Analyse
Nutri-Score : un logo qui influence l'acte d'achat

Le 19 octobre, le Parlement européen a approuvé l’affichage obligatoire d’un logo nutritionnel, sans préciser lequel, sur les emballages alimentaires d’ici fin 2022. Cette mesure prévue dans la stratégie « De la ferme à l’assiette » a relancé en France les débats sur le Nutri-Score, l’un des principaux étiquetages proposés. Éléments de compréhension sur son fonctionnement et ses conséquences sur l’agriculture.

Nutri-Score : un logo qui influence l'acte d'achat
Professeur de nutrition à l’Université Sorbonne Paris Nord et spécialiste de l’épidémiologie nutritionnelle, Serge Hercberg est le co-inventeur du Nutri-Score.

Depuis 2017, les industriels ont le choix d’afficher ou non le Nutri-Score sur leurs emballages. A-t-il fait la preuve de son efficacité ?
Serge Hercberg : « Le Nutri-Score est un outil de santé publique, pas un gadget. Il repose sur des bases scientifiques très solides. Il traduit de façon synthétique le tableau de composition nutritionnelle, situé sur l’arrière de l’emballage des aliments, qui se révèle incompréhensible pour le grand public. Des études montrent que le Nutri-Score a un impact positif au plan nutritionnel sur le choix des consommateurs, et des travaux menés dans différents pays européens sur des larges populations avaient montré que les personnes qui consomment des produits mieux notés ont moins de chance de développer des maladies chroniques. »

L’annonce d’un étiquetage nutritionnel européen obligatoire et harmonisé a réveillé l’opposition des industriels et de certaines organisations de producteurs au Nutri-Score qui est en bonne place pour être choisi par l’Union européenne. Que leur répondez-vous ?
S.H. : « Les industriels et les secteurs agricoles qui s’y opposent sont principalement ceux dont les produits sont plutôt notés D ou E sur l’échelle du Nutri-Score. Ils disent que l’affichage obligatoire entraînera des conséquences économiques. Ces personnes veulent laisser croire que le Nutri-Score interdit la consommation de certains aliments, ce qui bien entendu est faux. Le Nutri-Score ne fait qu’alerter le consommateur sur la composition nutritionnelle d’un produit, afin qu’il puisse gérer ses choix et comparer un produit à un autre, équivalent dans son usage. Par exemple, un fromage avec un autre fromage. Quand le Nutri-Score a été lancé, aucun industriel n’en voulait, mais la pression des consommateurs les a convaincus et certains ont fini par jouer le jeu de la transparence. »

Les opposants au Nutri-Score demandent notamment une révision de sa méthodologie pour calculer la valeur nutritionnelle des aliments, non plus sur 100 g ou 100 ml, mais sur une portion. Qu’en pensez-vous ?
S.H. : « Le calcul du logo doit reposer sur la science, pas sur des intérêts économiques ou industriels. Or, il est très compliqué de définir une portion. La recommandation sera différente en fonction de l’âge, du sexe et de l’activité physique du consommateur. En l’absence de standard scientifique, ce sont les industriels qui fixent la portion recommandée et, si l’on accède à leur demande, ils réduiront la taille de la portion pour faire pâlir l’indicateur et donner l’impression que leurs produits contiennent moins de gras, de sel, de sucre. Et comment estimer, sans balance, une portion de 30 g d’un fromage et de 35 g d’un autre ? La portion de 100 g permet de faire la comparaison avec un dénominateur commun. »

Le Nutri-Score ne risque-t-il pas de pénaliser certains produits traditionnels français comme l’affirme l’AOP Roquefort qui demande à être exemptée de l’affichage obligatoire ?
S.H. : « C’est très bien, les produits traditionnels, mais ce n’est pas parce qu’un produit est porteur d’un attachement au terroir, d’une origine et d’un savoir-faire ancestral qu’il est de bonne qualité nutritionnelle. Si un aliment est gras, sucré, salé, il reste gras, sucré, salé même s’il est porteur d’un label AOP ou d’une IGP. Il ne faut pas s’abriter derrière ces valeurs, même si elles sont très respectables. Il faut consommer les produits D et E en plus petites quantités, mais en favorisant ceux qui ont un mode de production vertueux, attaché à un terroir et à un savoir-faire. »

Estimez-vous que le Nutri-Score peut être amélioré à l’avenir ?
S.H. : « Bien sûr, il peut et doit être amélioré. Un comité scientifique, composé de chercheurs indépendants des sept pays qui utilisent le Nutri-Score, travaille depuis plusieurs mois aux améliorations possibles en fonction de données scientifiques et des enjeux de santé publique. Une rediscussion tous les trois ans était prévue dès le lancement du logo. Parmi les questions qui se posent, il y a celle des produits édulcorés et de la capacité du Nutri-Score à mieux discriminer les céréales complètes de celles qui ne le sont pas. »

La prise en compte du niveau de transformation des produits dans le calcul serait- elle une idée pertinente ?
S.H. : « Oui, mais le problème est qu’il n’est pas possible de pondérer ce qui revient à la partie nutritionnelle et ce qui revient à la transformation et à l’ajout d’additifs. Aucun logo nutritionnel n’intègre le facteur de l’ultra-transformation car ce n’est pas scientifiquement faisable. La nutrition et la transformation sont en réalité des dimensions différentes. Mais il est aussi possible d’informer le consommateur avec plusieurs indicateurs : sur les qualités nutritionnelles, sur l’ultra-transformation et sur la présence de résidus de pesticides. Nous avions déjà proposé d’entourer le logo Nutri-Score d’un bandeau noir pour les produits ultra-transformés. Il faut fournir des informations aux consommateurs et cela ne peut pas se faire par un indicateur unique.

Propos recueillis par J.G.