En dépit de nécessaires évolutions, la foire d’avril de Beaucroissant rencontre toujours un succès incontesté et attire même des élus nationaux.
Certains signes ne trompent pas. Des ronds-points saturés, des voitures stationnées très en amont du village : la foire d’avril de Beaucroissant a battu son plein le week-end dernier.
Et c’était rendre justice à l’équipe et aux employés municipaux qui, de difficultés en surprises, sont parvenus à maintenir cette manifestation à flot.
« Mais il y aura un avant et un après covid », comme l’a déclaré le maire Antoine Reboul lors du discours d’inauguration. Les crises, économiques, sanitaires voire sociétales viennent percuter de plein fouet des manifestations aussi populaires.
Il y avait moins d’étalages dans les allées, « des trous », en raison de la grippe aviaire qui a écarté les vendeurs de volailles, de très rares éleveurs de chiens et de chats, effrayés par la nouvelle réglementation, moins de chevaux, moins de restaurants qui peinent à trouver du personnel, sans compter toutes les faillites, les repositionnements professionnels, les départs à la retraite suite aux années covid. Mais on pouvait encore trouver beaucoup de casseroles !
La foire est aussi un phénomène qui se nourrit de lui-même, en témoigne la visite inattendue de la leader du Rassemblement national, Marine Le Pen. Très à son aise dans les allées au milieu d’une cohorte de sympathisants.
La mairie avait été avertie la veille. « C’est une élue républicaine. Nous sommes en république. Elle a le droit de venir », a tranché le maire, proposant un parcours pour que « tout se passe au mieux ». Il ajoute : « Si une élue nationale vient à Beaucroissant, c’est qu’il y a un intérêt. »
Un endroit privilégié
Le cortège inaugural et celui Marine Le Pen ne se sont pas croisés sur le champ de foire, qui est assez vaste pour cela. L’équipe municipale avait à cœur de faire découvrir aux élus locaux et aux personnalités l’écovillage, la nouveauté 2023.
Réunis dans la cour de l’ancienne usine MBM, la dizaine de producteurs et d’artisans locaux ont apprécié cet emplacement, dans un îlot au centre de la foire. « C’est un lieu un peu protégé, avec une fréquentation régulière », approuve Orlane Blain qui fabrique des macérats huileux, des hydrolats, des tisanes et des pestos. « S’ils refont cela à l’automne, je serai là. »
« C’est un concept intéressant, assure également Élisabeth Bourgeois, qui propose ses élixirs floraux. Cela laisse aux gens davantage d’espace de liberté, ils ne se sentent pas oppressés comme dans les allées. C’est un peu un endroit privilégié. »
À l’écovillage, les visiteurs font de longues pauses, prennent le temps de discuter… et de déguster une bière au Beer truck des Alpes, impossible de le louper dans sa couleur rose éclatant.
Accompagner les jeunes installés
Pas de foire de Beaucroissant sans le passage obligé du côté du bétail et une visite à son pilier, le négociant de Saint-Cassien, Max Josserand.
À noter - car c’est devenu quasi exceptionnel - qu’il y avait également un autre vendeur de bovins venu de Haute-Loire. Le mouvement de décapitalisation des troupeaux fait que les vaches sont recherchées.
Max Josserand a loué « l’espace de liberté et de convivialité » que représente cette foire de plein champ.
Grand défenseur de l’élevage, il porte un regard réservé sur la situation des éleveurs « malgré l’importante hausse du prix du bovin depuis un an ».
En 30 ans, le prix du broutard charolais a à peine été valorisé d’une centaine d’euros. L’équilibre de l’élevage tient aux aides PAC, estime le négociant.
« Dans les fermes qui tournent la situation est correcte puisque les éleveurs vont payer de la MSA et des impôts, mais la difficulté vient de la relève. La vache est devenue un animal banni alors que c’est notre mère nourricière. »
Il souligne le rôle essentiel des bovins au service de l’environnement, ne serait-ce que pour éviter la déprise et conserver des zones pare-feu en montagne.
À Yannick Neuder, député de l’Isère et conseiller régional, qui rappelait l’importance de la DJA en Auvergne-Rhône-Alpes, Max Josserand a insisté sur la nécessité d’accompagner les jeunes installés « pour éviter les catastrophes ».
Le négociant, spécialiste de l’enlèvement d’urgence des animaux de ferme, en sait quelque chose des situations de dérapage en élevage.
Des charolais transpartisans
Pas de dérapage en revanche dans le secteur charolais où Marine Le Pen et ses équipes avaient décidé de déjeuner.
