Perspectives
Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, et Loïc Scalabrino, le secrétaire général adjoint de JA national, évoquent leur vision de l'agriculture lors d'une visite en Isère
Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, et Loïc Scalabrino, le secrétaire général adjoint de JA national, sont venus à la rencontre des agriculteurs isérois. Au programme, les coulisses des négociations en cours, ainsi que le modèle agricole qu’ils défendent.
« La situation politique est complexe, lance Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, à l’occasion du Conseil fédéral de la FDSEA de l’Isère, organisé le 14 janvier à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs. En un an, nous avons eu quatre Premier ministres. Celui que nous avons aujourd’hui nous dit clairement qu’il ne sait pas s’il sera encore là pour le prochain Salon de l’agriculture. Il n’y a pas de majorité à l’Assemblée nationale. Et le pays est encore sans budget pour 2025. Dans ces conditions, il est bien difficile de se projeter. »
Pour autant, le président de la FNSEA reste combatif. « Depuis les manifestations que nous avons initiées l’hiver dernier, nous n’avons pas cessé de nous battre pour faire passer nos revendications pour les agriculteurs français, pour leur permettre de continuer d’entreprendre. Car c’est bien cet esprit d’entreprise qui les caractérise, le choix qu’ils ont fait d’engager du capital, de travailler sans compter leurs heures, et d’accepter d’avoir un revenu qui ne soit pas en adéquation avec tout ce temps investi. Aussi, nous n’avons pas cessé de proposer des mesures concrètes et de nous impliquer pour qu’elles soient inscrites dans le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Au total, elles représentent entre 400 et 450 millions d’euros pour les agriculteurs, sur des sujets aussi divers que les retraites, le coût du travail, l’élevage, la Taxe sur le foncier non bâti… Mais tant qu’il n’y a pas de budget, ces mesures ne sont pas effectives », explique-t-il.
S’il reconnaît être « dépité », il insiste sur le fait que « la FNSEA et les JA ne lâchent rien ». « Durant le rendez-vous que nous avons eu hier (le 14 janvier, ndlr) avec François Bayrou, nous lui avons rappelé l’urgence qu’il y a à graver dans le marbre nos revendications. De son côté, il nous a assurés que les promesses faites par les précédents gouvernements seraient tenues », souligne Loïc Scalabrino, le secrétaire général adjoint de JA national.
Souveraineté alimentaire
Malgré ce contexte, les deux responsables croient en l’avenir de l’agriculture française et se disent « prêts à le construire ». « Notre projet est de redonner le goût d’entreprendre aux agriculteurs, de continuer à garder des racines solides pour la compétitivité des exploitations agricoles et la structuration des filières, de porter les propositions de loi sur la simplification du quotidien des fermes, de travailler sur le stockage de l’eau et les solutions alternatives aux produits phytosanitaires qui ne seront plus homologués ».
Sur ce sujet, le patron de la FNSEA est insistant : « Nous ne les utilisons pas par plaisir. Quand nous pouvons nous en passer, nous le faisons. D’autant qu’ils représentent une charge financière supplémentaire pour nos exploitations. Mais dans certaines situations, pour lutter contre les ravageurs et les maladies, ils sont indispensables pour produire. Alors, qu’on nous interdise certains de ces produits en France, et qu’ensuite on autorise les productions d’autres pays qui les utilisent, ça, ce n’est pas possible ».
Pour lui, les agriculteurs jouent un rôle primordial pour la souveraineté alimentaire du pays et, en tant que chefs d’entreprise, sont bien placés pour redresser ses finances et créer de la valeur ajoutée.
Construire l'avenir de l'agriculture de la France
Les deux syndicalistes sont conscients du mécontentement des agriculteurs. « Nous avons bien le sentiment que les résultats attendus ne sont pas là, que les exploitants sont excédés. Mais il ne faut pas se décourager. Forts d’un solide maillage territorial, d’une équipe et d’un projet, nous sommes prêts et motivés pour construire l’avenir de l’agriculture de la France », ont-ils indiqué, un jour avant l’ouverture du scrutin permettant aux agriculteurs d’élire leurs représentants aux chambres d’agriculture.
