Prévention
Repenser la santé dans les territoires

Isabelle Doucet
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La santé est une question de prévention qui se décline à l’échelle territoriale. En Isère, les élus locaux se sont emparés du sujet.

Repenser la santé dans les territoires
Georges Képénékian, président de l'Institut pour la santé et les territoires et Loïs Mollet, directeur délégué départemental de l'ARS.

« L’air, l’eau et les lieux » : dans son traité, Hippocrate met en perspective la santé de l’homme avec son milieu ambiant. 
Cette notion de « santé globale » est devenue la priorité du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires.
Elle interpelle les élus territoriaux qui, à l’échelle des communes, des intercommunalités, sont invités à prendre la santé en compte dans les projets d’aménagements et d’urbanisme.
Un pas de côté qui ne doit pas occulter l’actuelle crise du secteur de la santé. C’est ce qu’ont fait remarquer certains élus qui participaient aux 21e Rencontres des intercommunalités iséroises organisées par l'Association des maires de l'Isère (AMI), le 7 juin à Voreppe.
Le thème : « La santé à l’aune de l’évolution de nos territoires ».
Comme le fait remarquer Loïc Mollet, directeur de la délégation départementale de l’Isère de l’ARS, « les facteurs environnementaux et socio-économiques influencent à 70 % notre état de santé ».
Autant de déterminants, parmi lesquels le logement, la qualité de l’air, les transports, l’accès aux équipements et aux services qui relèvent de la « décision des élus en termes d’aménagement du territoire et des services offerts à la population ».

Éducation, habitat, mobilité

Grand témoin, Georges Képénékian, élu, ancien maire de Lyon, praticien et président de l’Institut pour la santé et les territoires, rappelle la définition de l’OMS : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »

 Georges Képénékian

Pour lui, le territoire « est un espace de co-construction de la santé avec les habitants ». Il ajoute : « La santé est une préoccupation de chacun. » L’enjeu est de la garder.
Seul hic, le rapport du professeur Franck Chauvin, « Dessiner la santé publique de demain », paru en 2021, déclare : « Alors que l’espérance de vie globale a considérablement augmenté, moins d’un français sur deux arrive à l’âge de 65 ans en bonne santé. »
L’enjeu de la prévention est d’autant plus important « qu’en 2040, cinq millions d’habitants auront plus de 85 ans », insiste Georges Képénékian.
Les champs d’action sont pluriels, à commencer par l’éducation, l’accès à la culture et la connaissance, afin que cette dernière ne soit pas trop vite remplacée par les croyances. Alimentation, habitant, mobilité participent au maintien en bonne santé.
« Mais aussi la santé mentale », insiste l’élu qui critique « un trou dans le pays » à ce sujet.
Il pointe également le creusement des inégalités sociales, où 13 ans d’écart d’espérance de vie séparent aujourd’hui les plus aisés des plus modestes (source Insee).

Aménagement urbanisme

À l’échelle territoriale, ces enjeux sont pris en compte dans le cadre du dernier Plan régional santé-environnement (PRSE 3).
Il s’est décliné dernièrement en Isère à travers plusieurs Contrats locaux de santé, à La Mure, Saint-Marcellin et Vienne-Condrieu (1).
« Ces initiatives, portées par les maires ou les présidents d’intercommunalités et consignées par l’ARS ont pour but une prise en compte la plus large possible de la santé. Sont posées les questions d’urbanisme, de mobilité, d’alimentation, d’accès au soin et de facilité d’installation des professionnels de santé », déclare Loïc Mollet.
L’évolution de ces derniers fait qu’il faut deux médecins et demi pour remplacer un généraliste qui part à la retraite. Ces nouveaux profils préfèrent aussi exercer dans un site regroupé.
Et si les élus sont en première ligne pour lutter contre les déserts médicaux, ils pointent les limites de leur action.
« On se met en autoconcurrence dans les territoires, chaque commune fait sa maison de santé et on organise le mercato des médecins », regrette Jean-Yves Brenier, président de la communauté de communes des Balcons du Dauphiné.
« Se poser ensemble des questions, dans un territoire, au bon niveau de décision », invite Georges Képénékian, qui ajoute « et communiquer auprès des habitants ».
Mais il prévient : « d’ici 10 ans, quoi que l’on fasse, il n’y aura pas assez de médecins ».