« Nous avons eu une concertation : 30 repas, cela ne se refuse pas. Cela s’est passé dans le calme, nous n’avons rien eu à gérer. Mais nous n’avons pas voulu de photos », explique Raphaël Loveno, le président de Charolais Sud-Est.
David Rivière, le président de Charolais Isère, est venu se présenter à la présidente du groupe RN au parlement. « Chaque année, de nombreux élus mangent ici. Nous n’avons jamais fermé la porte à personne. Nous sommes transpartisans.»
Au restaurant Charolais, l’élue nationaliste avait l’assurance de manger des produits français, une génisse de David Rivière notamment. Les éleveurs charolais, leurs familles et les bénévoles ont servi 1 000 repas et 370 burgers en deux jours.
Des vaches, mais pas de volaille. Ambiance très calme sur le coteau, où seuls, les canards, les pigeons et les canaris essayaient de faire bonne figure.
Une nouvelle fois, la grippe aviaire a contraint les éleveurs de volailles à rester chez eux alors que c’est une des principaux pôles d’attraction de la foire.
« Ce n’est plus la même ambiance qu’avant, regrette Jérôme Ballet, éleveur de lapins amateur, qui a un stand à la foire depuis 10 ans. Le côté rural s’en va, surtout en raison du manque de volaille. Ce qui attire à Beaucroissant, ce sont les animaux. Beaucoup de gens se demandent pourquoi il n’y a pas de volaille. Il aurait fallu mettre un panneau explicatif. »
Il vend des lapins de chairs, de magnifiques géants papillon bicolores, pour lesquels il n’y a pas besoin de certificat d’engagement. Mais sans les poules, les lapins et les pigeons perdent leur locomotive de vente.
Isabelle Doucet
Des espoirs pour la foire et l’agriculture
Lors du discours inaugural, les représentants politiques et du monde agricole ont fait part de leurs attentes pour l’avenir du monde rural.
Épargnée ni par le covid, ni par la grippe aviaire, ni par la neige l’an passé, la foire de Beaucroissant cherche à se renouveler. C’est le vœu de l’équipe municipale menée par le maire Antoine Reboul. Une étude, conduite par l’Agence nationale de la cohésion des territoires, donnera en mai prochain ses conclusions quant aux pistes d’avenir à explorer. Une vingtaine de recommandations sont déjà sorties. « Nous souhaitons maintenir la convivialité et la ruralité qui sont les marques de fabrique de Beaucroissant », a soutenu le maire.
Difficile pour Jean-Claude Darlet, le président de la Chambre d’agriculture de l’Isère, de prendre la parole avec une vision positive de l’agriculture. Le loup revenu sur le devant de la scène avec la sortie des bêtes, une PAC « qui va dans le mur », la souveraineté alimentaire remise en question, « pourtant, nous n’avons jamais installé autant d’agriculteurs qu’en 2022 et c’est la même tendance en 2023 ». Pour conserver cet espoir, il a plaidé : « Il faut arrêter de faire et dire à notre place par des gens qui n’y connaissent rien et qui nous amènent directement à la pénurie alimentaire. »
Des choix politiques
Fabien Mulyk, le vice-président du Département en charge de l’agriculture et chantre de la ruralité a regretté l’absence de représentant de l’État lors de l’inauguration. Il a insisté sur la prédation et la question particulière des attaques sur bovins « qui ne semblent pas protégeables ». Il attend des « actions concrètes » et des prises en charge par l’État dans le prochain plan loup. « Nous sommes un pays riche, qui consacre 65 M€ pour le loup. Nous aurions pu faire d’autres choix. » L’élu regrette notamment l’absence d’engagement de l’État pour financer les bergers d’appui lorsqu’il y a une situation à risque en alpage. « Il y aura un seul berger au lieu de trois », a-t-il annoncé. Par ailleurs, il a fait savoir qu’un troisième vétérinaire rural était en cours d’installation dans le département via le dispositif Isère véto.
Le député Yannick Neuder, entouré des sénateurs Frédérique Puissat, Michel Savin et Guillaume Gontard, a fait une allocution très politique. « Il y a ceux qui viennent se faire voir et parlent de la ruralité et ceux qui font la ruralité au niveau régional et départemental », a-t-il lancé en faisant allusion à la venue de Marine Le Pen. 110 M€ pour la Région, 10 M€ pour le Département : ces budgets n’ont jamais été votés par un seul élu du RN, a-t-il encore fait remarquer. Il déplore la diminution du budget de la PAC et rappelle les trois priorités régionales : une politique de filière, le soutien à l’installation et à l’investissement dans les exploitations.
Isabelle Doucet