Qui dit changement de source d'énergie dit modification de l'économie. Le 10 janvier, G2E Tere organisait à Grenoble une conférence sur ce sujet.
Le 10 janvier, l’INP Ense3, à Grenoble, accueillait une conférence organisée par G2E Tere*. L’objectif de l’événement était d’aborder les moyens qui pouvaient transformer l’économie française des trente prochaines années pour l’adapter aux problématiques climatiques et énergétiques.
Il existe en effet des contraintes climatiques quant à l’utilisation des énergies fossiles, ce qui rend nécessaire le recours à des alternatives, explique Nicolas Raillard, ingénieur en conception de systèmes aéronautiques et chef de projet du Shift Project**. Et, qui dit changement de source d’énergie dit invariablement changement en profondeur de l’économie.
La contrainte carbone
« Lorsque que nous brûlons les énergies fossiles, cela produit des émissions de gaz à effet de serre », rappelle Nicolas Raillard. Selon les recommandations du Giec, il ne faudrait pas que la température mondiale augmente de plus de deux degrés Celsius d’ici 2100. A ce titre, il faut éviter que plus de 1 200 milliards de tonnes de CO2 soient rejetées d’ici la fin du siècle. « Il nous reste trente ans pour modifier nos sources d’énergie avant d’en subir des désagréments climatiques de trop grande importance », ajoute-t-il. Il faut notamment réussir à faire décroître l’utilisation de pétrole.
Le système technique français devra ainsi être transformé en profondeur pour subvenir aux besoins du pays, car, actuellement, l’empreinte carbone d’un Français représente 9,9 tonnes équivalent CO2 chaque année.
Un projet
C’est ce à quoi ont travaillé les équipes du Shift Project en mettant au point un « plan de transformation de l’économie française ». Leur projet est un « programme prospectif », explique Nicolas Raillard, qui ajoute qu’en se projetant jusqu’à 2050, le groupe a estimé qu’il faudrait que les gaz à effet de serre soient diminués de 5% chaque année. Sans quoi, les dégâts engendrés par le réchauffement climatique ne pourraient pas être corrigés.
Leur étude porte donc sur l’estimation d’une quantité d’énergie qui serait requise d’ici 2050 si un plan de transformation de l’économie française était mis en place. Pour parvenir à un résultat, « nous avons découpé l’économie en secteurs, comme l’industrie lourde, l’agriculture ou encore les services rendus, explique Nicolas Raillard, mais nous avons également tenté d’évaluer les contre-parties en termes d’emploi ».
Enjeux énergétiques pour la France
Concrètement, environ 70% de l’alimentation des machines utilisées en France se fait grâce aux énergies fossiles. Et pour parvenir à les remplacer, le scientifique propose d’utiliser une biomasse dédiée. « Nous pourrions diviser par six l’utilisation de liquides, de gaz et de matières solides polluantes ou bien nous pourrions dédier plus de 100% des surfaces arables et forestières françaises à la production d’énergie, ce qui ne semble pas réalisable car nous n'aurions plus de terrain agricole pour subvenir à nos besoins, ce qui nous pousserait à acheter ailleurs », explique Nicolas Raillard.
Une deuxième idée serait de produire des combustibles de synthèse. « Mais le problème est que cela consommerait beaucoup d’électricité et qu’il faudrait augmenter par cinq, voire par six, la production d’électricité française », ajoute-t-il.
Mais des incertitudes quant au réseau électrique français existent. A la fin des années 1970-1980, beaucoup d’infrastructures de production électrique ont été construites. Or, d’ici les années 2040, il faudra les démanteler car elles seront devenues trop vieilles. Il faudra donc penser à compenser ce retirement d’unité de service. Et il s’avère compliqué d’imaginer une compensation grâce à la construction de centrales nucléaires, car « il faudrait environ quinze ans entre la décision d’en construire une et le raccordement d’une première centrale », explique l’ingénieur. En ce qui concerne un projet éolien offshore, il faudrait compter environ dix ans.
Industrie lourde
Le projet étudie également les conséquences que cela aurait sur l’industrie lourde, qui a un effet sur le territoire : une partie importante de la population vivant autour de points industriels y travaille. En France, l’industrie rejette environ un cinquième des émissions de CO2, soit 90 millions de tonnes de CO2 chaque année, mais elle fait également travailler environ trois millions d’emplois directs.
« Si l’industrie devient moins compétitive, les consommateurs s’approvisionneront ailleurs, donc, si l’industrie devient trop contrainte sur le territoire, l’industrie étrangère bénéficiera de cela », explique Guillaume Allard, chercheur dans l’industrie pharmaceutique. Mais, depuis la fin des années 1990, ce secteur a déjà connu une très forte diminution de ses émissions de CO2, permise par la sortie de l’industrie des frontières françaises. Par exemple, 19 millions de tonnes d’acier étaient produites en France dans les années 1990 contre environ 14 millions aujourd’hui, car la demande a diminué.
Quoi qu’il en soit, les emplois seraient touchés par une décarbonisation de l’économie française : dans les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation, du logement, de l’industrie de la mobilité ou encore dans les services de transport. Si certains domaines étaient touchés par une diminution d’emplois disponibles, d’autres connaîtraient une croissance intéressante. La réduction de la mécanisation ou encore la massification des pratiques agroécologiques augmenteraient par exemple l’emploi dans l’agriculture, permettant un niveau d’emploi semblable à celui qu’il y avait à la fin des années 1990.
Morgane Poulet
**G2E Tere est une association qui promeut la transition énergétique.
*Shift Project est un think tank qui œuvre en faveur d’une économie post-carbone.