MIN de Grenoble
Les gens du carreau

Isabelle Doucet
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Lancée au Marché d’intérêt national de Grenoble, l’opération L’Été des marchés, pilotée par Grenoble-Alpes-Métropole, est l’occasion de redécouvrir les métiers nocturnes du carreau.

Les gens du carreau
Yann Constant et Audrey Modeste, de Provence Dauphiné, grossiste présent au MIN depuis 60 ans.

Vivre à contre-courant, se lever quand les autres se couchent, faire des siestes qui sont des nuits, des nuits qui ressemblent à des jours : la vie sur le carreau au Marché d’intérêt national de Grenoble (MIN) ne ressemble à aucune autre.
C’est un monde à part, celui de la nuit, un peu comme celui des urgences d’hôpitaux, des aires d’autoroutes, des aéroports, où la vie ne s’arrête jamais.
Sous la voûte classée du MIN, « 5 hectares de fraîcheur », comme le mentionne son nouveau directeur Jean-Luc Duperret, officient 13 grossistes et 20 producteurs locaux.
L’opération L’été des marchés, menée par la Métro, a pour but de faire connaître le circuit des produits jusqu’au panier du consommateur. Elle a débuté au cœur du réacteur, au MIN où tout commence.
Après une nuit de transactions, passée à servir leurs clients primeurs, restaurateurs, professionnels des métiers de l’alimentation ou acheteurs de la restauration hors domicile (RHD), les acteurs du marché prennent encore le temps d’expliquer leur métier.

En direct avec les producteurs

Le témoignage de Véronique Reboud, codirigeante du commerce de gros de fruits et légumes Grenoble saveur et fraîcheur, est poignant.
Cette ingénieure en agriculture, diplômée de l’Isara et fille de producteur, est arrivée en stage au MIN en 1993. Elle n’en est jamais repartie, a épousé son mari qui venait de créer la société « et j’ai continué la route », lance-t-elle. Levée tous les jours à minuit, sauf le week-end, elle raconte une vie à un rythme effréné, au service du client, où les commandes passent en premier.

« Notre force, c’est de travailler en direct avec des producteurs et des fournisseurs, indique-t-elle. Il ne faut pas rester en rade avec un article qui manque. Nous avons un bon réseau et instauré une relation de confiance. Les produits sont suivis d’une année sur l’autre. Nous avons réussi à fidéliser nos clients et nos fournisseurs ».
Véronique Reboud assure que son métier lui plaît. « Je ne réfléchis pas à pourquoi je serai là demain ». Mais elle en parle sans concession.

Toujours fatigués

« Ce n’est pas simple pour une femme avec un foyer et des enfants ». Mère de deux enfants de 20 et 22 ans, étudiants en grandes écoles, elle s’est entendue dire « vous êtes toujours fatigués ».
Pas question pour eux de reprendre l’affaire familiale. « Ils ont vu leur parent s’échiner, cela les a peut-être motivés à réussir leurs études. »
Elle raconte les fêtes de Noël où les enfants venaient prêter main-forte pour préparer les commandes, un moment familial d’intense activité ! « Mais il faut partager et ils ont vu combien c’est compliqué. »

Au détriment du sommeil

Si Véronique Reboud a rarement eu l’occasion de les amener à l’école – sauf jours exceptionnels de rentrée – elle a toujours été là pour la sortie des classes, « au détriment du sommeil, ajoute-t-elle. Car le corps est fatigué. Il n’y a rien de pire que le manque de sommeil. »
Pour tenir, elle s’impose une hygiène de vie rigoureuse et des escapades à la mer qui lui permettent « de recharger les batteries et de privilégier le sommeil ».
La période Covid a mis les grossistes sous tension. « Nous avons bossé comme des fous et jusqu’à l’épuisement physique et mental. Il y avait une agressivité hors norme chez nos clients. Je les ai vus se battre pour des pommes de terre et des carottes ».
Elle conclut : « Il faut que les gens se rendent compte que nous passons une vie à faire ce que certains ne pourraient pas endurer pendant trois jours ! »

Tout commence sur le carreau

Dans les boxes d’en face, Provence Dauphiné est un grossiste à service complet (Gasc) qui effectue donc les livraisons.
C’est une grosse société créée il y a 60 ans du rapprochement entre deux maisons : des producteurs de fruits et légumes du sud de la France et des fournisseurs de Grenoble.
« Notre cœur de métier, ce sont les primeurs », explique Audrey Modeste, directrice adjointe.
L’entreprise compte 25 dépôts dans le quart Sud-Est, 850 collaborateurs, 250 000 références de fruits et légumes frais, mais aussi de la marée, et travaille avec 88 producteurs locaux.
« Le carreau était au démarrage de l’activité. Aujourd’hui, cela représente 30 % du chiffre d’affaires », explique la responsable.

Les clients du MIN sont des PME, des détaillants et des revendeurs. Les livraisons se font en direction des grands comptes, des administrations, des grandes entreprises, des chaînes de restauration etc.
« Nous sommes distributeurs exclusifs de marque, ce qui apporte une garantie de sélection en amont », détaille encore Audrey Modeste.
Elle aussi a débuté comme stagiaire au MIN, et n’en est plus repartie. Mais elle fait partie de l’équipe de jour.