Arnaud Rousseau et Loïc Scalabrino rappellent que « l’enjeu est extrêmement important, en termes de représentativité, notamment vis-à-vis de l’administration, mais aussi de financement ». Le président de la FNSEA ajoute encore qu’« il faut accepter les différences au sein du réseau. Ces élections sont des élections départementales. Cela signifie que le projet porté par la FDSEA de l’Isère n’est pas forcément le même que celui des FDSEA voisines ou de la FNSEA », précise-t-il.
La fin des débats a permis à Arnaud Rousseau de rappeler qu’il serait à nouveau présent dans le département à l’occasion du Congrès de la FNSEA qui se tiendra du 25 au 27 mars prochains à Grenoble.
Isabelle Brenguier
(1) Travailleurs occasionnels – demandeurs d’emploi
(2) Autorité européenne de sécurité des aliments
(3) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
Jeu de questions réponses
Le Conseil fédéral de la FDSEA à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs a permis de nombreux échanges.
Les agriculteurs venus nombreux rencontrer Arnaud Rousseau et Loïc Scalabrino, les représentants de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs, lors du Conseil fédéral de la FDSEA de l’Isère, ont apprécié. Ils en ont profité pour les interpeller sur différents sujets.
Sur celui du loup, le responsable des Jeunes agriculteurs a indiqué que « grâce aux combats menés depuis de nombreuses années, nous avons obtenu le déclassement du statut du loup au sein de la Convention de Berne d’espèce strictement protégée à protégée, l’autorisation de deux à trois tireurs pour les tirs de défense simple, celle de lunettes de tirs à visée nocturne pour les lieutenants de louvèterie et l’Office français pour la biodiversité, ainsi que la suppression de l’obligation d’éclairage préalable de la cible. Maintenant, nous devons avancer sur la modification de la Directive Habitats. Notre objectif est que le nombre de loups diminue, de façon à ce qu’il n’y ait plus d’attaque sur les troupeaux ».
Sur la question de l’emploi, Arnaud Rousseau a précisé que le Premier ministre et la ministre du Travail leur avaient confirmé que le dispositif d’exonération de charges patronales TO-DE (1) serait inscrit dans le PLFSS de manière pérenne.
Sur celle de la transposition des normes, il déplore que « les choses n’avancent pas assez vite ». Mais il revendique vouloir faire en sorte qu’il n’y ait plus l’EFSA (2), qui valide une homologation européenne, puis l’Anses (3) une Autorisation de mise sur le marché française. Il sait qu’« à l’Assemblée nationale, ce sujet va faire débat, mais il faut y aller. On verra qui sont les plus courageux », a-t-il lancé. Il exhorte également le gouvernement à investir davantage dans la recherche et l’innovation. « Cela servira autant l’agriculture conventionnelle que l’agriculture biologique », souligne-t-il.
Explosion de la sinistralité
Quant à la thématique de l’eau, les deux responsables affirment leur volonté de pouvoir stocker les M3 d’eau qui tombent du ciel et que l’agriculture ne soit pas le seul secteur d’activité à devoir faire des efforts en cas de restriction.
Enfin, sur l’assurance, Arnaud Rousseau reconnaît être particulièrement ennuyé et que même si le système est imparfait, il se doit de tenir un discours « politiquement incorrect ». « Dans un contexte où la sinistralité explose partout, le sujet est compliqué. Les assureurs ne peuvent pas tout payer. Et étant donné ses finances, l’Etat ne pourra pas non plus. Nous aurons une discussion professionnelle au niveau de la PAC, mais on sait d’ores et déjà que ce sera difficile », admet-il.
IB
En bref
Evoquant les dossiers de l’eau, du foncier, de l’énergie, de construction de filières, de développement des circuits courts, de renouvellement des générations…, Aurélien Clavel, secrétaire général de la FDSEA de l’Isère, se déclare prêt à continuer à travailler sur ces sujets et à accompagner les agriculteurs dans leurs évolutions de pratique.
A propos de la question de l’eau, Jérôme Crozat, le président de la FDSEA, encourage les agriculteurs à être présents dans les Sage (Schéma d'aménagement et de gestion des eaux) et à expliquer aux élus les besoins de l’agriculture.
Revenant sur la DJA attribuée aux agriculteurs d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui ont la plus haute de France, Jocelyn Dubost, le président des JA AURA, annonce que celle de 2027 est déjà en préparation.