Impact Covid 19
Le monde agricole isérois mobilisé face à une pénurie de saisonniers

Dans les exploitations agricoles, l'activité tourne à plein régime, mais les agriculteurs se heurtent à des difficultés techniques et à une pénurie de main-d'œuvre. Des solutions se mettent progressivement en place.
Le monde agricole isérois mobilisé face à une pénurie de saisonniers

« Depuis lundi, c'est l'enfer ! » Le téléphone de Martine Perrin n'arrête pas de sonner depuis l'annonce du confinement, le 16 mars au soir. Les adhérents appellent pour savoir ce qu'ils doivent faire avec leurs salariés, leur banque, la maintenance, les contrats. La présidente de la Fédération des Entrepreneurs du territoire (EDT) de l'Isère n'a qu'une réponse : il faut continuer l'activité, l'agriculture est prioritaire, mais il faut impérativement respecter les consignes de sécurité. A commencer par le bannissement des contacts physiques. « C'est difficile dans un monde où on a du mal à ne pas se serrer la main », sourit Martine Perrin.

Attestation de déplacement

Un peu partout, c'est le même discours. Tout va bien pour l'instant, sauf dans certaines filières qui sont totalement à l'arrêt, comme les horticulteurs ou les centres équestres. Ailleurs, on fait face et on s'organise. « Ça fait juste un peu bizarre de ne plus parler aux gens », lâche un éleveur laitier dans le Trièves.

Dans les exploitations, les salariés en poste, conscients de leurs responsabilités, jouent le jeu sans problème, bien que certains, au volant d'un véhicule ou d'un tracteur, se soient fait arrêter sur les routes par les gendarmes. Petit rappel : même à bord d'un tracteur ou d'une machine agricole, chacun doit être muni d'une attestation de déplacement professionnel.

Continuité de l'activité agricole

La DDT rappelle que « les déplacements professionnels des agriculteurs et salariés agricoles sont autorisés quand ils ne sont pas télé-travaillables et strictement nécessaires à la continuité de l'activité agricole (approvisionnements en intrant qui ne peuvent être différés, soins aux cultures et animaux, préparation et semis, vente de produits périssables, ...)». Pour justifier de ces déplacements, il faut une attestation dérogatoire de déplacement datée et signée et l'accompagner d'« une attestation d'exploitation (K-bis ou attestation MSA) pour les chefs d'exploitation, aides familiale ou salariés ». La DDT ajoute qu'« une pièce d'identité peut permettre aux forces de l'ordre une meilleure vérification ».

Problèmes d'approvisionnement

L'inquiétude des agriculteurs porte également sur l'activité des semaines à venir, notamment sur la possibilité d'écouler certaines productions ou de s'approvisionner (plants, graines, alimentation animale, matériel, pièces détachées...).  « Pour l'instant, il n'y a rien de dramatique, mais nous allons rapidement être en tension, parce que nous ne savons pas jusque quand tout cela va durer », confie Martine Perrin.

Manque de saisonniers

Autre souci majeur : la main-d'œuvre. « Les chantiers vont bientôt commencer, mais personne n'ose embaucher, constate Martine Perrin. Les saisonniers ont peur : ils s'inquiètent de ne pouvoir prendre des jours alors qu'ils ont des enfants à garder. » Chez les maraîchers et les arboriculteurs, la question est déjà très sensible. Les permanents sont mobilisés, mais ils ne pourront pas absorber toute la charge de travail à venir. « J'ai quatre permanents qui jouent le jeu, mais on va bientôt manquer de main-d'œuvre pour récolter, explique Denis Chardon, des Jardins de Corneyzin, à Saint-Prim. J'avais prévu d'embaucher quatre saisonniers, mais ils ne viendront pas. On cherche, mais on ne sait pas comment faire. »

En maraichage comme en arboriculture, la période est critique pour les exploitants isérois.

Seuil critique

Situation identique chez Jérôme Jury, des Fruits du Val qui rit. Comme partout, les fraises et les asperges sont à récolter bientôt, mais par qui ? « D'habitude, j'embauche une vingtaine d'étrangers depuis quatre ou cinq ans, mais ils ne viendront pas cette année, raconte l'arboriculteur. Nous allons passer des annonces. Pas sûr que ça marche. C'est d'autant plus problématique que nous sommes déjà à un seuil critique. Comment ramasser les fraises qui arrivent ? Pour les abricots, si on a un coup de gel, qui va allumer les bougies anti-gel ? Nous ne sommes pas assez nombreux. Ça risque de mettre en péril la production de l'année. Je ne sais pas par quel bout prendre le problème. Le ministre nous dit d'embaucher des Français, mais il faut les trouver ! »

Solutions solidaires

Le groupement d'employeurs Agri-Emploi 38 et la plateforme desbraspourtonassiette sont mobilisés pour mettre en relation les exploitants et les candidats disponibles, quel que soit leur profil. La FDSEA de l'Isère invite également les exploitants qui ont des salariés partiellement disponibles, des saisonniers dont l'arrivée est prévue dans quelques jours ou semaines à leur proposer d'« accomplir un acte solidaire en leur suggérant d'aller prêter leurs bras dans des exploitations qui en ont actuellement besoin : récolte de fraises, d'asperges, plantation de melon, etc ».

Mise en place des produtions

L'incertitude concerne également la mise en place des productions pour les mois à venir. « On allait replanter plus de courgettes, mais avec l'arrêt de la restauration collective, mon plus gros client, j'ai réduit la voilure : moins 30% pour les premières, témoigne Denis Chardon. Pour le reste, on verra. Il ne faut pas arrêter complètement non plus. Pour l'instant, je ramasse tout ce que je peux et je stocke dans les frigos. »

Difficulté de commercialisation

Pour ce qui est de la commercialisation, plusieurs cas de figure. Dans la grande distribution par exemple, on redoute les problèmes à terme sur la continuité de la chaîne logistique, à commencer pour les produits alimentaires périssables (véhicule de transport, groupe froid, palettes, emballages...). En revanche, depuis quelques jours, les points de vente collectifs tournent à plein régime, la consommation hors domicile s'étant reportée sur les magasins de proximité, confinement oblige. « Nous avons encore plus de boulot que d'habitude, car il faut fournir les volumes », indique Sandrine Giloz, de la Bergerie des Templiers, à Saint-Siméon-de-Bressieux. Encore faut-il mettre en place les mesures de précautions pour l'accueil du public.

Asperges et fraises

Certaines productions posent toutefois problème, notamment pour les asperges ou les pommes de terre nouvelles. « L'asperge est un produit festif, cher, qui n'est pas considéré comme étant de première nécessité, explique Jérôme Jury. Au niveau de la filière, comme pour les fraises, nous constatons déjà un début d'engorgement : les distributeurs sont frileux. Ils n'en référencent pas ou en commandent un minimum. »

Pour la récolte des fraises comme pour les autres productions, la question de la main-d'œuvre préoccupe tous les exploitants.

Agneau de Pâques

Même constat pour des productions animales saisonnières comme l'agneau ou le chevreau de Pâques. « En vente directe, les agneaux ne sont pas perdus, mais c'est plus compliqué pour les coopératives », confirme Jean-François Gourdain, le président du syndicat ovin de l'Isère. Pour la seule coopérative Agneau Soleil, qui a collecté l'an dernier 12 000 agneaux dans les fermes en prévision de Pâques, « il y a un gros souci, atteste Eric Greffe-Fonteymond, éleveur à Tullins et admnistrateur à la coopérative. Nous avons les volumes, mais plus de commande. »

Marianne Boilève