Recensement général agricole
Une ferme Isère en mutation

Isabelle Doucet
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La ferme Isère parvient à enrayer son hémorragie au prix d’une restructuration de ses exploitations. Le secteur reste en tension.

Une ferme Isère en mutation

En 10 ans, l’Isère a perdu près de 1 500 exploitations agricoles pour atteindre le nombre de 4 830 en 2020. « C’est le plus faible niveau [de baisse] depuis 50 ans, analyse Sean Healy, responsable du service statistique de la Draaf. On observe surtout un infléchissement important par rapport aux deux dernières années. »
Peu à peu, l’hémorragie semble s’enrayer. L’Isère reste le troisième département de la région en nombre d’exploitations, soit 10 % de la ferme régionale. Pour mémoire, il y avait 22 615 exploitations en Isère en 1970.
C’est ce que rappellent les derniers résultats du recensement général agricole parus en début d’année. Ils donnent, tous les 10 ans et dans tous les pays d’Europe, une photographie d’ensemble de l’activité agricole des territoires.
Tous les résultats sont à retrouver sur le site d'Agreste, la statistique du ministère de l'Agriculture.

En Isère, si le nombre d’exploitations a baissé, en revanche leur surface moyenne a évolué (+2,7 % en 10 ans) au rythme des « restructurations, reprises de terres et regroupements », indique le statisticien. La SAU moyenne était de 13 ha en 1970 pour bondir à 50 ha en 2020. « L’écart se creuse avec la région dont la moyenne est à 59 ha », observe Sean Healy. Le département compte de nombreuses petites structures.
Intervenant dans le cadre de la session de la chambre d’agriculture, Xavier Céréza, le directeur de la DDT de l’Isère, précise que l’élevage extensif d’Auvergne tire la surface des exploitations régionales vers le haut et que l’Isère compte « des cultures pérennes à forte valeur ajoutée à l’hectare », comme la nuciculture ou l’arboriculture.

L’élevage en chute

Les données macroéconomiques font aussi apparaître un glissement de l’exploitation individuelle (71 % en 2020 contre 85 % en 2010) vers le collectif.
Les Gaec représentent désormais 9 % des fermes et les EARL, 11 %. Le reste étant sous autres statuts. Si les micro-exploitations restent le modèle dominant (1 960 contre presque 3 000 en 2010), elles n’occupent que 10 % de la SAU totale et leur poids économique est très faible.
C’est sur le volet des spécialisations que les choses ont beaucoup bougé. « Les exploitations à spécialisation végétale ont baissé (-8 %), mais moins que la moyenne régionale, analyse Sean Healy. La baisse très importante intervient dans le nombre des exploitations animales (-35 %) et en polyculture-élevage (-36 %). »
Ovins, caprins, bovins lait, bovins viande, porcins, volaille : la diminution concerne tous les élevages. En revanche, l’horticulture et le maraîchage connaissent une belle envolée (+24 % en nombre d’exploitations), de même que la viticulture qui sort de la confidentialité (+2 %, soit 60 exploitations spécialisées).



En proportion, les exploitations végétales dominent (52 %), au détriment des exploitations animales (31 %) et mixtes (17 %).
Les grandes cultures pèsent pour 33 % des exploitations (leur nombre est en retrait de 10 %). Elles sont suivies par les fermes en polyculture-élevage (18 %) et la production fruitière (13 %).
Le poids économique exprime cependant un paysage différent, où la polyculture élevage présente la plus forte Production brute standard (PBS). En convertissant les hectares et les têtes de bétail en euros, la PBS permet de donner une valeur comparative entre exploitations agricoles.
Sean Healy, indique que la taille des exploitations a un effet multiplicateur sur le PBS – une sorte de bonus aux hectares et aux têtes de bétail - mais qu’il existe des petites structures très performantes.

Professionnalisation du statut

Un volet important du recensement agricole porte sur la main-d’œuvre.
Les fermes du département emploient 13 700 personnes soit 6 800 équivalents temps plein. Parmi ces actifs, 5 900 sont chefs d’exploitations Leur nombre ne cesse d’augmenter pour représenter 65 % de la profession aujourd’hui.
Les autres travailleurs sont des salariés permanents (14 %), et des saisonniers (13 %). « La main-d’œuvre sans statut est passée de plus de 40 % à 8 % en 50 ans, ce qui montre une professionnalisation et un statut de l’agriculteur », commente Xavier Céréza.
L’âge des chefs d’exploitations reste un sujet préoccupant. La part des plus de 60 ans est passée de 23 à 25 %.
Petite satisfaction en revanche avec les moins de 40 ans qui grimpent de 19 à 22 %, sans doute le résultat du travail engagé sur l’installation par la Chambre d’agriculture de l’Isère.
Mais la part des 40 à 49 ans chute fortement de 27 à 22 % en dix ans, signe qu’il y aura encore besoin de jeunes pour reprendre des exploitations.
Quant à la part des femmes, elle reste timide, à 23,8 % et légèrement inférieure à la moyenne régionale.


En dix ans, le niveau de formation des exploitants s’est largement accru. Ils ne sont plus que 49 % à avoir un niveau inférieur au bac (contre 67 % en 2010), 25 % ont le bac et 26 % ont suivi un cursus supérieur. Ce dernier chiffre grimpe à 41 % chez les moins de 40 ans.

