L'embauche d'Elodie Morin comme agent d'élevage laitier auprès de quatre exploitations des Terres froides en Isère est atypique. Mais elle profite à toutes les parties.
Elle partait de zéro. Vraiment de zéro. Mais elle avait envie, très envie, de devenir agent d’élevage laitier. S’il en est qui aurait considéré l’absence de compétence d’Elodie Morin comme rédhibitoire, ce ne fut pas le cas d’André Durand, d’Emeric Barbier, de Martial Durand et de Christophe Morel, ces quatre agriculteurs qui lui ont donné sa chance en tentant l’expérience de son embauche via Agriemploi 38, pour les aider à s’occuper de leurs élevages respectifs.
Relever le défi
Dans le secteur des Terres froides, Hugo Estève, chargé de recrutement pour le groupement d’employeurs Agriemploi 38, recherchait activement et depuis plusieurs mois, un agent d’élevage pour répondre aux besoins de main-d’œuvre de plusieurs fermes laitières du secteur. Mais Elodie Morin était la seule candidate.
Titulaire d’une licence de sciences de la terre et d’un master en environnement, elle a travaillé pendant six ans dans les télécoms.
L’année dernière, alors âgée de 33 ans, elle a choisi de se reconvertir. « Si je n’avais pas envisagé une carrière dans l’agriculture quand j’étais plus jeune, cette possibilité est devenue une évidence pour moi », explique-t-elle.
Alors, elle a forcé son destin et a insisté auprès d’Agriemploi pour se faire embaucher. Tous les éleveurs intéressés par une potentielle future embauche ne se sont pas engagés. Pour certains, il était trop compliqué de recruter une personne n’ayant aucune expérience en agriculture.
Mais André Durand, Emeric Barbier, Martial Durand et Christophe Morel, après avoir rencontré Elodie et perçu sa motivation, se sont attachés à relever le défi.
400 heures de stage rémunérées
Comme elle bénéficiait de droits auprès de Pôle Emploi, Hugo Estève a trouvé une formation intitulée « Action de formation préalable au recrutement » lui permettant de réaliser 400 heures de stage rémunérées chez les quatre exploitants pour apprendre les bases de la traite, du soin aux animaux, de la gestion de troupeau, et de la conduite d’engins.
En amont, elle avait effectué une semaine de stage d’immersion chez Martial Durand, éleveur à Montrevel, pour découvrir son futur domaine d’activités et avait rencontré à plusieurs reprises les exploitants.
Hugo Estève devait s’assurer qu’ils soient prêts à investir du temps et de la pédagogie pour former leur future salariée. Car, en contrepartie du financement de la formation, ils devaient s’engager à embaucher Elodie pour un minimum de six mois à l’issue de son stage.
Souplesse d'organisation
Aujourd’hui, les éleveurs se réjouissent d’avoir osé l’expérience.
Même si elle est consciente qu’il lui reste encore beaucoup à apprendre, Elodie Morin, embauchée par Agriemploi depuis début juillet et mise à disposition chez ces quatre éleveurs, assure la traite et s’occupe de leurs bêtes avec succès.
A leurs côtés quand ils sont présents et qu’elle les aide, ou seule quand elle les remplace, elle accomplit tout au long de sa semaine de 35 heures en emploi partagé de nombreuses et différentes tâches.
« Je suis ravie. C’est comme je pensais que ça allait être », sourit la jeune femme. Et à chaque journée, son éleveur. Mais il y a beaucoup de souplesse dans leur organisation.
Car, selon les besoins de chacun, des changements de planning sont opérés. Les éleveurs ne se voient pas souvent physiquement, mais communiquent très facilement par téléphone.
« Il s’agit d’une embauche très atypique », reconnaît Hugo Estève.
« Mais les retours de chacun sont très positifs. L’avantage principal est que les éleveurs ont pu la former à l’image de leurs besoins et de leurs attentes. Le bémol est qu’elle ne profite pas d’une formation qualifiante », ajoute-t-il, précisant que « tous les éleveurs ont joué le jeu de son apprentissage ».
Patience et pédagogie
Passant de fermes en fermes, d’élevages de 30 à 60 bêtes, la jeune femme doit s’adapter à des troupeaux et des pratiques différentes. Mais elle ne considère pas que cela ait été difficile.
« Cela prend du temps, mais cela fait partie de mon travail. Et je suis bien accompagnée. Tous ont fait preuve de patience et de pédagogie », estime-t-elle.
Toujours intéressée, Elodie Morin n’hésite jamais à poser des questions aux éleveurs sur leurs pratiques et leurs habitudes.
D’une exploitation à une autre, elles sont différentes et loin de vouloir les opposer ou les uniformiser, elle aime comprendre les motivations des agriculteurs dans leurs choix. Les échanges sont intéressants pour chacun.
