Interview
« Que la fête soit belle ! »
Le palmarès de Mélina Robert-Michon est déjà immense. Mais loin de s’être lassée, la discobole iséroise attend les Jeux olympiques de Paris avec beaucoup d’envie. Elle a été élue porte-drapeau de la délégation française.
Le rendez-vous est attendu. À la veille de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques qui se tiendront à Paris du 26 juillet au 11 août, les athlètes du monde entier sont dans l’effervescence des tout derniers préparatifs d’une compétition qui va marquer leur carrière.
C’est le cas de Mélina Robert-Michon, la lanceuse de disques de Colombe, qui s’apprête à 45 ans, à disputer ses septièmes Jeux olympiques. Vice-championne olympique, vice-championne du monde, l’athlète a été élue avec Florent Manaudou, porte-drapeaux de la délégation française lors de la cérémonie d’ouverture.
Elle entrera dans la compétition le 5 août au Stade de France.
Vous vous préparez pour cette échéance depuis de nombreux mois, quasiment depuis la fin des précédents Jeux, organisés à Tokyo en 2021. Comment vous sentez-vous ?
« Je me sens bien. Je continue de me préparer. Cette année, nous avons choisi de ne pas participer à beaucoup de meetings, de ne pas faire beaucoup de déplacements à l’étranger, pour réaliser plus d’entraînements et me préserver. Je n’ai pas encore fait ma performance de pointe, mais c’est le but. L’objectif est de la réaliser pour les JO.
Les Jeux olympiques sont toujours un grand rendez-vous. Mais en étant organisés en France, ceux-ci seront-ils différents ?
En effet, on sent bien qu’il s’agit d’une année olympique particulière. Il y a encore plus de ferveur que d’habitude. Tout le monde en parle, tant les adultes, que les enfants. Pour nous, les athlètes français, c’est vraiment chouette. Nous savons que nos proches seront là, dans les tribunes. Alors, c’est vrai que cela nous met la pression, mais en même temps, cela nous « booste ». On veut tellement que la fête soit belle !
Et qu’est ce qui fera que la fête soit belle ? Quels sont vos objectifs ?
Le fait que ma famille soit présente pour m’encourager sera déjà forcément un beau moment. Et en termes d’objectifs sportifs, c’est le podium que je vise. Même si je sais que pour cela, il va falloir que je lance très loin, que je batte mon propre record (66,73 mètres en 2016, ndlr).
Vous allez participer à vos septièmes Jeux olympiques. Une performance en soi. Comment avez-vous fait pour ne pas vous lasser ?
J’ai eu la chance d’être bien entourée, d’avoir auprès de moi des personnes qui m’ont portée, aidée, accompagnée, de la meilleure des manières. Et puis, j’aime ce que je fais. C’est une chance et c’est la base. Cette année, mon état d’esprit est un peu différent. Je profite au maximum, car je sais que ce sera bientôt fini.
Justement, ces jeux à domicile seront-ils votre dernière compétition ?
Non. Je veux arrêter ma carrière quand je serai sûre de n’avoir aucun regret. Du coup, je sais déjà que je veux la prolonger d’au moins encore un an après les jeux. Et puis après, je verrai…
Après les JO de Tokyo, vous avez changé d’entraîneur. C’est désormais votre compagnon, Loïc Fournet, qui officie. Qu’est-ce que cela a changé ?
Comme il était prévu que mon entraîneur historique, Serge Debié, prenne sa retraite, le changement a été anticipé de longue date… Mais il reste quand même dans l’équipe qui m’accompagne. C’était important pour moi. La présence de Loïc m’a amené un regard neuf et une manière de fonctionner différente. Je l’ai vécu comme un nouveau challenge à relever, qui m’a beaucoup motivée. C’est aussi une autre organisation, y compris sur le plan familial, car quand on se déplace, on se déplace tous les deux. Cela ne simplifie pas les choses, mais c’est sympa de vivre ces moments ensemble, et même, quand on le peut, d’emmener nos filles.
Iséroise de naissance, vous êtes ambassadrice du sport pour le Département de l’Isère et intervenez dans les collèges. Quels messages souhaitez-vous faire passer aux jeunes ?
Je pense que les bienfaits du sport vont bien au-delà de l’activité physique. Ils se rapportent aussi à la santé, à la mixité. Le sport permet aux enfants de s’occuper, de s’entretenir. Tous les enfants ne deviendront pas champions du monde ou champions olympiques. Mais ce n’est pas ce qui est important. En pratiquant un ou des sports, ils auront forcément quelque chose à gagner, en termes de rencontres, de déplacements, d’aventures. Ils vivront des moments uniques qui les aideront à grandir, à se structurer pour leur vie future ».
Propos recueillis par Isabelle Brenguier
Sportive de haut niveau et maman
Pas facile pour les femmes de concilier sport de haut niveau et vie de famille. Le désir de maternité sonne le plus souvent la fin de leur carrière. Mais Mélina Robert-Michon, elle, n’a pas voulu choisir.