La bio et les circuits courts

Le recensement s’est penché sur l’évolution des surfaces agricoles, passant de 295 000 ha en 1970 à 240 000 aujourd’hui. La baisse est relativement faible depuis 2010.
Pour autant, la Chambre d’agriculture de l’Isère rappelle que la consommation foncière de 800 hectares par an n’apparaît pas dans le RGA car il y a eu de la réserve agricole remobilisée. Le département reste donc fortement sous pression.
50 % de la SAU iséroise est composée de prairies, 30 % de céréales, 7 % d’oléagineux, le reste étant des fruits, des fourrages et autres.
11 % des surfaces sont irriguées, soit 10 000 ha de maïs grain et semences et près de 6 000 ha de fruits et vigne, soit la plus forte croissance en 10 ans (+28 %), notamment dans les vergers de noyers.
Enfin, le cheptel se contracte significativement, excepté en bovins allaitants et en volailles. Avec 52 900 têtes, les bovins (27 500 allaitantes et 25 400 laitières) restent l’élevage dominant. Le département a perdu plus de 6 000 laitières en 10 ans.


Un dernier volet du recensement porte sur les signes officiels de qualité (SIQO) : agriculture biologique, AOP, IGP, Label rouge et STG (spécialité traditionnelle garantie).
La part des exploitations en agriculture biologique a fortement augmenté, passant de 4,5 % en 2010 à 14 % aujourd’hui, soit 676 exploitations, ce qui place l’Isère au 4e rang régional.
En revanche, le département n’est que 10e concernant les autres signes de qualité car « les productions départementales ne se prêtent pas aussi bien aux AOP et IGP que celles des autres départements », explique Sean Healy.
Enfin, le nombre d’exploitations en circuit court est passé de 26 % à 33 % en dix ans, « un niveau supérieur à la moyenne régionale », observe le statisticien. Plus question de parler de marché de niche.

Isabelle Doucet

A la hausse / « Les première années sont critiques »
Les Jardins du Fontanil accueillent régulièrement de futurs installés.

A la hausse / « Les première années sont critiques »

Maraîchage, viticulture : ces productions attirent, mais la viabilité des installations se heurte parfois au principe de réalité.

Avec 236 exploitations en 2020, le maraîchage et l’horticulture sont les productions qui ont connu le plus fort essor depuis 10 ans. Seule la viticulture progresse aussi en Isère en nombre d’exploitations (60 domaines).
« Il y a beaucoup de porteurs de projets en maraîchage et nombre d’entre eux sont en reconversion professionnelle, s’installent hors cadre familial, sur de petites surfaces, inférieures à un hectare », confirme Christel Robert, conseillère maraîchage à la Chambre d’agriculture de la Drôme et de l’Isère qui observe cette tendance depuis 10 ans.
Ce type d’installation requiert peu d’investissement et peut répondre à une recherche de sens quant à sa vie professionnelle.
« Il faut voir à trois à cinq ans quelle est la viabilité de ces systèmes diversifiés et en vente directe. Les premières années sont critiques car les nouveaux installés ont tendance à sous-estimer la complexité du métier, le temps de travail, notamment celui dédié à la vente », analyse encore la conseillère.
Car les 50 à 70 heures de travail par semaine sont plutôt la norme et les revenus difficiles à engranger. Certains parviennent à se dégager un Smic au bout de 5 ans…
La conseillère insiste sur le fait qu’une telle installation relève du projet professionnel et non pas du potager, qu’il convient d’acquérir une expérience, de s’essayer physiquement et surtout de trouver un foncier qui permette à l’exploitation d’être viable.

De la productivité

« J’accueille beaucoup de gens en reconversion professionnelle, témoigne Laurent Naselli, maraîcher sur 7 ha en agriculture biologique au Fontanil et associé des magasins de producteurs La Caserne de Bonne et Comboire. Sur cinq personnes chaque année, il y a une à deux installations. »
Ces porteurs de projets s’orientent tous vers l’AB, des petites surfaces et la vente directe… avec plus ou moins de succès.
Les Jardins du Fontanil sont gérés par deux associés et emploient cinq salariés. « C’est un métier superbe, assure Laurent Naselli, stimulant, diversifié, qui varie tout au long de l’année. Mais c’est loin d’être facile et tout le monde ne peut pas s’adapter. Il faut être clair sur cela. »
Car parfois, « la différence est trop grande entre les attentes et la réalité. C’est un métier de production, il faut de la productivité et se tirer un salaire horaire », rappelle le maraîcher.
La taille d’une exploitation maraîchère permet de faire des économies d’échelle, le choix de ses marchés aussi. Et les investissements sont payés en retour. « On ne peut pas vivre sur 3 à 6 000 m , ou alors, il faut être très bon ! »
Par ailleurs, la Chambre d’agriculture de l’Isère a conduit un diagnostic de la filière légume qui fait apparaître des besoins significatifs en GMS et RHD. Mais la filière semi-longue et les légumes plein champ intéressent peu et requièrent quelques investissements en matériel et stockage.
Ils sont pourtant un vrai moyen de diversification et de rotation. Salades, pommes de terre, fraises : les débouchés existent.

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