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Vivre à la Rinconada, une performance au quotidien
Dans le cadre de l’Expédition 5 300, une aventure humanitaire qui vise à mesurer l’effet du manque d’oxygène sur la santé, des scientifiques grenoblois se sont rendus au Pérou, dans la ville la plus haute du monde.
Vivre à 5 300 mètres d’altitude, avec moitié moins d’oxygène que ce qu’on peut avoir au niveau de la mer, on ne pensait même pas que cela soit possible. Et pourtant. Plus de 50 000 habitants vivent, de générations en générations, dans la ville minière de La Rinconada, au Pérou.
Mais, si cela est possible, cela n’est pas sans conséquence sur l’organisme humain. Car même au sein de cette population très adaptée au manque d’oxygène qu’on appelle hypoxie, un quart souffre du mal chronique des montagnes (à distinguer du mal aigüe des montagnes bien connu des randonneurs).
C’est donc dans l’objectif de mesurer les effets du manque d’oxygène sur la santé que l’Expédition 5 300 a été imaginée par le laboratoire « Hypoxie et physiopathologies cardiovasculaire et respiratoire », porté par l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et l’Université Grenoble-Alpes.
Conditions de vie extrêmes
Issues de la collaboration avec un médecin péruvien, Ivan Hancco, qui habite dans une ville à 3 800 mètres d’altitude au pied de La Rinconada, trois expéditions ont déjà été organisées dans cette ville qui ne bénéficie actuellement d’aucun encadrement médical.
Selon Samuel Vergès, chercheur à l’Inserm et responsable de l’expédition, « tout y est hors norme par rapport à nos standards ». « Là-haut, nous sommes vraiment aux limites de ce que peut supporter l’organisme. Car, au-delà de 5 000 mètres d’altitude, nous considérons que la pression atmosphérique n’est plus suffisante pour permettre une vie humaine permanente », précise-t-il.
La première expédition, qui a eu lieu en 2019, avait pour but d’étudier les adaptations physiologiques des habitants de La Rinconada à des conditions de vies extrêmes et d’analyser leurs problèmes de santé liés à l’altitude.
Les deux suivantes, qui ont eu lieu en février et en octobre dernier, visaient à chercher des solutions thérapeutiques pour les personnes qui souffrent de ce mal chronique des montagnes.
Ce mal se traduit par une production exagérée des globules rouges et une viscosité du sang qui entraînent des conséquences aux niveaux cardiovasculaires et cérébral avec des symptômes comme des palpitations et des maux de tête.
Laboratoire éphémère
Pour réaliser ce travail, les scientifiques de l’Expédition 5 300 ont monté un laboratoire éphémère de physiologie et de biologie humaines leur permettant de réaliser des mesures hémorhéologiques (viscosité sanguine, anatomie des globules rouges), de déterminer l’interaction entre les modifications hématologiques et les fonctions vasculaire, pulmonaire, cérébrale, et de déterminer le rôle des perturbations du sommeil dans l’état de santé de ces habitants.
« Notre objectif est double : phénotyper pour la première fois la plus haute population au monde sur le plan génétique, hématologique et cardiovasculaire mais aussi déterminer les facteurs de tolérance et d’intolérance à l’hypoxie parmi les habitants de La Rinconada » détaille Samuel Vergès.
Enjeu de santé publique
Au cours de ces deux derniers séjours, les scientifiques ont aussi effectué des essais cliniques avec la population locale. « En février, 60 habitants présentant une intolérance à l'altitude, volontaires pour participer à cette étude, se sont prêtés à une série d'évaluations initiales puis ont suivi un traitement médicamenteux. Ses effets sont suivis avec attention. S’ils se révèlent concluants, il sera alors possible de recommander ce traitement qui permettra d’améliorer l’état de santé de cette population d’altitude, dépourvue de tout suivi ou prise en charge », indique le chercheur.
Au-delà du soutien médical apporté aux 50 000 habitants de la Rinconada, ces travaux ont un intérêt pour les 100 millions d’habitants qui vivent à plus de 2 500 mètres d’altitude, altitude à partir de laquelle on ressent ses effets.
Pour Samuel Vergès, « c’est un vrai enjeu de santé publique, qui peut aussi être profitable aux habitants des villes et des vallées qui présentent des pathologies comme des maladies respiratoires qui se caractérisent par un manque d’oxygène ».
Zoom sur La Rinconada
Située au Pérou, à la frontière avec la Bolivie, à 5 300 mètre d’altitude, La Rinconada est la ville la plus haute du monde. L’activité économique de la ville repose sur l’exploitation d’une mine d’or, gérée par une coopérative locale.
Bien que la cité ait connu un certain essor aurifère ces dernières décennies, il ne s’est pas accompagné d’un développement des services pour ses 50 000 habitants, qui n’ont accès ni à l’électricité, ni à l’eau courante.
Ils restent également sans système d’égouts ou de collecte de déchets. Il s’agit de conditions de vie particulièrement rudes et, comme il n’y a pas de possibilité de cultures ou d’élevage, la population se trouve totalement dépendante de l’extérieur pour son alimentation acheminée par camion et de qualité réduite.
« La pollution et l’insalubrité sont aussi importantes et impactent la santé de ces péruviens », explique Samuel Vergès, chercheur à l’Inserm et responsable de l’Expédition 5 300.
Lorsque l’équipe de l’expédition est sur place, des permanences médicales sont organisées. Mais lorsqu’elle s’en va, les habitants de cette cité s’en trouvent privés.
C’est pourquoi, en parallèle de son projet scientifique, l’expédition cherche aussi à rassembler les moyens, compétences et acteurs nécessaires susceptibles d’apporter un soutien logistique et humain pouvant répondre aux besoins de la population de La Rinconada. Qu’il s’agisse d’équipement médical, de formation des soignants, d’actions auprès des écoles…
Ainsi, dans cette idée d’améliorer les conditions de vie des habitants de La Rinconada, les membres de ce projet cherchent à construire un centre médical et scientifique franco-péruvien organisé autour de trois axes : un axe médical, un axe de recherche et un programme de recherche multidisciplinaires.
IB
Perspectives
Pour les membres de l’Expédition 5 300, La Rinconada représente « un laboratoire à ciel ouvert » dont ils se réjouissent de profiter pour enrichir leurs connaissances sur la vie en altitude.
« Notre axe de recherche est de nous inspirer de la vie en haute montagne et de l’appliquer à l’altitude de nos moyennes montagnes », explique Samuel Vergès, chercheur à l’Inserm et responsable de l’Expédition 5 300.
« Il est fort probable que la vie en moyenne altitude soit bénéfique à la santé. Les sportifs exploitent déjà ces apports. Nous souhaitons étudier cela de plus près, regarder quel impact sur la santé cela peut représenter de travailler à Grenoble et de retourner tous les soirs habiter à la montagne. Nous menons aussi des travaux auprès des enfants en étudiant certaines données comme leurs poids, leur taille et leur activité physique. Cela dans le but de déterminer si l’altitude a un impact sur leur croissance », ajoute le scientifique.
La réalisation de ces travaux se fait grâce à l’élaboration de partenariats avec les collectivités locales.
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