La mise en place de la nouvelle programmation Pac 2023-2027 a donné du fil à retordre aux services instructeurs. Le point avec Véronique Lemaire-Curtinot, la directrice des soutiens agricoles de l’ASP.
Le ministère de l’Agriculture avait prévenu les organisations professionnelles. Cette année, le versement des avances des aides Pac pourrait être perturbé en raison de la complexité inhérente au déploiement opérationnel de la première année de la programmation 2023-2027. Globalement, 80 % des dossiers d’avance ont été réglés au 18 octobre, et 90 % trois semaines plus tard, indique l’Agence de services et paiement (ASP). Le versement d’avances est une option que les États membres peuvent ou non activer. La France a fait le choix de le maintenir, malgré les difficultés connues inhérentes aux démarrages de programmation – la précédente avait occasionné des retards sur plusieurs années, en raison notamment d’un nouveau logiciel cartographique.
50 000 dossiers de droit à l’erreur
Pourquoi de tels retards ? La mise en œuvre de la programmation 2023-2027 présentait des « changements majeurs », selon Véronique Lemaire-Curtinot, la directrice des soutiens agricoles de l’ASP. Certains ont été mis en place sans encombre, comme le suivi en temps réel des surfaces ou le droit à l’erreur. Sur 300 000 dossiers Pac traités cette année, dans le cadre de la mise en place du droit à l’erreur, 50 000 ont fait l’objet d’une demande de modification lors de la déclaration des aides Pac, notamment pour des oublis. Ce droit à l’erreur sera effectif au moment du versement du solde et « annulera l’écart entre les déclarations des exploitants et les résultats de contrôle administratif grâce à la mise en œuvre de l’accord tacite », rappelle Véronique Lemaire-Curtinot. Pour la fonctionnaire, « c’est une évolution européenne que la France a réussi à mettre en œuvre de façon optimale dans les délais impartis, malgré la lourdeur des développements informatiques qui ont été nécessaires pour cela ». Autre changement réussi selon l’ASP, le déploiement du système de suivi en temps réel des surfaces (3STR) : « Nous n’avons pas eu besoin de contacter beaucoup d’agriculteurs pour réaliser des photos géolocalisées et seulement 12 000 parcelles sur une dizaine de millions ont fait l’objet d’un signalement en feu rouge. » En revanche, d’autres changements ont entraîné de vrais retards, comme les éco-régimes, la refonte de l’aide bovine, les nouvelles définitions de l’agriculteur actif et du jeune agriculteur. Globalement, la nouvelle programmation a semblé ajouter de la complexité de traitement aux services instructeurs, rapporte l’ASP. Et de citer par exemple la nécessité, désormais, de croiser des informations issues de bases de données extérieures à l’ASP, comme celle de la MSA ou de la Cnav (assurance vieillesse), pour vérifier l’éligibilité aux aides Pac. Le problème serait particulièrement aigu avec la DJA pour laquelle la réglementation impose désormais la vérification de la part du jeune agriculteur au sein de leur société « Désormais, l’instruction est beaucoup plus lourde pour la dotation jeune agriculteur (DJA), constate Véronique Lemaire-Curtinot. Et nous avons un taux de versement significativement plus bas que d’habitude, ce qui est en train de se résorber. »
Des retards inacceptables pour la FNSEA
Du côté de la FNSEA, le bilan n’apparaît pas satisfaisant : « D’après les remontées de notre réseau, il y aurait des problèmes de paiement pour environ 30 % des agriculteurs : 10 % qui n’auraient pas été payés du tout et 20 % qui n’auraient été payés que partiellement, estime Arnaud Rousseau, son président. Pour lui, « il n’est pas acceptable que des agriculteurs qui ont été contrôlés en septembre ne soient pas payés aujourd’hui (au 10 novembre). Il est normal qu’il y ait des contrôles car il s’agit d’argent public, mais il n’est pas normal que les agriculteurs ne soient pas payés à la date prévue. »
20 000 demandeurs en moins
Au-delà du versement et de ses aléas, la nouvelle programmation a déjà engendré un effet notoire : la baisse du nombre de dossiers Pac déposés. Véronique Lemaire-Curtinot note qu’il y a « significativement moins de demandeurs » qu’habituellement. Dans le détail, le taux de chute, c’est-à-dire la baisse du nombre de déclarations d’une année sur l’autre, « est supérieur aux années habituelles », explique-t-elle. Alors qu’il est « de l’ordre de 4 000 dossiers habituellement », il est monté « à 20 000 cette année ». Parmi les pistes d’explications : « Certains retraités n’ont peut-être pas fait la demande sachant qu’ils n’y auraient pas droit », évoque-t-elle. La programmation 2023-2027 est en effet marquée par une nouvelle définition de l’agriculteur actif, plus restrictive. Le changement le plus marquant concerne l’âge : désormais, à partir de 67 ans, les agriculteurs doivent choisir entre les aides de la Pac et leur retraite. Auparavant, la MSA proscrivait déjà de toucher une retraite agricole tout en étant exploitant, à l’exception de la parcelle de subsistance. À partir de cette année, le retraité agricole pouvait continuer d’exploiter cette parcelle, mais elle ne lui permet plus de toucher d’aides de la Pac, passé l’âge de 67 ans. Ce sont probablement ces milliers de retraités qui ont dit au revoir à la Pac.