Antoine Reboul, maire de Beaucroissant, qui a pris la décision d'annuler la 801e Foire de Beaucroissant, laquelle devait se dérouler les 11, 12 13 septembre.
Le risque était trop fort

A peine installé en tant que nouveau maire de Beaucroissant, vous avez dû prendre une décision des plus difficiles avec l'annulation de la 801e Foire de Beaucroissant, qui devait se dérouler les 11, 12 et 13 septembre prochains ?

Nous travaillions sur cette foire depuis plus de deux mois. Nous avions été échaudés par l'annulation de la foire de printemps. Car nous avions déjà encaissé 100 000 euros et il nous a fallu deux mois, à raison de deux personnes qui ne faisaient que ça, pour rembourser les exposants. Alors, accueillir en septembre 1 500 exposants sur 30 hectares, cela ne se fait pas en trois jours ! J'ai sollicité des conseils auprès des personnes impliquées dans la Foire, auprès des professionnels, j'ai écrit au préfet et le directeur de cabinet m'a répondu que les manifestations de plus de 5 000 personnes étaient interdites jusqu'en août. C'était la dernière extrémité pour décider, sinon, on était obligés de lancer la foire, au risque de se mettre dans une situation très délicate. Mais surtout, on ne sait pas ce qui va se passer quant à l'épidémie de Covid-19 d'ici à la rentrée. On voit qu'un deuxième foyer redémarre en Asie. Or, la foire, c'est un brassage de centaines de milliers de personnes et cela ne se maîtrise pas.

 

Un champ de foire de 30 ha.

Quels arguments ont prévalu ?

Il y avait un choix de coeur et un choix de raison. Le risque était trop fort sur le plan sanitaire et le risque économique évident. Cette annulation est un pincement au coeur quand on a vécu la 800e. Nous avons recueillis beaucoup d'avis, exploré de nombreuses pistes. J'ai échangé avec Monique Rubin, exposante à la Beaucroissant et présidente de la Fédération du commerce non sédentaire. Elle m'a fait part du protocole national, inapplicable à Beaucroissant. Comment gérer une queue de 20 000 personnes, créer des sens uniques, respecter des espaces d'un mètre entre les stands ? La gendarmerie m'a expliqué que, même en doublant les effectifs, cela ne changerait rien. Nous avons estimé à 40 000 euros le coût de la suppression de certains stands pour dégager les allées. Maintenir la foire, c'était faire face à une baisse du chiffre d'affaires en engageant des frais supplémentaires. Et nous en sommes arrivés à ce paradoxe : si tout le monde se déplace, nous nous retrouvons face à des contraintes et nous nous exposons au risque sanitaire. Si nous faisons une petite foire, ce sera une édition ratée et personne ne sera content.

Quelles sont les conséquences pour la commune ?

Les foires d'avril et de septembre représentent un chiffre d'affaires de 700 000 euros. La commune en retire environ 10% de bénéfices qui contribuent au fonctionnement du village. Ce sont par exemple les investissements dans la voirie, mais aussi dans l'acquisition de terrains au centre du village. Nous avons pour projet l'aménagement d'une future place de village avec un lieu dédié au commerce - boulangerie, boucherie, épicerie et bar-restaurant - car il y a plein de place à Beaucroissant, mais pas de place du village ! De la foire dépend la capacité d'investissement de la commune. Donc cela décalera nos projets de deux ou trois ans. Les associations aussi, qui gèrent les parkings au mois d'avril, souffriront de ce manque à gagner.

Et pour les exposants ?

Les plus touchés sont les commerçants itinérants dont la vie est sur les foires et marchés. Cela les prive de leur travail et nous avons beaucoup d'appels de gens mécontents. Pour les fabricants et les revendeurs de matériel, c'est aussi un salon important où ils rencontrent leurs clients et leurs fournisseurs. Quoiqu'on en dise, tout le monde vient à la foire. C'est une plateforme qui attire énormément de monde.

 

Les exposants sont durement touchés par l'annulation des deux foires.

On ne peut pas être maire de Beaucroissant sans être amoureux de la foire. Comment viviez-vous cette annulation ?

Je suis rentré au conseil municipal de Beaucroissant pour la foire et par la foire. C'est un énorme paquebot qui file une fois lancé. Mais c'est aussi un colosse aux pieds d'argile. Elle est fragile et me fait penser à ces exploitations qui disparaissent en milieu rural sous l'effet de la concentration. La foire a besoin d'être étoffée pour ne pas mourir.

Comment voyez-vous son évolution ?

Concours charolais.

 

Il faut se méfier des fausses bonnes idées. Le sujet majeur est l'évolution de cette foire au sein du monde rural. Elle est passée par exemple d'une foire de négoce de bétail à une foire de  démonstration avec le concours charolais Sud-Est où sont présentés les plus beaux bovins de la race. Il faudrait faire la même chose avec les équins, trouver des financements pour créer une carrière et organiser des concours de race. Et ce serait intéressant d'avoir la même démarche avec les ovins. C'est le sens de l'histoire et l'esprit de la foire où les citadins viennent à la campagne pour voir des belles bêtes et des produits de qualité. J'aimerais développer en première ligne des allées avec des stands de produits locaux. Il faudrait arriver à faire venir des producteurs, qui incarnent la proximité, pour vendre des produits du terroir.

Propos recueillis par Isabelle Doucet