INTERVIEW
« Il ne faut pas surinterpréter les pouvoirs d'Egalim 2 »
Pour la première fois depuis huit ans, les négociations commerciales se sont conclues, début mars, sur une hausse des prix alimentaires. Les agriculteurs en ont-ils bénéficié ? Décryptage avec le médiateur des relations commerciales agricoles, Thierry Dahan.
La loi Egalim 2, visant à protéger le revenu des agriculteurs, explique-t-elle, à elle seule, la sortie de la logique déflationniste ?
Thierry Dahan « La loi Egalim 2 n'est pas la cause de l'inflation, il se trouve simplement qu'elle commence à s'appliquer en période d'inflation. Il y a eu de fortes tensions sur le blé dur en 2021 et le prix des pâtes a augmenté alors qu'Egalim 2 n'était pas encore votée. La loi prévoit simplement qu'on puisse répercuter les hausses des matières premières agricoles jusqu'au commerçant de détail qui, in fine, peut les répercuter sur les consommateurs. Dans d'autres pays d'Europe, l'inflation est encore plus importante qu'en France sans loi Egalim. »
Dans un contexte d'inflation généralisée des charges des producteurs et des industriels, la loi Egalim 2 a-t-elle permis de préserver la prise en compte du coût de la matière première agricole ?
T.D : « De ce point de vue, la négociation ne s'est pas trop mal déroulée. Les industriels ont demandé une hausse d'un peu plus de 7 % en moyenne, dont au moins la moitié concernait la matière première agricole (MPA), et le point d'atterrissage est à 3,5 %. Globalement, les acteurs sont satisfaits que les hausses de MPA soient passées. Cela a permis de consolider les filières qui ont des indicateurs à l'amont, même s'il y a des disparités. C'est plus difficile quand il y a un déficit d'indicateurs consensuels pour évaluer les hausses. Il ne faut pas surinterpréter les pouvoirs et les effets de la loi Egalim 2 : elle n'a pas pour objet de s'assurer que les prix couvrent les coûts de production de tous les agriculteurs, car ces derniers sont variables suivant les producteurs. L'effet principal d'Egalim 2 est d'amorcer un changement culturel et empêcher qu'on se serve des exploitations agricoles comme d'une variable d'ajustement. »
La loi est-elle bien respectée dans tous ses aspects ?
T.D : « Pour pouvoir vérifier que la hausse sur les MPA est bien passée, il faudrait avoir le détail des tarifs. Or, l'immense majorité des industriels a choisi l'une des trois options offertes par Egalim 2, de ne pas indiquer le détail des MPA dans les tarifs, mais de faire certifier leur hausse par un tiers de confiance. Il faudrait effectuer ce travail de certification beaucoup plus tôt l'année prochaine. La façon d'appliquer cette option sera à revoir pour 2023. En outre, la loi n'a pas été correctement respectée pour les clauses de révision automatique obligatoires. L'esprit d'Egalim 2 est de pouvoir réajuster automatiquement les prix à partir d'indicateurs partagés si d'éventuelles hausses adviennent après mars. La révision automatique n'a pas fonctionné pour la grande majorité des entreprises, c'est pour ça que les pouvoirs publics ont demandé de rouvrir des négociations après la date habituelle de clôture. »
Vous l'avez évoqué, le gouvernement a incité les distributeurs et les industriels à rouvrir la négociation de leurs contrats pour répercuter la forte inflation, liée notamment à la guerre en Ukraine. Dans quelle mesure les entreprises se sont-elles saisies de cette possibilité ?
T.D : « La demande est générale mais il est difficile de faire un bilan quantitatif précis car les choses changent tous les jours. Certaines demandes sont arrivées dès le mois d'avril, juste après la publication de la charte. Pour d'autres ça a pris plus de temps. Des tarifs étaient prêts à être appliqués au 1er juin. Beaucoup ne seront prêts que pour le 1er juillet. »
Vous avez réalisé un nombre élevé de médiations cette année. Comment ont-elles abouti ?
T.D : « Le médiateur fait en moyenne cinquante négociations par an. On en est déjà à cent vingt au 1er juin, avec une soixantaine de médiations sur le seul mois de février. Il y a eu quelques échecs. Dans ces situations de rupture (de la relation commerciale, ndlr), la jurisprudence demande qu'il n'y ait pas d'arrêt brutal des livraisons. Elles se poursuivent pendant huit à douze mois sans contrat et les entreprises ont rencontré des difficultés pour déterminer les prix à appliquer pendant cette période de préavis. J'ai formulé une proposition pour que cette question soit traitée en amont pour prendre en compte la hausse de la matière première agricole, conformément à la loi. »
Vous recommandez également d'exclure les PME et ETI du périmètre des négociations menées par les groupements d'achat. Pourquoi ?
Les négociations sont plus laborieuses avec les grandes centrales que sont Envergure (Carrefour/Système U, Provera) et Auxo (Casino/Intermarché), qu'avec les enseignes qui opèrent seules. Ce système est déséquilibré par rapport aux PME et manque de réactivité pour s'adapter aux demandes variées des fournisseurs. Les pratiques des super-centrales devraient redevenir un point d'attention pour les pouvoirs publics car la sélection des entreprises est devenue moins rigoureuse par rapport aux objectifs initiaux.
Propos recueillis par Juliette Guérit