Si en 2010, alors âgé de 31 ans, elle a accueilli son premier enfant Elyssa, et en 2018, à 38 ans, son deuxième, Enora, l’athlète n’a pas voulu pour autant arrêter son activité. Après ses deux grossesses, sa motivation était encore plus grande, et elle a repris ses entraînements et la compétition avec acharnement.
Son travail et sa ténacité ont été récompensés par une médaille d’argent aux Jeux olympiques de Rio en 2016. Ces deux coupures volontaires dans sa carrière lui ont beaucoup apporté.
Un vrai tabou
En 2010, Mélina Robert-Michon n’a pas eu l’impression de montrer la voie en ne choisissant pas entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle.
Pour autant, à l’époque, cela ne se faisait pas. Ce n’est qu’après qu’elle s’est rendue compte qu’il y avait « un vrai tabou sur ce sujet ». C’est ce qui l’a conduite à en parler davantage.
« Le but n’est pas que toutes les femmes sportives aient des enfants pendant leur carrière. Je veux juste qu’elles sachent que ce choix leur appartient, qu’elles peuvent le faire, car on ne peut pas aller contre cette envie-là. Parce que si on veut être bien dans son sport, il faut être bien dans sa vie », assure-t-elle.
IB
Porte drapeau
Bien placée pour être porte-drapeau de la délégation française, Mélina Robert-Michon avait déclaré à Terre dauphinoise qu’être désignée pour conduire la délégation tricolore « serait un symbole très fort, une immense fierté de représenter ainsi l’ensemble de l’équipe de France. Je crois que je n’aurai même pas de mot pour décrire ce que je ressentirais si j’avais cette chance, tant les Jeux olympiques sont importants pour moi, tant ils ont fait partie de ma vie durant ces 20 dernières années ». Ses souhaits ont été exaucés, elle a été élue pour accomplir cette tâche par ses pairs le 11 juillet dernier.
Le disque, de l’Isère à Paris
Reconnue par ses pairs, engagée pour promouvoir les valeurs du sport, Mélina Robert-Michon est une athlète d’exception, fière de ses origines iséroises.
Fille d’agriculteurs installés en polyculture-élevage à Colombe, rien ne prédisposait Mélina Robert-Michon à devenir sportive de haut niveau. D’ailleurs, quand elle était petite, elle ne savait pas précisément ce qu’elle souhaitait faire. Elle avait comme envie de travailler avec les enfants ou d’exercer « un métier d’extérieur, qui bouge ».
Sa rencontre avec l’athlétisme et plus précisément avec le lancer, elle la doit à un professeur d’EPS de son collège du Grand-Lemps qui lui a conseillé de s’inscrire dans un club quand elle serait au lycée à La Côte-Saint-André. Très rapidement, parmi les nombreuses disciplines que compte l’athlétisme, c’est vers le lancer qu’elle se dirige. Pour ses études supérieures, Mélina Robert-Michon est partie à Lyon, où elle a intégré l’Ufraps (Unité de formation et de recherche des activités physiques et sportives) pensant devenir professeure de sport. S’il lui a été difficile de quitter la ferme familiale pour une chambre de 12 mètres carrés, ses résultats ont radicalement changé.
En s’engageant dans une démarche d’entraînement, son lancer est passé de 49 à 59 mètres. En un an seulement. La beauté du geste, son côté complexe et l’ambiance de groupe qu’elle a rencontrés sont les éléments qui lui ont donné envie de s’adonner au lancer de disque. Quant au « déclic de la compétition », elle l’a ressenti quand elle est devenue, en 1998 à Annecy, vice-championne du monde junior. « Là, je me suis rendu compte que cela me plaisait, que je voulais en refaire (des compétitions, ndlr) pour revivre l’intensité de ces émotions. »
Pendant cinq ans, elle a cumulé ses entraînements et ses compétitions avec un travail rémunéré pour le service communication de l’Armée de terre. Mais après sa participation aux Jeux olympiques de Pékin en 2008, elle s’est rendu compte qu’elle était au bout de ce système. Elle a saisi l’opportunité offerte par la Fédération française d’athlétisme d’être salariée et d’avoir un statut via une ligue professionnelle qui aide son club.
« C’est le travail qui paye »
Entre sa salle d’entraînement pour la musculation et le parc de Parilly, l’athlète est dans son élément. Loin de s’isoler, Mélina Robert-Michon continue de s’entraîner avec les licenciés du club de « Lyon athlétisme », au milieu de tous les sportifs qui fréquentent le parc. « C’est un cadre d’entraînement très agréable. Nous sommes au milieu des arbres. C’est important pour moi qui viens de la campagne », assure-t-elle. Pour atteindre et rester au plus haut niveau, l’athlète enchaîne inlassablement les lancers dans l’objectif d’atteindre le geste parfait, le jour J. « Si je pouvais ne faire que des compet’, je le ferai ». Mais le sport de haut niveau ne fonctionne pas comme cela. « C’est le travail qui paye », indique l’athlète. Si elle a des prédispositions, elle assure que c’est grâce au travail qu’elle accomplit chaque jour qu’elle réalise ses performances. « Ça, c’est mon côté paysan. J’ai toujours vu mon papa travailler. Il ne s’est jamais posé de question. Je fais la même chose. »
Isabelle Brenguier