Environnement
Etoile du Vercors : Lactalis boit du petit lait

Marianne Boilève
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Après dix ans de blocages et de procédures juridico-administratives, la station d’épuration de la fromagerie de Saint-Just-de-Claix (Isère) a été mise en service fin août et inaugurée le 15 décembre par le président de Lactalis lui-même. Une cérémonie boycottée par les élus locaux.

Etoile du Vercors : Lactalis boit du petit lait
En coupant le ruban de la nouvelle station d’épuration de la fromagerie de Saint-Just-de-Claix, le président de Lactalis (au centre) signe le dernier chapitre d’un feuilleton à rebondissement.

 « Nous avons une fromagerie propre maintenant », s’est félicité Emmanuel Besnier, le 15 décembre, lors de l’inauguration de la toute nouvelle station d’épuration de l’Etoile du Vercors, à Saint-Just-de-Claix. Lancé fin août, l’équipement a mis près de dix ans à sortir de terre, sa construction ayant été bloquée par  plusieurs procédures opposant l’entreprise aux élus locaux et aux associations de défense de l’environnement

Gratitude

Dans son discours inaugural, le discret PDG de Lactalis a rappelé la volonté de son « groupe rural » de « conserver les savoir-faire » locaux tout en réduisant son empreinte environnementale. Exprimant sa « gratitude » envers le préfet qui a permis « l’aboutissement d’un projet initié en 2011 », Emmanuel Besnier a également salué le travail des équipes mobilisées pour construire  l’équipement « en un temps record » : onze mois de travaux… après huit ans de procédures.

Station « dernière génération »

Si le président de Lactalis a fait le déplacement ce jour-là, c’est que cette station « dernière génération » marque un tournant dans l’histoire de l’Etoile du Vercors. Sa mise en service met en effet un terme à une « anomalie environnementale » qui colle aux basques de l’entreprise depuis une vingtaine d’années. Créée en 1942, la fromagerie de Saint-Just-de-Claix, qui collecte aujourd’hui son lait auprès de 80 exploitations, dont 57 en IGP saint-marcellin, ne disposait jusqu’à présent d’aucun outil de traitement des eaux usées et rejetait ses effluents industriels directement dans l’Isère. Une situation incongrue mais tolérée par les services de l’Etat, jusqu'à ce que le code de l’Environnement, entré en vigueur au début des années 2000, ne la considère comme « irrégulière ».

Raccordement

C’est là que les choses se compliquent. A cette époque, pour se mettre en conformité avec la réglementation, la fromagerie, propriété de l’industriel Triballat, envisage de se raccorder à la future station intercommunale du Smabla, dont l’implantation est prévue à Saint-Nazaire-en-Royans. Mais vu les coûts de raccordement et la nécessité d’installer une station de prétraitement, l’Etoile du Vercors fait machine arrière. Le dispositif d’épuration intercommunal est construit malgré tout, avec un potentiel largement supérieur aux besoins réels. Dix ans plus tard, il n’est toujours utilisé qu’à 30% de ses capacités. « Erreur de dimensionnement et d’accompagnement des élus », lâche un ingénieur proche du dossier.

Feuilleton juridico-administratif

Mise en service en 2011, année du rachat des fromageries de l’Etoile par Lactalis, la station intercommunale s’est alors retrouvée au cœur d’un feuilleton juridico-administratif : les élus voulaient que l’Etoile du Vercors se raccorde à l’équipement collectif, tandis que l’entreprise demandait – en vain – des autorisations pour construire sa propre station autonome. Le bras de fer a duré jusqu’à ce que les dirigeants de la fromagerie obtiennent – après quatre refus - leur permis du maire de Saint-Just-de-Claix, du fait de « pressions de la Préfecture et des services de l’Etat », dénonce Joël O’Baton. C’était au printemps 2019. 

Lors de l’inauguration du 15 décembre dernier, chacun avait en tête les épisodes de cette histoire à rebondissements qui aura coûté très cher, tant en termes financiers qu’environnementaux. Patrick de Guérines, le directeur général des fromageries de l’Etoile, en a retracé les grandes étapes à sa manière. « Quand cela est techniquement possible et viable, nous raccordons nos sites aux stations intercommunales, a-t-il assuré. C’est le cas par exemple de nos fromageries de Têche et du Chartrousin à Saint-Christophe-sur-Guiers. Concernant Saint-Just-de-Claix, les rapports des experts et de l’Agence de l’eau ont indiqué l’impossibilité de la station intercommunale d’accueillir les effluents de notre fromagerie. Après des années de discussion et quatre refus de permis de construire, nous avons enfin obtenu la signature d’un permis de construire début avril 2019. » Démarrés à l’automne, les travaux auront duré onze mois et coûté 2,4 millions d’euros.