Né dans un chou

En revanche, Yann Constant, petit fils des créateurs de l’entreprise, a toujours travaillé la nuit. « Il paraît que je suis né dans un chou », glisse-t-il.
Mais il se rappelle que « venir sur le carreau était le seul moyen de voir mon père lorsque j’étais enfant. Et le virus m’a pris ».
Se coucher à 20 heures, se lever à 23 heures, sieste de midi à 16 heures : il a épousé ce rythme depuis l’âge de 16 ans. « Aujourd’hui, j’en ai 48, poursuit-il. Vivre la nuit nous coupe beaucoup du lien social, on se sent décalé, mais j’aime mon métier. »

Une charte avec les producteurs locaux

La mise en place et les commandes se préparent dès minuit, les clients arrivent sur le carreau aux alentours de 4 heures du matin.
« Ils appellent la veille. Seulement 20 % des achats sont finalisés sur place. Avant c’était 100 %. Il y a une tendance qui s’est inversée », constate Yann Constant.
Provence Dauphiné revendique fort son attachement au MIN et à Grenoble.
Le grossiste a signé une charte et des accords tripartites avec les producteurs locaux pour encore renforcer le lien qui les rassemble.
« Nos salades viennent de Gières et 100 % des achats sont effectués à saison »,
indique encore Audrey Modeste

Récupérer la marge

Autre grande figure du carreau, Michel Guillerme est maraîcher à Tullins.
Là aussi une histoire de famille. « Mon père était producteur et j’ai continué… depuis 40 ans. »
Il ajoute : « Le MIN, c’est la nuit, ce qui me permet de travailler le jour. Je ne sais pas faire différemment. »
Le maraîcher a fait le choix de vendre en direct pour « récupérer la marge » des produits qu’il commercialise, sans intermédiaire.

Mais il dresse aussi un constat sévère : « Il y avait 120 producteurs sur le carreau en 1963, il en reste une poignée aujourd’hui. » Il soulève la question du malaise dans son métier : une profession soumise aux aléas du climat, dépourvue d’indemnisation, qui peine à recruter.

Miser sur les enfants

Tous ces acteurs des premiers maillons de la chaîne alimentaire partagent la même réflexion quant au consommateur final « qui ne sait plus ce qu’il achète », regrette Michel Guillerme. Il met à profit sa parfaite connaissance de ses clients professionnels pour les orienter dans leurs choix, selon les tendances et les saisons. « C’est important la saisonnalité », reprend de son côté Audrey Modeste. Chez Provence Dauphiné, on contrôle le poids et le taux de sucre des melons afin qu’ils soient commercialisés au bon moment. »

« Il faut mettre le paquet sur les enfants », martèle Véronique Reboud. Nous avons fait la semaine du goût pendant des années car peu d’enfants mangent des fruits et légumes chaque jour et manquent de fibres. Ils en redemandaient aux parents. Il faut leur proposer des choses simples et bonnes dès le plus jeune âge. Les enfants sont les clients de demain ! »

Isabelle Doucet

L’été des marchés
Lors du lancement de l'opération L'Eté au marché au MIN.

L’été des marchés

Dégustations, animations musicales, jeux et concours, ateliers... Du 21 juin au 3 juillet, les marchés métropolitains s'animent à l'occasion de l'été des marchés.

Mardi 28 Juin / Saint-Martin-Le-Vinoux - Point de vente Place du Village de 16h à 19h
Mercredi 29 Juin / Gières - Marché Paulette Dumont, Place de la République de 7h à 13h
Jeudi 30 Juin / Saint-Martin-le-Vinoux - Marché traditionnel de l’Horloge de15h30 à 19h
Jeudi 30 Juin / Jarrie - Marché de la Papote, Montée des Clares de 15h30 à 22h
Vendredi 1er Juillet / Le Sappey-en-Chartreuse - Marché Place de l’église de 16h à 19h
Samedi 2 Juillet / Varces-Allières-et-Risset - Marché Place de la République de 8h à 12h30
Dimanche 3 Juillet / Sassenage - Marché alimentaire et artisanal du bourg, rue François Gérin de 9h30 à 12h30

 

Le Marché d’intérêt national de Grenoble-Alpes-Métropole
Véronique Reboud, codirigeante Grenoble saveur et fraîcheur.

Le Marché d’intérêt national de Grenoble-Alpes-Métropole

Le MIN compte 13 grossistes, 20 producteurs locaux, les enseignes Promocash (grossiste alimentaire et matériel de restauration) et Girard & Roux (grossiste boulangerie et pâtisserie).
Une quinzaine de producteurs locaux sont réunis au sein du Box fermier pour la vente directe de produits fermiers isérois.
Mangez bio Isère est la plateforme coopérative fournissant principalement la restauration collective. Elle réunit une quarantaine de producteurs et transformateurs locaux.
Deux entreprises de logistique assurent le transport du frais, STG (transport frigorifique) et Urby Grenoble. Ce centre de logistique urbaine organise des livraisons mutualisées, du vélo cargo du dernier kilomètre aux produits volumineux en véhicules électriques.
Le MIN s’étend sur une superficie de 5,4 ha. Sa halle à elle seule présente une superficie de 1,5 ha.