Le Couvent des Carmes, à Beauvoir-en-Royans, s'apprêtait à accueillir la grande fête du Festival Berlioz, samedi 26 août, scellant la rencontre entre deux monuments médiévaux.
La météo en a décidé autrement. L'événement est reporté en 2024.
Un lieu mythique pour un événement mythique.
À Beauvoir-en-Royans, le Couvent des Carmes s’apprête à accueillir la grande soirée du Festival Berlioz, qui se déroulera le 26 août et se terminera en apothéose par un Carmina Burana donné à la tombée de la nuit.
Surplombant la vallée de l’Isère, dans le Sud-Grésivaudan, le site de sept hectares, est le berceau des seigneurs du Dauphiné.
À partir du XIe siècle, et jusqu’au XIVe siècle, fut érigé un immense château baptisé « Le Palais aux 1 000 fenêtres ». Une vie de cour fastueuse s’y déploie sous l’administration d’Humbert II le Viennois jusqu’à ce que celui-ci, sans descendance et ruiné, cède contre liquidités, le Dauphiné au fils aîné du roi, qui portera désormais le titre de dauphin.
« En 1349, Charles V, fils du roi de France devient le premier dauphin royal », explique Lydie Baluteau, guide du site. Cette cession amorce le déclin du château, que les guerres de religion finissent de ruiner.
Les Carmes s’installeront en effet au château entre le XIVe et le XVIIe siècle avant de se réfugier à Saint-Marcellin.
Ce qu’il restait du lieu est devenu une ferme pendant 200 ans et les villageois alentour ont largement pioché dans les pierres du château pour reconstruire le village, lui aussi dévasté au XVIe siècle par les conflits religieux dont il fut l’épicentre.
Restent aujourd’hui les vestiges du donjon, une baie et une partie de l’enceinte.
Un joyau du Royans
Ce haut lieu médiéval a bénéficié d’une première grande restauration en 2009, lui redonnant vie peu à peu.
Une deuxième phase de restauration a été engagée en 2019.
Propriété de la communauté de communes de Saint-Marcellin-Vercors Isère, il a rouvert ses portes en juillet 2021.
« C’est un site exceptionnel mais un joyau méconnu du Royans », indique Élisabeth Renau, coordinatrice du Couvent des Carmes.
Élisabeth Renau, coordinatrice du Couvent des Carmes
Elle officie à l’ouverture de ce lieu au plus grand nombre de visiteurs, du printemps à l’automne et au développement de son animation. « Il y a une diversité d’approches : patrimoniale, historique, environnementale », assure-t-elle.
Le couvent accueille un musée, une exposition permanente, une exposition temporaire, ainsi qu’un restaurant gastronomique.
Sa chapelle, qui porte les stigmates du passé agraire des lieux – elle fut tantôt étable, séchoir à tabac ou dédiée à l’élevage de vers à soie - peut recevoir des événements culturels.
En extérieur, le site est bordé d’un verger conservatoire et d’un jardin médiéval.
Trois salles
Il faut monter un escalier dont la rampe d’origine, en fer forgé, est une pièce remarquable, pour découvrir sur la droite les trois salles d’exposition du musée delphinal.
L’histoire des seigneurs du Dauphiné y est largement contée et illustrée. « Le terme Dauphin est devenu un nom, puis un titre et enfin le nom d’un comté », précise Lydie Baluteau.
La deuxième salle est dédiée au travail de l’archéologue César Filhol, qui fit classer le site monument historique en 1922 et lui confia son étonnante collection d’objets dauphinois.
La troisième pièce est une reconstitution d’une cellule de carme, l’ordre contemplatif qui vécut au couvent jusqu’à la Révolution française.
Amoureux du Vercors
En rouvrant ses portes, le couvent a fait la part belle à l’artiste Bob ten Hoope, ce néerlandais tombé amoureux du Vercors où il vécut plus de 50 ans avant de disparaître en 2014.
L’exposition permanente donne à découvrir ses toiles, riches en couleurs, parfois sauvages comme les paysages du Vercors.
L’artiste a aussi peint de nombreux nus ainsi que des portraits qu’il aimait croquer dans les cafés de Pont-en-Royans où il flânait. « Il a trouvé son paysage intérieur dans le Vercors », confie la guide.
Complémentaire, l’exposition temporaire est consacrée à celle qui fut sa muse, Tineke Bot.
La sculptrice, néerlandaise, qui vit à Choranche, présente ses bronzes qui sont autant « d’explorations du monde animal » tel cet aigle magnifique qui trône au milieu d’une salle.
« Ces sculptures sont souvent un mélange de deux forces en présence, décrypte Lydie Baluteau, comme la femme au chapeau à l’entrée de l’exposition, où se mêlent des formes rondes et anguleuses. »
Isabelle Doucet
La chapelle du couvent des Carmes
Le festival au pied de l’ogive
C’est au pied de l’imposante arche gothique, vestige de la chapelle du château, qu'est installée la scène du Festival Berlioz.