Innover

Anticiper et prévenir suppose d’avoir une vision, explique-t-il. C’est imaginer d’autres champs de compétences pour les professionnels de la santé, comme les pharmaciens désormais autorisés à vacciner ou « la question des infirmières praticiennes ».
À l’hôpital de la Mure, c’est par exemple la mise en place d’un service de soins extérieur. Si les intercommunalités sont prêtes à innover, à l’image du Pays voironnais qui travaille, en partenariat avec des acteurs privés et publics sur le vieillissement de la population, sa vice-présidente et maire de Moirans Valérie Zulian, fait observer que les collectivités ont besoin « de savoir comment travailler ensemble, d’avoir une bonne articulation ». François Ferrante, conseiller municipal à Moirans et président de l’association des Centres de santé infirmiers (CSI), fait quant à lui observer la fragilité économique des Centres de santé.
Loïc Mollet assure que « jamais des moyens aussi importants » ont été mis en France sur la santé.



Christophe Ferrari, le président de Grenoble Alpes métropole, est revenu sur la question de l’environnement de la personne soulignant « le problème des logements passoires thermiques. Des gens vont être sortis de ces logements et ne pourront pas être logés. L’urbanisme neuf n’est qu’un petit morceau de la réalité. »
Il dénonce l’absence de réponse adaptée au stock de logements existants, mais regrette aussi « que les élus locaux restent en dehors des grands débats comme l’avenir des hôpitaux ».
Enfin, le président de la Métro place le débat à l’échelle départementale. « La Loi 3DS (2) nous permet d’aller vers le sujet de santé. Que décidons-nous en Isère ? ».
Isabelle Doucet

(1) Les Contrats locaux de santé (CLS) ont vocation à renforcer les partenariats sur un même territoire dans l’objectif de mieux prendre en charge la santé des habitants (Code de la santé publique). CLS actifs : Bourgoin-Jallieu, Grenoble, Pays Voironnais, Fontaine, Saint-Martin-d’Hères. CLS en cours de déploiement : Saint-Marcellin, La Mure, Vienne-Condrieu. D’autres sont en projet dans le Grésivaudan et Bièvre Isère Communauté.

(2) Loi 3DS relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.

Renforcer la stratégie sanitaire
Signature du contrat local de santé de Saint-Marcellin Vercors Isère Communauté.

Renforcer la stratégie sanitaire

Pour pallier les problèmes de prise en charge et d’accès aux soins, Saint-Marcellin Vercors Isère Communauté a mis en place un Contrat local de santé, le 24 mai.

L’Isère rurale n’est pas épargnée par la prise en charge et l’accès difficiles aux soins.
C’est pourquoi Saint-Marcellin Vercors Isère Communauté, l’Agence régionale de santé (ARS) et l’Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de Saint-Marcellin portent le nouveau Contrat local de santé de la communauté de communes.
Il s’agit du sixième territoire isérois à en être muni.
Le 24 mai, il a été signé par les différents acteurs qui interviendront dans sa mise en place.
L’objectif est d’apporter des réponses concrètes à la pénurie d’offres de service de santé dans l’ensemble du territoire et de fournir des conseils et des solutions en matière de santé mentale.
L’offre de services est actuellement concentrée à Saint-Marcellin et à Vinay et la tâche sera d’envergure, car les médecins généralistes vont finir par manquer, la population de la communauté de communes est vieillissante et n’a pas beaucoup de moyens financiers.

Pallier le manque

Concrètement, le Contrat local de santé fixe des priorités au territoire.
La première est l’accès aux soins. « Nous avons concentré le service de santé dans les grandes métropoles, or, aujourd’hui, nous nous rendons compte que les services publics peuvent exister au niveau local, donc il faut pallier les problèmes d’accès aux soins rencontrés dans le monde rural », explique Frédéric de Azevedo, président de Saint-Marcellin Vercors Isère Communauté. Ainsi, d’ici quelques mois, au moins trois ou quatre médecins et kinésithérapeutes s’installeront à Pont-en-Royans.
Il conviendra également de coordonner l’offre de soins pour améliorer leur qualité. Les deux ans de pandémie ont « forcé les choses », selon le président de la communauté de communes, et il faut que cette dernière « aille vers la population, surtout lorsqu’elle est éloignée » des offres de service.
Et la santé mentale n’est pas mise à l’écart. À titre d’exemple, 20 élèves du collège de Chatte sont déscolarisés. « Les 11-14 ans sortent éprouvés de la crise sanitaire et il faut donner les moyens aux élus et aux familles de les aider. »
La mise en place d’un Contrat local de santé entre dans le cadre du Projet régional de santé porté par l’ARS, qui vise la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé.
Une Maison de santé pluridisciplinaire a ainsi été créée à Pont-en-Royans en 2022, le centre hospitalier intercommunal Vercors Isère soutenu dans son projet d’extension et la Maison intercommunale des familles gérée directe par la communauté de communes.

Morgane Poulet