Absence remarquée

« C’est un dossier qui reflète l’Isère dans sa diversité et dans sa complexité », a sobrement commenté le préfet Lionel Beffre. Justifiant avoir « fait le nécessaire pour sortir par le haut » des impasses dans lesquelles le dossier se trouvait, le représentant de l’Etat a regretté au passage « l’absence d’un certain nombre d’élus locaux » (1). 

Soulagement des producteurs

Quant aux producteurs, ils se disent soulagés du déblocage de la situation. « C’était une situation délicate et plus que gênante pour nous, confie Bruno Neyroud, producteur laitier à Varacieux et président de l'interprofession du saint-marcellin. Gérer les eaux blanches, et surtout le petit-lait, très riche en matière organique, c’est très compliqué. En principe, la logique, c’est que chaque laiterie ait sa propre station. Mais ça n’a pas été compris comme ça par les élus. Or, si l’Etoile ne pouvait pas se mettre aux normes, il y avait le risque que ça pénalise les producteurs… » Les agriculteurs se sont donc longtemps retrouvés coincés entre deux feux. « Il est important qu’un tel fleuron se mette aux normes après des dix ans de procédures, conclut Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l’Isère. J’espère que les services de l’Etat seront aussi souples avec les agriculteurs qui ont fait des agrandissements de cheptel, via la mise aux normes, ou qui sont en procédure pour des fossés où il y a très peu d’eau. Je ne voudrais pas habiter dans un pays où il y aurait deux poids-deux mesures. »

Marianne Boilève

 

 

 

 

 

La STEP de l'Etoile du Vercors en images

Un système d'épuration par voie biologique
Fonctionnement de la STEP de l'Etoile du Vercors (Isère) : après un premier passage dans le bassin d’épuration, les eaux chargées de boues sont convoyées dans le clarificateur.

Un système d'épuration par voie biologique

Située à 200 mètres de la fromagerie, l’unité de traitement de l’Etoile du Vercors dispose d’une capacité de 5 000 équivalents habitants, soit 780 m3/jour. Elle fonctionne selon un procédé qualifié de « robuste » par Lactalis. Il s’agit d’un système d’épuration biologique, « modernisé par des capteurs et des équipements de suivi », piloté depuis un laboratoire interne et équipé d’un système de télésurveillance. Coût de fonctionnement à l’année : 200 000 euros.

Bactéries épuratrices

Les eaux usées produites par la fromagerie sont envoyées vers la station grâce à un poste de relevage. Après une première filtration permettant d’éliminer les plus gros déchets, les effluents sont acheminés dans un bassin d’épuration de 3 000 m3, couvert et équipé de trois aérateurs mélangeurs destinés à optimiser le « travail » des bactéries épuratrices, à savoir décomposer la matière organique pendant les phases d’aération, dégrader la matière azotée grâce à une aération séquencée et altérer les matières phosphorées à l’aide d’un traitement physico-chimique.

Boues compostées

Une fois les matières organiques dégradées, les boues et les eaux interstitielles sont convoyées dans un clarificateur, équipé d’un pont racleur inox. Là, les boues se déposent au fond de l’ouvrage et l’eau épurée est évacuée par gravitation vers le milieu naturel, en l’occurrence la rivière Isère. Une partie des boues sont « recirculées » vers le bassin d’aération, tandis que les boues en excès sont régulièrement extraites, épaissies et stockées avant d’être évacuées en vue de leur compostage. 

Nuisances « maîtrisées »

Selon l’entreprise, les nuisances olfactives et sonores sont « maîtrisées » dans le bassin d’aération (couverture, « capotage phonique » des moteurs, désodorisation par filtration sur charbon actif), ainsi qu’au niveau du stockage des déchets (boues et refus de tamis) qui sont stockés dans des locaux fermés et désodorisés en attendant leur évacuation par un prestataire extérieur.

MB