Le samedi 26 août, à la tombée de la nuit, les festivaliers pourront prendre place dans la vaste prairie pour venir écouter, à la tombée de la nuit, le « souffle puissant » du Carmina Burana, interprété par l’orchestre, le chœur et la maîtrise du Teatro Regio Torino, sous la direction de Daniel Kawka.
« Déferlante de voix et d’instruments et rythme trépidant », comme le présente l’agence Aida (1), qui porte l’événement, la plus célèbre œuvre de Carl Off est un recueil de « chants profanes pour chanteurs solistes et chœurs, avec accompagnement instrumental et images magiques ». Frissons garantis.
Cette fin d’après-midi mythique aura débuté vers 17 heures, à la chapelle, par la performance Sisyphe, une installation vidéo, musique et électroacoustique du compositeur et plasticien Zad Moultaka, avec l’ensemble Musicatreize, sous la direction de Roland Hayrabedian.
De nombreuses animations égrèneront la soirée, en présence des Antonins qui feront revivre les gestes et la vie d’antan. Une petite restauration est prévue sur place avec des foodtrucks ou au restaurant du couvent, « Au Roman du Vercors ».
Ceux qui ont aimé pourront revenir le samedi suivant, 2 septembre, toujours dans le cadre du Festival Berlioz, pour le récit-récital Ruines, à 17 heures.
La pianiste grenobloise Aline Piboulet et l’écrivain Pascal Quignard (2) visiteront un répertoire allant de la musique baroque à aujourd’hui, de Bach à Fauré.
Durant ces deux jours, le musée et les expositions seront exceptionnellement fermés. Entre 2 000 et 5 000 personnes sont attendues le 26 août, si bien que le stationnement se fera en bas du village et l’acheminement par un itinéraire pédestre ou par navette.
ID
(1) Arts en Isère Dauphiné Alpes
(2) Prix Goncourt et auteur de Tous les matins du monde, il réalise actuellement un ouvrage sur les vestiges de Beauvoir-en-Royans.
La pomme de la diversité
Le verger conservatoire du couvent a été créé en 2007 au service de la préservation du patrimoine végétal.
Près de 150 variétés de pommiers, de poiriers et de cerisiers composent le verger conservatoire du Couvent des carmes.
Depuis 2007, l’association Les Fruits retrouvés a planté 232 arbres dans les 1,7 ha du grand verger. Le petit verger, qui ourle le jardin médiéval, accueille pour sa part une grande variété de pruniers.
Ce travail de conservation a été engagé par le paysagiste Yves Michelon, qui des années durant a arpenté les fermes du Sud-Grésivaudan pour recueillir les greffons de fruitiers. C’est à cette époque que la communauté de communes du Royans rachète le couvent et se rapproche de l’association pour créer le verger.
« Les premières années, nous avons planté les greffons », relate Hubert Gaillardot, le vice-président.
De saisons en saisons, le verger a pris forme et les arbres ont commencé à donner, révélant des variétés plus ou moins connues. Au-delà de l’intérêt pédagogique du verger, le point remarquable réside dans les nombreuses analyses génétiques (1) qui ont été opérées à Beauvoir-en-Royans, lesquelles révèlent 18 variétés « à profil unique ».
« La pomologie est une observation de plus de 80 critères pour reconnaître une variété, dont, beaucoup sont subjectifs », explique le vice-président Des Fruits retrouvés. Il précise qu’« inconnues ne veut pas dire qu’elles n’existent pas ailleurs, et c’est important pour la diversité ».
D’ailleurs l’association Les Fruits retrouvés fait partie du réseau Divagri (2) et travaille avec le CRBA (3) sur la recherche variétale et l’adaptation au changement climatique. Certaines variétés anciennes du verger conservatoire sont appelées à entrer dans le répertoire végétal du PNR du Vercors.
Un message aux enfants
« Le verger, c’est un monde incroyable », assure Hubert Gaillardot.
D’autant plus que chaque variété peut porter plusieurs noms. La rose de Rovon, la pomme Drevet – parce qu’un certain monsieur Drevet avait donné un greffon à l’Albenc –, mais aussi la célèbre pomme de fer – ainsi nommée parce que paraît-il on peut jouer aux boules avec, font partie de ce patrimoine végétal.
Pour que ces variétés, nouvelles ou anciennes retrouvées, ne disparaissent pas de nouveau, les membres de l’association confient des greffons aux pépiniéristes, aux particuliers et au lycée agricole de Romans.
£Ils organisent en outre des cours de taille et de greffe, des visites commentées, ainsi que des séances de pressage au moment de la récolte. Le vice-président, tire aussi une grande satisfaction « du message passé aux enfants : il y a des fruits et des goûts différents, obtenus sans aucun traitement. Ce verger permet de les former à l’analyse critique. Il sert aussi à maintenir, une certaine biodiversité dans la région. »
ID
(1) 10 à 20 analyses par an réalisées avec l’Inra d’Angers.
(2) Fédération pour le développement et la promotion de la diversité agricole.
(3) Centre de ressources de botanique appliquée (69).