Découverte
Lettres d’amour au territoire

Isabelle Doucet
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Depuis 2020, la Fabularium enregistre les histoires de paysage au détour des sentiers.

Lettres d’amour au territoire
Hélène Michèle et son Fabularium, machine à écrire des lettre aux territoires.

Clic, clic, clic. Le son suranné de la machine à écrire émane de cet étrange piano, machine à remonter le temps, à déclarer son amour aux montagnes, aux lacs et aux étoiles.
Depuis juin 2020, le Fabularium s’offre aux promeneurs et les invite à écrire leurs lettres d’amour au territoire.
« Cette machine à voyager sans partir loin », comme la décrit Hélène Michèle, sa créatrice, recueille des mots au grand air, ciselés à l’ombre de son aile. Car le Fabularium ressemble à une carlingue des temps modernes qu’un esprit poétique aurait déposée au détour d’un paysage. 

Analyser la micro aventure

Il fait écho à « la culture du colporteur, qui comme dans les Alpes, transportait la marchandise et les informations d’une vallée à l’autre ».
Hélène Michèle est enseignante-chercheur à Grenoble école de management. Elle a imaginé le Fabularium « pour capter les signaux sensibles des territoires ». Elle qualifie sa démarche d’exploratoire qualitative.
Au travers des déclarations collectées, sur les feuilles blanches en style Times new roman et aux caractères sautillants, la chercheuse fait émerger une nouvelle façon d’aborder, de lire les territoires, jusqu’alors insoupçonnée.
Elle est soutenue dans sa démarche par la Chaire Territoires en transition de Grenoble école de management. L’objectif de ses recherches est d’« analyser comment la micro aventure réenchante un territoire ». 

Territoire sensible

Depuis un an, l’étrange bureau portable a posé ses quatre pieds dans des endroits les plus insolites, « à pied, à vélo, à dos de femme, à condition qu’elle soit vaillante, et même en parapente », témoigne l’universitaire.
De passage sur le plateau des Petites Roches, le Fabularium s’est en effet envolé, enlevé dans les airs par quelques ailes volantes fantasques.
On l’a aussi vu sur les pentes de la Bastille et il sera bientôt dans la vallée de la Roya. « C’est une vallée où il y a une mise en tension très forte, rapporte l’enseignante. C’est un territoire sensible. »
Meurtrie par la tempête Alex en octobre 2020, cette vallée est aussi le théâtre d’un bras de fer entre les militants qui viennent en aide aux migrants et les forces de l’ordre.
Le Fabularium a été invité à intervenir de façon itinérante pour que les habitants de la Roya lui confient leurs mots et leurs souvenirs. Derrière les lettres se dessine une autre façon d’appréhender le territoire dont Hélène Michèle tente de décrypter le code.

Des lettres, un livre

Car c’est un matériau inédit qu’explore Hélène Michèle et qui lui donne une lecture différente,  nouvelle et souvent plus intime que chacun, voyageur de passage ou résidant, a de l'espace qui se déploie à ses pieds .
Elle parle d’anthropomorphisme tant ces lettres « incarnent quelque chose, redonnent de l’importance, du sens » et offrent un nouveau regard alentour.
Ce qu’elles disent, d’autres peuvent s’en emparer pour décliner une autre approche des territoires, comme par exemple les acteurs du tourisme.

Sur le site du Fabularium, on retrouve ces lettres, courtes ou pleines d’emphase, mots simples, abruptes ou déclicats. Leur lecture éclaire sur la façon dont les auteurs vivent leur environnement. Elle seront bientôt rassemblées dans un ouvrage.

Isabelle Doucet

 

Quelques mots d’amour... ou pas

« Tes montagnes m’enivrent, mais ton air m’étouffe. »  Laurence
« Cher crottin ça serait bien que tu ne restes pas à côté de moi. » Nina
« Monsieur le Grand Veymont, madame Belledonne, monsieur Moucherotte, je parcours vos sentiers, je grimpe sur vos cimes j’admire vos couchers de soleil. Je ne nage plus dans vos lacs pour vous préserver, j’apprends le nom de vos plantes. Vous êtes mon terrain de jeu. » Anonyme.
« Payer dans le but de me mettre les pieds dans l'eau n'est pas envisageable », déclare au lac l'étudiante fauchée.
« Un arrêt dans la course folle de l'existence ». Thimothé