EMPLOI
« Sans bras, notre souveraineté alimentaire est menacée »
Alors que la main-d’œuvre fait cruellement défaut mettant en péril la pérennité de certaines filières, le comité d’orientation de la production agricole et des territoires pour l’emploi en Auvergne-Rhône-Alpes a présenté à l’ensemble de ses partenaires un plan de bataille ambitieux.
C’est un éleveur de volailles qui fait appel régulièrement à des salariés pour charger ses poulets, et qui depuis des mois ne trouvent plus assez d’attrapeurs pour remplir la mission, malgré la constitution d’un groupement d’employeurs. Ce sont des arboriculteurs, qui faute de bras suffisants pour cueillir leurs fruits, vont assister, impuissants, au pourrissement d’une partie de leur récolte sur l’arbre. Ce sont des contrats de castration de maïs qui ne pourront pas se concrétiser par manque de jeunes et de moins jeunes pour réaliser ces opérations… C’est un recrutement pour des postes en maraîchage envoyé à deux-mille candidats qui se soldent par seulement trente-quatre candidatures dont seulement sept iront au bout. Nous pourrions noircir des cahiers entiers de ces exemples qui se multiplient aux quatre coins de notre pays, n’épargnant aucun secteur… Le monde agricole assiste à la fuite de ses bras, de ses cerveaux, depuis quelques années déjà. La crise de la Covid semble avoir amplifié le phénomène qu’ont tenté de décrypter les acteurs du secteur réunis depuis 2019 autour du comité d’orientation de la production agricole et des territoires pour l’emploi en Auvergne-Rhône-Alpes. Cette structure qui s’appuie sur une représentation paritaire entre employeurs et salariés (Commission paritaire régionale de l’emploi - CPRE) et associe la Région, l’État, la direction régionale de l’emploi, la Draaf à travers le service formation et développement, s’est depuis un an mis en ordre de marche pour construire un projet clair et efficace pour stopper l’hémorragie (voir par ailleurs).
Gagner en lisibilité
« Jusqu’à présent, il ne se faisait pas rien autour de l’emploi en agriculture. Mais force est de constater que, malgré la multiplicité des dispositifs, le résultat est très décevant », résume Pascal Servier, éleveur laitier dans le Puy-de-Dôme et représentant des employeurs au sein de la CPRE. Cette dispersion a motivé l’écriture d’un projet collectif autour de l’emploi et de la formation. « Nous avons besoin de gagner en efficience afin d’offrir plus de lisibilité aux employeurs, au public cible et aux partenaires », explique Didier Moguelet, président du syndicat CFTC agriculture de la région et nouvellement élu à la tête de la CPRE. Et il y a urgence à actionner des leviers efficaces en jouant groupé, sous peine d’hypothéquer la souveraineté alimentaire de notre pays, rappelle Léa Lauzier, jeune agricultrice installée dans la Drôme où elle produit des plantes aromatiques et médicinales, présidente de Terres d’Aura, organisme de formation. « Il faut à la fois agir sur l’installation et sur le salariat en offrant des perspectives aux jeunes, qu’ils puissent s’insérer dans leur territoire, bénéficier d’écoles, de services publics, de logement… et d’un univers socioculturel à leur portée géographiquement. » La question de la pénibilité de certains travaux et de la rémunération est aussi à prendre en compte, selon elle, au même titre d’ailleurs que l’image que véhicule l’agriculture.
Communiquer positivement
« L’idéalisation du métier se heurte souvent à la réalité. Mais ce qui reste le plus dommageable c’est la vision catastrophique portée régulièrement par le monde agricole. Ses plaintes récurrentes ne sont pas de nature à susciter les vocations. Sachons dire qu’il y a matière à s’épanouir au sein de l’agriculture, même s’il existe des difficultés. Quel métier n’en a pas ! » suggère Christine Besnard Collin, ex-salariée agricole, membre du collège salarié au sein de la CPRE. Mais encore une fois, tout est question d’équilibre… Consciente que c’est grâce à des chemins multiples et des publics variés que l’emploi agricole retrouvera ses lettres de noblesse, Émilie Faucher, salariée du service de remplacement du Puy-de-Dôme, estime qu’il est une valeur essentielle sur laquelle on ne communique pas suffisamment : l’accueil. « Sur toutes les fermes où j’interviens, la journée démarre par un café, un échange bref, certes, mais la somme de ces petites attentions nous fait nous sentir un peu comme un membre de la famille ». La jeune femme passionnée par le travail auprès des animaux, sait aussi que grâce à son intervention, elle va offrir un peu de répit à des exploitants qui en ont souvent bien besoin. Henri Jouve, président de la MSA Ardèche-Drôme-Loire confirme que ces moments de respiration sont de plus en plus demandés par les chefs d’exploitation, mais que faute de main-d’œuvre, ils ne peuvent pas toujours être assouvis. « On a même du mal à remplacer tous les congés maternité et paternité », témoigne l’élu qui s’inquiète aussi des dégâts psychologiques que peut avoir sur les exploitants la non-récolte de leur production. « Cela contribue aussi au mal-être, c’est certain ». Et du côté de la formation, n’y aurait-il pas des cartes à jouer chez les employeurs, par une sensibilisation accrue à la gestion des ressources humaines, pan assez délaissé jusqu’à présent dans le parcours scolaire classique.