Marché de gros
Les grossistes visent la clientèle des particuliers

Pénalisés par la restriction des marchés et de la restauration hors domicile - leurs principaux débouchés -, les grossistes du Min de Grenoble ont vu leur chiffre d'affaires s'effondrer. A situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle : certains élargissent leur clientèle aux particuliers.
Les grossistes visent la clientèle des particuliers

Depuis la fermeture des commerces « non essentiels », la restauration hors domicile est à l'arrêt. Conséquence à Grenoble : le carreau fait grise mine. Sous la voûte du marché d'intérêt national, « l'activité est très très calme », indique Bernard Colonel-Bertrand, le directeur du MIN. Certains grossistes travaillent un peu avec les hôpitaux, les Ehpad, quelques cuisines centrales, des petites et grandes surfaces, les marchés et les primeurs, notamment ceux qui commercialisent des fruits et légumes. Mais tous tournent au ralenti, et certains plus du tout, « faute de clients ou d'appro ». C'est le cas d'Agrum'Bio qui fait venir ses fruits de Sicile et de Crête.

Tous cherchent des solutions « pour limiter la casse ». Il y a ceux qui emploient les grands moyens, comme le groupe Canavese (1), qui s'est placé jeudi 2 avril sous la protection du tribunal de commerce de Marseille avec l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Et puis les autres, qui naviguent entre système D et recherche de nouveaux débouchés. Beaucoup recourent aux réseaux, sociaux ou non. Dès l'annonce de la fermeture des restaurants, Provence Dauphiné a vu son activité drastiquement réduite. Le grossiste en fruits et légumes, qui travaille surtout avec les restaurateurs et collectivités, a posté le 16 mars sur sa page Facebook une annonce pour écouler « un stock de pommes de terre pré-découpées et sous-vide (frites, lamelles, cubes...) » à prix cassé « pour éviter tout gâchis ». Depuis, le grossiste a réduit la voilure, adapté ses volumes, ses équipes et ses tournées, l'activité s'étant contractée d'un tiers dans la deuxième quinzaine de mars.

Destockage massif

La logique est assez voisine chez Mangez bio Isère. Après le succès d'une première opération de « destockage massif » le 17 mars, suite à l'annulation d'une grosse centaine de commandes en cours ou en transit (60 000 euros de marchandises), le grossiste explore, à titre exceptionnel, la voie de l'approvisionnement des particuliers via les groupements d'achat. « Nous sommes dans une période particulière : c'est une parenthèse, explique Lydéric Motte, le directeur du grossiste coopératif. Nous avons ouvert notre offre à des groupements d'achat pour des particuliers en capacité de gérer du vrac et de gros conditionnements. Nous ne faisons pas de préparation de commande individuelle. Nous ne pouvons pas nous permettre de créer une activité qui n'aurait plus sa place dans notre organisation à la fin de la période de confinement. »

Chez les grossistes, la position est très claire : pas question de profiter de la crise pour ouvrir les portes aux non-professionnels. Mais face à la baisse d'activité économique depuis le début du confinement, les particuliers sont tout de même les bienvenus... sous réserve qu'ils acceptent certaines règles du jeu, en termes de colisage, de conditionnement et de respect des recommandations sanitaires. Pour éviter le gaspillage alimentaire et permettre le maintien d'un minimum d'activités, les grossistes peuvent en effet demander une dérogation à la préfecture afin d'ouvrir leur magasin à des non-professionnels.

Ouverture aux particuliers

Ce débouché occasionnel ne compensera pas la perte de chiffre d'affaires, mais permettra à certains d'éviter le pire. Mangez Bio Isère a ainsi engrangé une dizaine de commandes via des groupements d'achats, pour un panier moyen de 1 000 euros. « Le problème, c'est la préparation de commande et le côté administratif », tempère Lydéric Motte. Chez Promocash, qui a vu son chiffre d'affaires fondre de « 80 % en un week-end », la clientèle des particuliers apporte une petite bouffée d'oxygène. « Au lieu de perdre 80% de notre chiffre d'affaires, nous n'en perdons plus que 65%, confirme Yannick Perrin, le directeur de Promocash Grenoble. Cela dit, mon objectif n'est pas de faire du bénéfice, c'est de garder 100% de mon personnel, de payer les salaires et les fournisseurs et de jeter le moins possible. »

De son côté, la direction du MIN réfléchit à une solution inspirée de Rungis chez vous, une initiative portée par le marché de gros de la région parisienne. Appuyé sur un site internet qui référence les produits des grossistes de Rungis, le service propose une livraison à domicile aux particuliers pendant toute la durée de la crise sanitaire. « C'est un peu les taxis de la Marne de la guerre contre le coronavirus », explique Stéphane Layani, le président du MIN de Rungis

« Cette idée nous inspire d'autant plus que la Métropole veut assurer l'approvisionnement normal des ressortissants de son territoire », confie Bernard Colonel-Bertrand. Le principe : centraliser les commandes sur un site web, mobiliser les grossistes du MIN et assurer la livraison avec l'appui d'Urby, l'opérateur spécialisé dans la logistique du dernier kilomètre. Les grossistes interrogés se disent partants. « Il n'y a pas de raison qu'on ne s'inscrive pas dans un projet collectif comme celui-là, au contraire », déclare Audrey Modeste, responsable commerciale grand compte de Provence Dauphiné, qui adhère déjà au Pôle agroalimentaire et à la marque IsHere.

Soutien à la production locale

Reste le rôle des grossistes dans le soutien à la production locale iséroise. La plupart affirment jouer le jeu du local. « C'est notre axe de dévelopement : privilégier l'approvisionnement local et optimiser nos appros en local », assure Audrey Modeste. Y compris pour les fraises et les asperges qui pointent le bout de leur nez ? « Ça partira moins, mais ça partira. Que les producteurs nous contactent ! », invite la commerciale de Provence Dauphiné.

Même discours chez Promocash qui, lui aussi, a fait le choix d'adhérer à la marque IsHere. « Aujourd'hui je travaille avec ma plateforme et fais appel à Provence Dauphiné, quand je n'arrive pas à avoir ce que je veux, mais je développe l'appro en local, déclare Yannick Perrin. Je cherche des fournisseurs, surtout en fruits et légumes. S'il y a des producteurs intéressés, qu'ils m'appellent ! J'ai de la place ! » Encore faut-il être capable de conditionner les salades par six et faire des propositions alignées sur ce qui se pratique dans la grande distribution. « Il y a une réalité économique : je ne peux pas acheter une salade à un euro », avertit le grossiste. Qui prévient également qu'il donnera la priorité aux adhérents de la marque IsHere.

Marianne Boilève

(1) Spécialisé dans la distribution de produits frais, le groupe Canavese (150 millions de chiffre d'affaires) emploie 410 salariés, répartis entre une dizaine d'entrepôts et de plateformes relais dans le sud de la France, dont celle de Grenoble. Selon son PDG, la fermeture des écoles, des universités, de la restauration d'entreprise et de la restauration commerciale représente une perte de 55 % de ses débouchés.