Communication positive
Agriculteurs et citoyens invités au dialogue de plein champ

A Villefontaine (30 janvier) et Saint-Just-de-Claix (2 février), paysans, élus et réseaux associatifs ont décidé de contrer l'agribashing ambiant en organisant des débats sur l'articulation entre attentes sociétales et pratiques agricoles locales. A suivre sans modération.
Agriculteurs et citoyens invités au dialogue de plein champ

C'est dans l'air du temps. Lassés des attaques et des gestes déplacés dont ils sont la cible dès qu'ils sortent leurs tracteurs, les agriculteurs passent à la communication positive. Portes ouvertes à la ferme, apéros conviviaux, pique-niques géants, débats, réunions publiques, formations, tout est bon pour contrer les a priori et les idées toutes faites de leurs voisins de parcelle. En ce début d'année, deux initiatives ouvrent le bal des bonnes idées : une projection-débat le 30 janvier à Villefontaine et un débat citoyen le 2 février à Saint-Just-de-Claix.

Vivent les vers de terre

Jeudi 30 janvier, plusieurs agriculteurs du groupe Isère sols vivants participent à une projection-débat au cinéma Le Fellini, avec le soutien de la chambre d'agriculture, du comité de territoire Paturin et de la Capi. Leur arme de persuasion massive s'appelle « Bienvenue les vers de terre », un documentaire qui a reçu le Prix du meilleur film au festival des Possibles en 2019.

Opération slip

Objectif de la soirée : expliquer ce qu'est l'agriculture de conservation et comment les paysans qui la pratiquent travaillent à régénérer leurs terres pour obtenir un sol vivant, riche de « millions d’animaux et de champignons souvent invisibles ». Pour les membres du groupe Isère sols vivants, l'enjeu est taille. La plupart d'entre eux vendant leurs productions en direct, les paysans cherchent à communiquer sur leurs pratiques, mais pas n'importe comment. « L'an dernier, nous avons fait un joli coup avec l'histoire du slip (1), explique Roland Badin, membre du groupe et agriculteur à Maubec. Là, comme nous avons entendu parler du film "Bienvenue les vers de terre", nous avons proposé d'organiser une projection suivie d'un débat avec le grand public. Nous ne sommes pas formés pour et nous allons sûrement devoir improviser. C'est tout-à-fait nouveau pour nous. »

Le deuil de la charrue

Ils ne seront pas seuls dans l'arène. François Stuck, le réalisateur du film, viendra les épauler pour modérer les débats que les agriculteurs espèrent « constructifs ». Pas facile, surtout quand il faut expliquer qu'on utilise à dessein de faibles doses de phyto pour limiter le travail du sol, et donc favoriser le développement des micro-organismes qui font toute sa richesse. « Ça nous pose pas mal de questions, reconnaît Roland Badin. Personnellement, j'ai pensé passer en bio, mais il faudrait remettre beaucoup de travail du sol. Ça risque de mettre en danger son activité microbiologique. Et puis reprendre la charrue alors qu'on en avait fait le deuil, ça me dérange. »

En expliquant leur manière de travailler à leurs voisins, les agriculteurs espèrent retisser un lien distendu, voire susciter de l'adhésion.

Comme ces collègues, Roland Badin souhaite parvenir « à faire passer le message » à ses concitoyens, souvent nouveaux venus dans un monde rural devenu, au fil des années, péri-urbain. « Je voudrais qu'ils retrouvent une vraie confiance en notre agriculture, confie-t-il. Le problème aujourd'hui, c'est qu'ils n'ont plus de lien avec le monde agricole et ne comprennent pas comment nous travaillons. Alors qu'autrefois, tout le monde avait un parent paysan. » Sans nostalgie aucune pour « l'autrefois », le paysan de Maubec et ses collègues espèrent, à travers de telles actions, retisser un lien distendu, voire susciter de l'adhésion.

Réflexion sur l'agribashing

Bien qu'émanant d'un élu, la démarche est assez voisine avec le débat du 2 février à Saint-Just-de-Claix. Profitant de la tenue du « premier marché de producteurs et d'artisans » organisé dans le cadre des Bavardises de Carabosse, Sylvain Lambert, adjoint à la culture et à la cantine, programme un débat sur « la place du bio dans le paysage isérois », avec la participation d'agriculteurs, et notamment celle de Franck Rousset, éleveur laitier et président de Mangez Bio Isère. Mais l'élu entend bien lui greffer une « réflexion sur l'agribashing », de façon à « faire la part des choses entre un système agricole qui est critiqué au regard d'une envie réelle, sociétale, de produire mieux, de façon raisonnée et en adéquation avec les saisons, et le sentiment que les agriculteurs sont la cible d'une ire irrationnelle, alors qu'ils sont le ciment de la cohésion de notre territoire ».

Produits locaux, bio et de saison sont régulièrement affichés au menu de la cantine de Saint-Just-de-Claix.Grâce à sa politique en matière de restauration collective, Saint-Just-de-Claix s'est vu décerner un prix des cantines rebelles l'an dernier.

Dans la commune, le propos devrait avoir d'autant plus d'écho que la municipalité travaille depuis plus de vingt ans à ancrer son service de restauration collective dans le territoire. Produits locaux, bio et de saison sont régulièrement affichés au menu de la cantine, ce qui lui a valu de décrocher un prix des Cantines rebelles l'an dernier. Le paradoxe, c'est que si les parents se disent satisfaits, ils n'hésitent pas à dénigrer l'agriculture. « A Saint-Just, nous avons plein de nouveaux administrés, néo-ruraux, partisans du bio et convaincus que les agriculteurs sont des pollueurs, destructeurs des sols et tueurs d'abeille, constate Sylvain Lambert. Pour moi, ce débat est l'occasion de faire comprendre aux habitants que ce qu'ils entendent dans les médias ne correspond pas forcément à ce qui se passe autour de chez eux. » Et de prendre pour exemples le développement du maraîchage et la relance de la culture de la lentille, qui avait disparu du territoire depuis des décennies, et que les enfants de Saint-Just-de-Claix découvrent désormais dans leurs assiettes.

Marianne Boilève

(1) En mars 2019, les agriculteurs du groupe Isère sols vivants ont enterré chacun un slip blanc en coton bio dans une parcelle de blé et l'ont déterré trois mois plus tard : il ne restait pratiquement plus rien, en dehors de l'élastique. Preuve que les champignons, bactéries et nématodes se trouvant dans le sol ont fait du bon boulot.