Le droit de se faire mal
Installé à Châbons, André Durand se satisfait qu’Elodie ne soit pas dans l’idée de tout savoir. « C’est vrai que nous avons passé beaucoup de temps à la former, mais cela permet un échange, cela ouvre l’esprit et cela fait du bien. D’autant que ce qu’elle fait aujourd’hui, elle le fait très bien. J’ai toute confiance en elle », insiste-t-il.
Et s’il est reconnaissant du travail qu’elle accomplit au quotidien dans son exploitation, au-delà, il apprécie de ne plus être seul. « Elle peut me relayer et me permet d’envisager le droit de me faire mal. Depuis toujours, j’ai dans un coin de ma tête, cette crainte de me blesser ou d’être malade, et de n’avoir personne pour me remplacer. Savoir qu’Elodie peut le faire, qu’elle connait ma ferme et mes animaux, m’apporte un grand soulagement. Depuis qu’elle est là, j’ai gagné en sérénité », assure-t-il.
Éleveur à Burcin, Emeric Barbier considère que « lorsqu’on rencontre des personnes motivées et volontaires, il ne faut pas les laisser passer. Certes, cela demande de l’implication de former quelqu’un qui n’a pas encore de compétence. C’est un pari que l’on fait en espérant qu’à terme, elle corresponde à nos besoins et reste suffisamment longtemps avec nous. Mais si cette personne est désireuse d’apprendre, on a envie de lui transmettre nos connaissances. Pour autant, il n’est pas forcément évident de faire cet investissement là. Car souvent, lorsqu’on veut embaucher un salarié, c’est parce qu’on a des besoins et qu’on manque de temps. Un vrai paradoxe… », souligne-t-il.
CDI
S’il est certain qu’Elodie Morin a profité au départ d’une absence de concurrence pour le poste proposé, elle n’a clairement pas déçu. Bien au contraire.
Sa motivation est restée intacte, son état d’esprit a convaincu et son apprentissage est salué.
Pour toutes les parties, la signature d’un CDI semble être la prochaine étape. Mais probablement pas la dernière.
Car les responsables d’Agriemploi et les éleveurs du secteur sont déjà en train d’envisager une future nouvelle embauche pour conforter le besoin de main-d’œuvre d’autres exploitations du territoire.
Isabelle Brenguier
Les avantages de l’emploi partagé
Au moment où les problématiques de main-d’œuvre en agriculture prennent de plus en plus d’importance, l’emploi partagé peut devenir une solution.
Répondre aux besoins de main-d’œuvre des exploitations est l’un des grands enjeux auquel est confrontée l’agriculture actuellement. Selon Hugo Estève, chargé de recrutement pour le groupement d’employeurs Agriemploi 38, l’emploi partagé est une piste qui présente de nombreux avantages.
« Travailler pour plusieurs exploitations est une expérience très enrichissante pour les salariés, car elle leur permet d’acquérir de nombreuses compétences, de découvrir d’autres pratiques et d’apprendre à réaliser différentes tâches. Dans un seul domaine d’activités ou dans plusieurs. C’est très formateur. Et c’est d’autant plus intéressant pour quelqu’un qui souhaite s’installer », expose-t-il.
De nouveaux échanges
La pratique est tout aussi bénéfique pour les agriculteurs qui peuvent ainsi recruter des salariés formés, qu’ils emploient selon leurs besoins. Il est rare qu’un exploitant ait besoin d’une personne à temps plein.
Il s’agit plus souvent de petits contrats. Et ces petits contrats ne sont pas très attractifs pour un demandeur d’emploi.
En regroupant les besoins de plusieurs fermes situées dans un même territoire, il devient possible de créer une offre plus attractive, qui permettra à un salarié d’avoir un emploi pérenne et pourra davantage se projeter.
Le groupement d’employeur prend à ce moment-là tout son sens. « Nous réalisons un contrat unique pour toutes les fermes. Nous nous occupons des tâches administratives. Nous mettons l’huile dans les rouages et expliquons les règles aux exploitants », détaille Hugo Estève. « Je vois l’emploi partagé comme l’avenir du salariat agricole. Surtout en élevage laitier. Le tout est de trouver les bonnes personnes, capables de travailler et de s’organiser ensemble », affirme-t-il.
« En plus, avec la Chambre d’agriculture de l’Isère et les Opco (Opérateurs de compétences), nous proposons aux salariés des formations qui leur procurent des perspectives d’avancement », ajoute le responsable.
Hugo Estève considère que la pratique est également intéressante pour créer du lien social dans les territoires, entre les exploitants.
Il cite comme exemple, André Durand, Emeric Barbier, Martial Durand et Christophe Morel, ces quatre éleveurs des Terres froides, qui se sont entendus pour embaucher Elodie Morin en tant qu’agent d’élevage laitier.
« Ils ne sont pas loin les uns des autres. Ils se connaissent tous. Mais en fait, ils sont assez isolés. Cette embauche a été l’occasion de créer de nouveaux échanges », souligne-t-il.
IB