pourraient radicalement décomplexifier le métier, notamment d’un point de vue administratif. Les agriculteurs sont parfois réticents à l’idée car les technologies ne sont pas toujours matures et peuvent paraître incertaines. Il existe donc des techno-enthousiastes, des techno-critiques, et la vérité se trouve sans doute entre les deux. Cependant, il me paraît compliqué de s’opposer à cette évolution, car l'histoire s’y dirige. Mais il me semble nécessaire d’être accompagné. Nous avons d’ailleurs mis en place des Digifermes, un peu partout en France. Ce sont de petites fermes expérimentales, dédiées à tester des solutions numériques à l’échelle d’une exploitation agricole. Nous observons donc comment des technologies s’intègrent dans un système d’exploitation, ce qu’elles peuvent modifier ou leur apporter. »
Charlotte Bayon
En route vers l’Agritech ?
L’intelligence artificielle désigne l’ensemble des techniques informatiques, permettant à des machines de simuler l’intelligence humaine. Et à ce propos, l’agriculture s’impose comme un secteur sensible à la révolution en marche de l’intelligence artificielle. D’après Resache & Markets, le marché de l’IA dans le secteur agricole a d’ailleurs été évalué à environ 518,7 millions en 2017 et devrait continuer sur sa lancée pour atteindre les 2,6 milliards en 2025, soit une augmentation de 22,5 %.
L’État engagé
Le 30 août 2021, le gouvernement lançait la « French AgriTech », afin de soutenir l’émergence des start-ups de l’AgriTech et de la Foodtech. L’État avait donc annoncé un investissement de 200 millions d’euros établi sur un plan de 5 ans, pour la réalisation de projets innovants, dans le cadre du 4e Programme d’investissement d’avenir 2021-2025(PIA4) : l’objectif étant de proposer des innovations en mesure de garantir la compétitivité, la durabilité et la stabilité des systèmes agricoles.
C.B