ENTRETIEN
Aléas climatiques : « Le cap est fixé, il nous importe d’aller très vite »

Membre du bureau de la FNSEA en charge du dossier « Gestion des risques », Joël Limouzin revient sur l’annonce du président Macron de réformer le système de l’assurance récolte.

Aléas climatiques : « Le cap est fixé, il nous importe d’aller très vite »
Joël Limouzin, en charge du dossier « Gestion des risques » à la FNSEA. ©Actuagri

Quelle est votre réaction après l’annonce du chef de l’État le 10 septembre dernier à Terres de Jim ?

Joël Limouzin : « Cette réforme vient à point nommé à l’heure même où les aléas climatiques se multiplient et qu’ils deviennent plus intenses et plus extrêmes comme nous l’avons constaté depuis le début de l’année : un hiver doux en février, des gelées tardives en avril et des pluies diluviennes en été. La réforme conduite par le gouvernement s’appuie en grande partie sur les conclusions du groupe de travail du Varenne de l’eau et du changement climatique présidé par le député Frédéric Descrozaille. Elles-mêmes s’inspirent très fortement des travaux que les responsables de la FNSEA ont pu mener depuis plusieurs mois, à partir des expériences terrain. L’idée de combiner système assurantiel et solidarité nationale est un mécanisme que nous défendons depuis des années. Adossée à un système de réassurance, sous contrôle de l’État, avec un cahier des charges bien défini, cette réforme va permettre aux agriculteurs de mieux appréhender l’avenir. Enfin, le fait que l’assureur devienne un guichet unique permettra d’accélérer les processus d’indemnisation. Le fonds de calamités co-construit entre les professionnels agricoles et l’État a soixante ans. Il a très bien rempli son office et correspondait à une époque et une forme d’agriculture. Depuis quelques années, il est devenu ingérable. »

Comment cette réforme va-t-elle concrètement fonctionner ?

J.L. : « Le principe de base reposera sur un régime universel d’indemnisation. Comme l’a indiqué le chef de l’État, tous les agriculteurs, quel que soit le type de culture, qu’ils soient ou non assurés, bénéficieront de l’intervention de l’État en cas d’aléas exceptionnels. Ce système fonctionnera sur trois niveaux. Premier niveau : les pertes minimes. On estime que l’agriculteur est à même de supporter financièrement des pertes de récoltes comprises entre 0,1 % et 20 %. Elles font partie des risques du métier et peuvent être couvertes par des mécanismes simples tels que l’épargne de précaution, des outils fiscaux (dégrèvements), le stockage etc. Le deuxième niveau concerne la prise en charge par le système assurantiel privé qui assurerait des pertes à partir de 20 %. Dans ce système, tout agriculteur doit pouvoir bénéficier d’une offre assurantielle abordable qui couvrira ses potentiels sinistres. Enfin, troisième et dernier niveau : l’intervention de l’État. Au-delà d’un seuil de pertes de récoltes et parce que les épisodes météorologiques incriminés sont susceptibles de mettre en péril la poursuite de l’activité agricole et la survie des exploitations, l’État interviendra au nom de la solidarité nationale. Ce seuil d’intervention du fonds public sera adapté en fonction des filières et devra reposer sur un principe d’équité ; nous y serons particulièrement vigilants. »

Le système prévoit-il un seuil de franchise ?

J.L. : « Oui et c’est ici que notre point de vue diverge avec les conclusions du groupe de travail. Le député recommande que le système de production « prairies » ait une franchise subventionnée de 20 % et que les grandes cultures, la viticulture et l’arboriculture, voient l’assurance subventionnée à hauteur de 70 % se déclencher à partir de 25 % de pertes. À la FNSEA, nous nous sommes opposés à cette distinction totalement injustifiée. Nous estimons qu’il serait plus cohérent, notamment en lien avec le règlement européen « Omnibus », que ce seuil soit de 20 % pour tous les secteurs. Il en va de même pour le seuil de déclenchement du fonds de solidarité nationale. Le rapport remis au ministre de l’Agriculture préconise 50 % pour les grandes cultures, 60 % pour la viticulture et 30 % pour les prairies et l’arboriculture. Si le seuil de 30 % peut se justifier dans l’immédiat pour des filières qui bénéficient encore des calamités agricoles avec une couverture assurantielle extrêmement faible, il est inconcevable de fixer le seuil de déclenchement du fonds de solidarité nationale à 60 % pour la viticulture. L’équité impose de ramener ce taux à 50 %, au même niveau que les grandes cultures. »

600 millions d’euros, est-ce assez ?

J.L. : « C’est une somme minimum qui constitue une bonne amorce et qui donne de la crédibilité pour le lancement d’un nouveau système. Le principe est que l’État puisse abonder chaque année sur cette base et que les crédits non consommés puissent être reportés pour anticiper d’éventuels coups durs. Maintenant que le cap est fixé, il nous importe d’aller très vite. Nous attendons désormais un projet de loi qui sera présenté en Conseil des ministres avant la fin de l’année 2021. Il devrait être débattu au Parlement en janvier 2022 et nous veillerons, à la FNSEA, à ce que ce dossier transcende les clivages politiques, surtout à l’approche d’importantes échéances électorales. N’oublions pas qu’il en va de la souveraineté alimentaire et agricole de notre pays. »

Propos recueillis par Christophe Soulard